Paul Vacca
“De façon informelle, nous avons semble-t-il mis en place des stratégies pour nous aider mutuellement à supporter notre enfermement”
Et si nous étions tous, depuis quelques semaines, en train de participer à un énorme escape game ?
Ce que nous vivons actuellement ressemble à s’y méprendre à un de ces jeux de rôles grandeur nature, très en vogue avant le confinement, où il s’agit de mettre en place collectivement une stratégie pour s’évader d’un lieu physique. L’enjeu, ici, consisterait plutôt à trouver un exutoire psychologique à notre confinement (car rappelons-le à toutes fins utiles : la règle du jeu stipule que l’on doit rester chez soi). De façon informelle, nous avons, semble-t-il, mis en place des stratégies pour nous aider mutuellement à supporter notre enfermement.
Il y a eu, au tout début, ces fameux ” journaux de confinement “. Des tentatives d’esthétisation littéraire de l’enfermement produisant l’effet contraire à celui escompté : faire ressentir à la majorité des lecteurs de façon plus aiguë encore leur confinement. Il est fort probable que l’on retienne plus les pastiches auxquels cela a donné lieu, qui ont au moins permis de s’évader ensemble par le rire, que les originaux.
Autre stratégie d’évasion, l’échange tous azimuts d’idées de lectures ou de films. Pratique courante sur les réseaux sociaux mais qui a pris, dans ce contexte, une tournure spéciale. D’abord parce que cela a donné l’occasion d’échanger beaucoup de titres classiques : ces fameuses sommes littéraires dont on repousse la lecture été après été, comme Guerre et Paix ou A la recherche du temps perdu… Chacun se mettant au défi de mettre à profit le temps du confinement pour en faire enfin la lecture. Comme si le confinement était des vacances. Absurde, dans la mesure où, techniquement parlant, de nombreuses personnes étaient encore plus occupées que durant l’année – à cause de la charge cumulée des enfants à la maison, du télétravail et des tâches ménagères. En admettant que dans le contexte anxiogène que nous traversons, certains aient encore l’esprit à se noyer dans la lecture du grand chef-d’oeuvre incontournable.
L’occasion aussi d’enrichir nos ” références pandémiques ” avec des ouvrages comme La Peste de Camus, Le Hussard sur le toit de Giono ou bien des films comme Contagion de Steven Soderbergh… Autant d’ouvrages qui parlent d’épidémie et de catastrophe. On peut rêver mieux comme ” évasion ” ! Et pourtant, paradoxalement, c’est ce dont nous avons besoin dans des périodes pareilles. La littérature d’évasion – l’ escapist fiction, comme disent les Anglo-Saxons – est moins une fiction de fuite du réel – comme le ” bovarysme ” par exemple – qu’une prise de recul nécessaire pour essayer de comprendre la situation inconnue que nous vivons. C’est donc moins une clé pour s’évader qu’offre la fiction qu’une clé pour comprendre. Comme on a pu aussi se rendre compte enfin que ces conseils de lectures avaient plus une valeur d’échange que d’usage. L’important étant surtout l’échange et le partage plus que la lecture solitaire des oeuvres proprement dites. Les oeuvres étant parfois qu’un alibi pour le partage social.
C’est d’ailleurs cette dimension sociale qui a fait brutalement irruption dans nos pratiques numériques comme stratégie pour rendre le confinement moins autarcique : l’explosion des apéros virtuels (les Whatsappero), les chorégraphies collectives via Zoom, les parties d’Animal Crossing, un jeu vidéo sur une île où l’on peut rendre visite à ses voisins sans souci de la distanciation sociale… Ou, plus traditionnel, avec les films classiques repassés en boucle par les chaînes historiques comme autant de rendez-vous collectifs autour de Rabbi Jacob ou de La Grande Vadrouille. Ou bien encore comme les Netflix Parties qui, en permettant de regarder Netflix à plusieurs et à distance, réinventent le lien social de la télévision à papa. Un comble.
Mais aujourd’hui, un autre ” escape game “ nous attend. D’une tout autre envergure. Non plus pour sortir psychologiquement du confinement mais pour trouver une issue à la crise. Nous échapper du monde ancien – celui que le virus a rendu obsolète – pour inventer celui ” d’après “, selon l’expression désormais consacrée. On n’en connaît pas encore les règles précises. Tout ce que l’on subodore, c’est que la partie risque d’être longue, impliquant un grand nombre de joueurs sans frontières. Et comme dans tous les escape games, il nécessitera la mise en place d’un enjeu collectif et d’une collaboration. Car si chacun joue dans son coin, il risque de n’y avoir de sortie pour personne.
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