Disparus: 4,2 millions de véhicules hors d’usage

RECYCLAGE Après le broyage, les éléments tels que l'aluminium et le cuivre sont triés hors des débris. © Getty Images
Luc Huysmans Luc Huysmans, senior writer au sein du magazine néerlandophone Trends, livre son analyse de l'actualité.

Notre pays excelle dans l’art du recyclage de véhicules. Pourtant, chaque année, environ 50 000 véhicules “disparaissent”. Personne ne peut contrôler les véhicules une fois qu’ils sont déclarés hors d’usage. Les choses changent, mais cela va prendre du temps.

Pas moins de 97,1 % du poids d’un véhicule envoyé à la casse en Belgique peut être réutilisé, recyclé ou valorisé à des fins énergétiques. Nous faisons partie du podium européen dans ce domaine. Catherine Lenaerts, directrice de Febelauto, l’organisme de gestion des véhicules hors d’usage dans notre pays, en est fière, et à juste titre. “Nous sommes particulièrement efficaces dans le tri des matériaux qui restent après le broyage de la voiture : aluminium, cuivre, plastique, etc. Nous exportons notre technologie.”

Il est presque impossible de dépasser ces 97,1 pour cent. La plupart des autres pays européens se situent également au-dessus de 85 %, bien qu’il plane un certain flou artistique sur les chiffres de certains États membres. Les 2,9 % restants sont un mélange hétérogène de textiles, de mousse et de mousse isolante. “Nous continuons à chercher des applications utiles, mais personne ne veut dormir sur un matelas fait de mousse isolante recyclée. En outre, nous devons éviter que les coûts ne soient trop élevés. Sinon, cela reviendrait à jeter le bébé avec l’eau du bain, car le recyclage sera alors plus avantageux à l’étranger.”

Mais tous les véhicules vendus en Belgique ne finissent pas dans l’un des 120 centres de recyclage agréés. L’an passé, le compteur s’est arrêté à 110 464 unités. Un chiffre en baisse par rapport à celui de 2019 (134 629). Cette diminution est en grande partie due à la pandémie et à la baisse des ventes de véhicules. Catherine Lenaerts : “Nos chiffres évoluent en parallèle avec ceux de la vente de véhicules. Nous en sommes à environ 25 % des nouvelles inscriptions.”

Durée de vie prolongée

Un sur quatre, cela paraît peu. Bien entendu, il ne s’agit pas d’une comparaison directe : une voiture vendue aujourd’hui sera encore utilisée pendant plusieurs années. Cette durée augmente d’ailleurs, car l’âge moyen du parc automobile belge grimpe d’année en année : il est passé de six ans et quatre mois en 1993 à neuf ans et deux mois l’année dernière.

On constate également ce vieillissement dans les véhicules hors d’usage, qui ont subi de graves dommages, ou qui n’ont plus été immatriculés depuis deux ans. L’année dernière, l’âge moyen des véhicules hors d’usage remis était de 16,8 ans. “Lorsque j’ai commencé chez Febelauto il y a vingt ans, la moyenne est de moins de 12 ans”, se souvient Catherine Lenaerts. C’est logique : à l’époque, les véhicules rouillaient encore, alors que ce n’est pas le cas des véhicules modernes. Catherine Lenaerts : “On peut difficilement reprocher à l’industrie automobile de fabriquer des produits de plus en plus performants.”

Nos véhicules durent plus longtemps. Selon Car-Pass, l’organisation qui enregistre le kilométrage, le kilométrage moyen d’une voiture en fin de vie est de 190 000 kilomètres. C’est une bonne chose d’un point de vue circulaire, même s’il serait évidemment préférable pour les émissions que tous ces véhicules soient respectueux de l’environnement. Le fait que toutes les voitures de sociétés devront être électriques d’ici 2025 entraînera automatiquement un verdissement du parc automobile, car la plupart de ces voitures finiront sur le marché de l’occasion après quatre ou cinq ans. “Certains véhicules sont vendus six ou sept fois”, explique Filip Rylant, le porte-parole de Traxio, la confédération du commerce, de la réparation automobile et des secteurs connexes. L’année dernière, 431 491 voitures neuves ont été immatriculées, ainsi que 620 835 voitures d’occasion. “Les marchés automobiles ne sont pas statiques : certaines voitures sont détruites, d’autres sont importées, d’autres encore sont exportées.”

