Les projections économiques de la Commission européenne, confirmées récemment par la Banque nationale et le Bureau fédéral du Plan, sont univoques. Sur le plan budgétaire, la Belgique a pris la place des “PIGS”, un acronyme peu enviable donné par la presse anglo-saxonne au moment de la crise de la zone euro, en 2010. Il rassemblait le Portugal, l’Italie, la Grèce et l’Espagne : “les pays du Club Med”, selon la presse francophone. Une note d’Eric Dor, économiste à l’IESEG Lille, met en avant ce grand basculement.
Alors que la Belgique est souvent tentée de se comparer à ses voisins du Nord pour des raisons de proximité économique, une lecture comparative plus instructive émerge aujourd’hui : celle qui la met face aux pays dits du “Club Med” – Grèce, Portugal, Espagne et Italie. Ces États, longtemps stigmatisés pour leur insoutenabilité budgétaire, présentent désormais une situation financière globalement plus saine que celle du Royaume.
La Belgique : vice-championne du déficit public
Selon les dernières projections économiques de la Commission européenne (mai 2025), la Belgique enregistrera le deuxième plus grand déficit public de toute la zone euro en 2025 et 2026 : 5,4 % et 5,5 % du PIB respectivement. Seule la France ferait pire. En comparaison, l’Espagne contiendrait son déficit à 2,8 % en 2025 et 2,5 % en 2026, tandis que le Portugal et la Grèce afficheraient même des excédents budgétaires.

Ces chiffres révèlent une dynamique inquiétante pour la Belgique, aggravée par une trajectoire budgétaire incompatible avec ses propres engagements européens (4,7 % en 2025, 4,6 % en 2026). Jusqu’ici, les réformes annoncées par le gouvernement fédéral n’ont pas permis d’infléchir cette mauvaise trajectoire budgétaire, malgré les coupes annoncées dans les dépenses publiques.
L’économiste Eric Dor voit mal comment l’Arizona pourrait modifier cette trajectoire, “avec une majorité tiraillée entre des courants différents qui rend peu réaliste la possibilité que des mesures fortes d’augmentation des recettes ou de réduction des dépenses puissent être votées“. Il ajoute un autre défi : “Le manque de contrôle du gouvernement fédéral sur les entités fédérées qui rend aussi difficile l’application d’une forte discipline de contrôle des dépenses à tous les niveaux.” En particulier à Bruxelles, où un gouvernement n’est toujours pas formé, mais devrait être de toute façon plus éclaté.
Le fardeau des intérêts
La situation se corse lorsqu’on considère les charges d’intérêts sur la dette. En 2025, elles atteindraient 5,6 % des recettes fiscales belges, contre 2 % aux Pays-Bas, 2,7 % en Allemagne. En 2026, la Belgique grimperait à 5,9 %, s’éloignant encore davantage des standards européens : 14 pays de la zone euro auront des moindres charges d’intérêts en 2025.
Ici, par contre, les pays du Club Med ferment encore la marche, au vu de leur situation historique.

Un déficit primaire plus élevé
Même sans tenir compte des charges d’intérêts, la Belgique est mal classée. Son déficit primaire – c’est-à-dire son déficit hors charges d’intérêts – s’élèvera à 3 % du PIB en 2025 et 2026, selon la Commission européenne. Seuls la France et la Slovaquie afficheraient des résultats pires. En revanche :
- Le Portugal et la Grèce atteindraient un surplus primaire de 1,7% et 4,4%.
- L’Italie, pourtant souvent montrée du doigt pour son laxisme budgétaire passé, dégagerait également un léger excédent, tout comme l’Espagne.
Cette dégradation belge est d’autant plus alarmante que le solde primaire est un indicateur central pour juger de la soutenabilité à long terme de la dette.

La Belgique, mauvais élève en matière de stabilisation de la dette
En 2025, pour simplement stabiliser sa dette publique, la Belgique devrait limiter son déficit primaire à 1,2 % du PIB. Or, elle atteindra 3 %, soit un écart de 1,8 %. Cela signifie que la dette publique belge passera de 104,7 % à 107,1 % du PIB entre 2024 et 2025, selon la Commission européenne.
À titre de comparaison :
- L’Espagne peut se permettre un déficit primaire de 2,3 % pour stabiliser sa dette.
- Le Portugal dispose d’une marge de 2,2 %, bien supérieure à celle de la Belgique.
- L’Italie, certes sous contrainte, n’a besoin que d’un excédent de 0,1 % du PIB.
Autrement dit, la Belgique est l’un des pays qui doit fournir les efforts budgétaires les plus intenses pour simplement maintenir sa dette au même niveau. Et elle ne le fait pas.
Sans oublier que notre pays connaîtrait la pire croissance de son PIB réel de la zone euro en 2026, à 0,9%, là où la Grèce et le Portugal feraient 2,2% et l’Espagne 2%.
Un renversement des rôles
Pendant des années, la Belgique s’est crue relativement protégée des affres de la soutenabilité budgétaire, regardant les pays du Sud comme des élèves peu disciplinés de la zone euro. Or, la situation s’est retournée : les pays du Club Med ont consenti à des efforts budgétaires considérables, stabilisé leur dette, et dégagent aujourd’hui des excédents.
À l’inverse, la Belgique semble enfermée dans un immobilisme budgétaire. Quelle que soit la majorité politique, le gouvernement est incapable de juguler la progression de sa dette, de maîtriser ses intérêts croissants ou d’aligner son déficit sur les normes européennes. Vendredi dernier, l’agence de notation Fitch a d’ailleurs encore abaissé la note de la dette belge.
Reste une question : faut-il passer par une crise majeure pour se mettre à redresser les finances publiques ?