Le vice-Premier ministre libéral défend un effort “comparable à celui des années Dehaene, sans la croissance”. Raison pour laquelle l’Arizona met aussi en œuvre des mesures pour soutenir la compétitivité. Un discours volontariste, contradictoire et qui suscite des oppositions. “Nous sommes déterminés”, assume-t-il.
David Clarinval, vice-Premier ministre MR, défend l’effort budgétaire réalisé par le gouvernement De Wever : “C’est le Tourmalet !”. Le conclave se prolonge, faute d’accord, et la déclaration du Premier ministre, Bart De Wever, sur l’état de l’Union, a été reporté à mardi prochain.
David Clarinval met surtout en avant l’importance des réformes visant à relancer la croissance et affirme sa conviction qu’elles porteront leurs fruits : “Cela marche, déjà…”. Un message aux syndicats, qui ont mobilisé plus de cent mille personnes mardi à Bruxelles.
Entretien en mode combat.
TRENDS-TENDANCES. Les citoyens ne mesurent-ils pas l’ampleur de l’effort budgétaire qui s’impose ?
DAVID CLARINVAL. On ne se rend pas compte que cet effort est comparable à celui que la Belgique a dû faire à l’époque de Jean-Luc Dehaene, il y a une trentaine d’années. Si l’on veut à la fois respecter les objectifs européens, c’est-à-dire revenir à un déficit à 3% du PIB en 2030, mais aussi financer les efforts colossaux décidés en matière de soutien à la défense, on peut chiffrer cet effort à pratiquement 20 milliards d’ici 2030. Or, le taux de croissance n’est plus celui qui était de mise à l’époque Dehaene.
Lire aussi| Budget, encore un effort
On parlait alors de 2 à 3%, nous sommes aujourd’hui autour de 1%…
Exact ! En outre, nous enregistrons des dérapages en matière de dépenses qui sont structurels, avec le vieillissement de la population et la santé. Les conditions sont très difficiles. C’est une tâche titanesque.
Pourquoi exclure de nouvelles taxes dans un contexte aussi difficile ?
Quand Vooruit veut de nouvelles taxes, c’est clairement un problème pour nous. Et ce n’est pas qu’une position idéologique. Si l’on regarde les chiffres, la Belgique est un des pays les plus taxés au monde, tant sur le capital que sur le travail. On ne le dit pas assez, mais sur le capital, nous sommes le deuxième pays de l’Union européenne qui le taxe le plus avec 10,6%, loin devant l’Allemagne qui est à 7% – et je ne parle même pas de l’Estonie à 2%. Ce chiffre ne tient même pas compte de la nouvelle taxe sur les plus-values décidée. Sur le travail, on atteint un taux de 52,4% en 2024, c’est le plus élevé de l’OCDE. La Belgique a atteint un plafond et pour nous, il n’est pas raisonnable, et il est même vexatoire, de venir avec de nouvelles taxes.
C’est un casus belli pour le MR ?
Le message est clair : il n’y a pas de place pour augmenter les impôts. En revanche, quand on regarde objectivement le budget, on voit qu’il y a des dérapages en dépenses. En Sécu, la dotation de l’équilibre a augmenté de 135% entre 2022 et 2025, soit un dérapage de 4,6 milliards, rien que sur les salariés. Et cela en trois ans ! Celle des travailleurs indépendants, dans le même temps, a augmenté de 15 millions.
À quoi cela est-il dû ?
D’une part, cela est dû au coût des pensions en raison du vieillissement de la population. Mais d’autre part, un récent rapport de l’Inami montre surtout qu’il y a des abus dans l’assurance maladie-invalidité.
Ce sont ces fameux malades de longue durée qui n’auraient, dans les faits, plus droit à leur indemnité ?
Soyons précis : il y a évidemment des gens malades qui doivent bénéficier d’un accompagnement et avoir le temps nécessaire pour se soigner, c’est fondamental. Nous ne remettons pas cela en question. L’Inami a fait des contrôles thématiques sur les reconnaissances d’invalidité octroyées jusqu’à l’âge de la pension en 2024. Les chiffres démontrent lors ce contrôle que pour 27 % des cas, soit une personne malade sur quatre, l’invalidité peut être arrêtée directement et ces personnes peuvent reprendre le travail. Dans 55 % des cas, les malades sont inaptes à travailler, mais pas jusque l’âge de la retraite !