Disparus du radar

Cependant, personne n’a une idée claire de ce qu’il advient exactement des véhicules en fin de vie. Les véhicules ne peuvent être retrouvés que s’ils sont immatriculés et possèdent donc une plaque minéralogique. Après la restitution de la plaque, le suivi prend fin. Le gouvernement ne saura jamais si vous démontez la voiture, la transformez en bac à fleurs excentrique ou la laissez simplement rouiller dans votre jardin.

À la demande de la Commission européenne, le cabinet de conseil néerlandais Trinomics et l’institut allemand Öko ont calculé l’an dernier que quelque 4 millions de véhicules européens hors d’usage disparaissent chaque année des radars. Ce chiffre fluctue : il était de 3,4 millions en 2010, de 4,7 millions en 2014 et de 4,2 millions en 2016. Cela représente pas moins de 35 % des véhicules déclarés hors d’usage.

Parmi ceux-ci, 40 000 à 60 000 viendraient de Belgique. “Ils regorgent toutefois de matériaux précieux avec lesquels nous pouvons encore faire des choses merveilleuses”, déclare Catherine Lenaerts. “Nous avons la capacité de recyclage nécessaire.”

Un passeport numérique pour les véhicules pourrait offrir une solution à ce manque de traçabilité. Aujourd’hui, personne ne sait qui est le détenteur ou le propriétaire d’une épave, et cette personne ne peut donc pas être encouragée ou forcée à la remettre à un centre agréé.

Démolition

Ce manque de traçabilité est une épine dans le pied de Febelauto depuis longtemps déjà. “Nous demandons cette traçabilité depuis quinze ans. Elle a également été incluse dans une directive européenne”, précise Catherine Lenaerts. “Seuls les Pays-Bas disposent aujourd’hui d’un système de suivi et de nombreuses fausses déclarations d’exportation y sont inscrites. Avec un système de suivi au niveau européen, nous pourrions mettre un terme à la destruction illégale.”

Car ce phénomène est bien réel. Febelauto transmet régulièrement des dossiers à ce sujet à la police fédérale. “Les individus qui détruisent des véhicules sans permis sont en concurrence déloyale aux entreprises qui respectent toutes les règles.”

Les entreprises de bonne foi ont besoin des revenus provenant des matériaux restants après le déchiquetage du véhicule. Le recyclage des airbags, des pneus, du plastique, du verre et de la plupart des liquides engendre des frais, selon les cabinets d’études Trinomics et Öko. Celui de la batterie, du moteur, de la boîte de vitesses et des catalyseurs rapporte de l’argent. De cette manière, les entreprises de recyclage n’investissent pas seulement dans des machines de tri et autres, mais elles paient également pour l’élimination sûre des substances polluantes et dangereuses.

Ces frais n’existent pas lorsqu’un individu détruit une voiture en noir. Ce phénomène ne se limite pas à la Belgique. Exporter les véhicules hors d’usage nécessite une notification. Mais les camions qui circulent vers les pays d’Europe de l’Est, comme la Pologne et la Roumanie, “oublient” parfois de se signaler.

D’un point de vue écologique, il n’est pas souhaitable d’exporter des véhicules hors d’usage vers des pays où le recyclage n’est pas aussi bien organisé qu’ici. Il s’agit souvent de véhicules relativement jeunes qui ont été impliqués dans un accident. Ils sont réparés à faible coût à quelques centaines de kilomètres à l’est, puis on leur donne une seconde vie.

Seconde main

En outre, il existe aussi un trafic de voitures qui sont vendues à l’étranger en toute légalité. “Le monde des véhicules hors d’usage est un marché complètement différent de celui des voitures d’occasion”, selon Catherine Lenaerts et Filip Rylant.

