Les enfants de l’ancien patron de Proximus portent l’affaire devant la cour d’appel de Bruxelles. Ils contestent la légalité de son licenciement brutal en 2013.
Douze ans après le départ fracassant de Didier Bellens de la direction de Proximus, l’affaire rebondit devant la justice belge. Les héritiers de l’ancien administrateur délégué, décédé en février 2016, réclament près de six millions d’euros à l’opérateur public et, à titre conservatoire, ont décidé de citer l’État belge en justice révèle L’Echo.
Cette somme considérable englobe plus de quatre millions d’euros de stock-options, des bonus à court et long terme pour les années 2012 et 2013, ainsi que 50.000 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive. Déboutés successivement par le tribunal du travail puis par le tribunal de première instance, les enfants de Didier Bellens reviennent à la charge devant la cour d’appel de Bruxelles avec une stratégie juridique modifiée.
L’argument de l’illégalité
Les héritiers ne contestent plus la nature de la relation de travail liant leur père à Proximus. Ils concentrent désormais leurs arguments sur l’illégalité présumée de l’arrêté royal du 15 novembre 2013 qui avait prononcé sa révocation.
Leur avocat invoque le principe juridique « audi alteram partem ». Selon ses défenseurs, personne n’a entendu Didier Bellens sur les faits reprochés. On ne l’a pas non plus informé de la mesure envisagée contre lui, et personne n’a dressé de procès-verbal. Le conseil des ministres aurait aussi dû délibérer l’arrêté royal en conseil des ministres, mais il ne l’a pas fait.
Proximus réfute cette thèse en bloc. Pour la défense de l’opérateur, le principe « audi alteram partem » ne s’appliquerait qu’aux agents de l’État, pas à un administrateur délégué. Leurs avocats dénoncent « l’inconsistance totale de la défense », estimant que « si Didier Bellens n’avait pas commis de manquements graves, il n’aurait pas perdu ses stock-options » selon l’Echo.
La comparaison qui coûte cher
Le licenciement de Didier Bellens trouve son origine dans un incident qui a fait date dans le monde des affaires belges. Début novembre 2013, lors d’un petit-déjeuner au cercle B19, l’administrateur délégué avait comparé le premier ministre de l’époque, Elio Di Rupo, venant toucher chaque année les dividendes de l’État – principal actionnaire de Proximus – à « un enfant attendant Saint-Nicolas ».
Ces déclarations avaient fait l’effet d’une bombe et, surtout, ajouté la goutte fatale à un vase qui ne demandait qu’à déborder. Une semaine plus tard, Jean-Pascal Labille (PS), ministre de tutelle, provoqua la chute de Didier Bellens. Par un arrêté royal il sera congédié pour faute grave, sans la moindre indemnité.
Pour Proximus, cette saillie s’inscrivait dans une « série de polémiques et d’incidents » ayant jalonné le second mandat de Bellens : le dossier Telindus, l’« affaire » Concetta Fagard, la vente avortée d’un immeuble à Immobel et d’autres déclarations incendiaires. Ces événements auront entraîné une rupture de confiance irrémédiable entre l’entreprise et son dirigeant.
Un parcours controversé, mais marquant
À l’époque de sa révocation, Didier Bellens était plus isolé que jamais au sommet des deux tours de Belgacom. D’un naturel inflexible, le CEO s’était attiré au fil des ans de solides inimitiés au sein de l’opérateur historique. Des luttes intestines entre top managers avaient forcé le patron à se séparer de certains de ses opposants, mais aussi de ses plus fidèles lieutenants. Sa maladie, dont il ne faisait pas grande publicité, était déjà bien présente à l’époque de son départ en 2013. Celle-ci avait contribué à un certain ralentissement de ses activités sur la fin de son mandat et l’avait peut-être rendu moins diplomate à l’attention de ses nombreux détracteurs. Il décèdera moins de trois ans plus tard, en février 2016.
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Pourtant, les difficultés qu’éprouvait le CEO à gérer les egos et les relations humaines n’avaient pas empêché Didier Bellens de réaliser un parcours marquant à la tête de Belgacom. Issu de l’écurie GBL de son mentor Albert Frère, il avait impulsé un virage stratégique complexe et audacieux qui a fondamentalement modifié la trajectoire de l’opérateur historique détenu à 53% par l’État belge.
Cheville ouvrière de l’introduction en Bourse de Belgacom
Sa vision de la convergence des services télécoms détonait à une époque où l’ex-RTT ronronnait, assise sur un monopole de fait sur les lignes téléphoniques fixes. En implémentant l’introduction de l’ADSL, puis en imposant Belgacom TV et en raflant les droits du football, Didier Bellens avait mis sur pied une puissante stratégie de conquête. Celle-ci avait porté ses fruits, notamment en Wallonie, où le câble wallon (VOO) avait mis du temps à organiser la riposte, perdant de précieuses parts de marché.
Cheville ouvrière de l’introduction en Bourse de Belgacom, Didier Bellens avait également eu une dernière intuition stratégique : c’est lui qui avait débauché Dominique Leroy chez Unilever, la propulsant sur une rampe de lancement qui allait la conduire au sommet de l’entreprise.
L’arrêt de la cour d’appel devrait être rendu dans le mois. Une décision qui, douze ans après les faits, pourrait enfin clore un chapitre tumultueux de l’histoire des télécoms belges.