L’Afrique, en particulier, est qualifiée de “cimetière des voitures de l’Europe”. “La situation évolue”, précise Filip Rylant. “De nombreux pays africains imposent désormais des exigences plus strictes quant à la qualité des voitures qui sont encore autorisées à entrer sur leur territoire.”

Mais penser que l’Afrique est en avance sur les pays d’Europe de l’Est est une conclusion hâtive. “Il y a une évolution positive”, déclare Pierre Hajjar, directeur général de Socar Shipping Agencies, qui exporte environ 2 000 véhicules par mois vers plus de 20 pays africains. “Mais ils visent désormais des voitures âgées de 10 à 15 ans plutôt que de 20 ou 25 ans.”

La situation diffère en fonction des pays. En Côte d’Ivoire et en Angola, l’âge limite des véhicules est de cinq ans. Au Sénégal, il est de huit ans. Dans des pays comme la Guinée, la Gambie, le Bénin, le Togo et le Nigeria, il n’existe aucune disposition à ce sujet. “Certains appliquent des taxes douanières plus faibles pour les voitures de moins de 15 ans. La situation est parfois plus compliquée qu’il n’y paraît. Pour beaucoup de ces pays, ce commerce représente une part importante de leur économie. Ces droits de douane rapportent beaucoup d’argent au gouvernement. Et le commerce fournit des milliers d’emplois. Un jeune bricoleur qui fait 50 euros de bénéfice sur la réparation et la revente d’une voiture gagne un mois de salaire supplémentaire.”

Chaque année, 250 000 à 300 000 voitures quittent encore Anvers pour l’Afrique. C’est environ 150 000 de moins qu’il y a dix ans, mais la qualité s’est améliorée. “Il y a maintenant une classe moyenne en Afrique qui n’a pas les moyens d’acheter une nouvelle voiture, mais qui prête attention à la qualité.”

Le port d’Anvers, qui est le plus important port d’exportation vers l’Afrique occidentale, a également pris des mesures ces dernières années en matière de qualité. Par exemple, les véhicules doivent pouvoir être conduits de manière autonome sur le navire et, depuis le 1er janvier, ils doivent être vides. Le temps où ils étaient remplis de matelas et de réfrigérateurs est révolu. Les camions peuvent encore être chargés, mais sans dépasser leur poids autorisé.

Défis majeurs

Un autre marché important reste l’Europe de l’Est. “Mais là aussi, le pouvoir d’achat augmente, des zones à faible taux d’émission sont introduites dans les villes et la population cherche des véhicules plus récents, de meilleure qualité”, précise Filip Rylant. “L’Europe travaille également à l’harmonisation et au renforcement des normes en matière d’émissions. Mais les progrès sont lents, car ce sont les nouvelles voitures qui sont concernées. L’impact n’est donc pas encore énorme, mais il joue déjà un rôle. Par ailleurs, il faudrait vérifier plus souvent si une voiture qui répond officiellement à la norme Euro 3 ou 4 est toujours conforme à cette norme.”

Les défis à relever sont énormes. L’étude de Trinomics et Öko évoque la nécessité d’une plus grande écoconception, la conception des voitures tenant déjà compte de leur recyclage et de leur réutilisation. Des objectifs distincts devraient également être fixés pour la réutilisation, et il serait probablement préférable de fixer des objectifs de recyclage par type de matériau plutôt que par poids. En outre, l’utilisation de matériaux recyclés dans les nouvelles voitures devrait être encouragée et les producteurs devraient contribuer financièrement à la gestion des véhicules en fin de vie.

Toutefois, Catherine Lenaerts n’est pas d’accord avec ces conclusions, notamment parce que les voitures sont déjà bien réutilisées et recyclées. “Des objectifs de recyclage distincts pour chaque matériau ne sont tout simplement pas réalistes. Le risque de jeter le bébé avec l’eau du bain est alors bien réel.”

En même temps, il reste utopique de penser que ces voitures, après avoir été mises au rebut en Afrique ou en Europe de l’Est, feraient le voyage de retour vers l’Europe occidentale pour y être recyclées. Les bénéfices du recyclage sont tout simplement trop faibles pour justifier cela.

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