Ce n’est pas moi qui le dis, c’est repris dans ce rapport de l’Inami. Nous estimons que l’on peut faire plus d’un milliard d’euros d’économies, rien qu’avec cette mesure-là. Selon nous, c’est l’Inami qui devrait contrôler les faux malades plutôt que les mutuelles. Nous voulons éviter les abus, et ce n’est que justice, parce que les gens qui travaillent sont taxés à des taux importants pendant que d’autres profitent de la solidarité, sans être véritablement malades.

Qu’en pense le ministre socialiste des Affaires sociales ?
Même Frank Vandenbroucke reconnaît les faits. Il y aura bien une quatrième vague de mesures pour contrôler les malades de longue durée. Il n’était pas resté les bras croisés jusqu’ici, mais il fallait aller plus loin. Nous, nous aimerions, en outre, que l’Inami prenne le relais des mutuelles pour le contrôle parce qu’elles sont juges et parties : elles payent les indemnités et assurent les contrôles, ce n’est pas optimal. Pour prendre une image simple, ce ne sont pas les comptables qui exercent le contrôle fiscal des entreprises pour l’État, c’est le SPF Finances. Les comptables sont là pour les aider et les accompagner à faire les déclarations, c’est tout.
Il y aura bien une quatrième vague de mesures pour contrôler les malades de longue durée.
Il y a une forte contestation sociale contre l’Arizona. Que dites-vous à ceux qui manifestent contre vous ?
Je peux comprendre que certains puissent avoir peur parce que les partis de gauche et d’extrême gauche instrumentalisent la situation et propagent des fake news dans les entreprises. Dans le dossier du travail de nuit, par exemple, ils font croire aux travailleurs qu’ils vont perdre leur prime de nuit, qu’ils devront travailler plus pour gagner la même chose : c’est totalement faux ! Le PTB et le PS ont une large responsabilité dans l’inquiétude que ressentent beaucoup de travailleurs. C’est irresponsable ! Nous demandons simplement à pouvoir expliquer ce que l’on fait.
L’objectif de notre gouvernement, c’est de récompenser les gens qui travaillent et leur donner du pouvoir d’achat. C’est notre leitmotiv ! La réforme fiscale donnera 150 euros en plus, par mois, à tous les isolés et 270 euros en plus pour les familles. On va augmenter le salaire minimum, permettre l’octroi de chèques-repas, favoriser la création d’emplois via la diminution de la cotisation sociale… Cela augmentera le salaire poche des travailleurs, tout en diminuant la contribution des entreprises.
C’est un fameux contraste, non ? Vous réalisez un effort budgétaire sans précédent, mais vous prenez ces mesures positives : l’opposition dit que vous creusez vous-mêmes le déficit !
Je leur réponds que les réformes, tout le monde en a parlé pendant des années, mais nous, nous les concrétisons. Je ne parle pas dans le vide : j’ai déjà fait la réforme du chômage, les diminutions de cotisations sociales, la réforme du travail étudiant, la suppression des emplois Rosetta… Il y a une dizaine de réformes qui sont en cours, rien que dans le chapitre emploi. Nous mettons en œuvre, par ailleurs, des réformes pour retrouver la compétitivité des entreprises, avec ces mesures sur le travail, mais aussi la diminution des coûts énergétiques. Il y a une volonté de lutter contre les surcharges administratives, nous nous inscrivons dans la stratégie européenne Omnibus.
Bref, on avance et je peux comprendre que certains, les syndicats par exemple, n’ont pas été habitués à ce que l’on réforme autant. Pendant des années, nous avons été dans l’attentisme, alors que nous devons gravir un col hors catégorie. C’est le Tourmalet ! Ces réformes visent à remettre le budget sur les rails, tout en améliorant le pouvoir d’achat des travailleurs et en améliorant la dynamique économique. Vous allez me dire que c’est miraculeux…
En effet : contradictoire, à tout le moins !
J’ai évoqué la question des dépenses à réduire, mais nous développons, par ailleurs, une stratégie de croissance. C’est vital ! Je l’ai dit : du temps de Jean-Luc Dehaene, la croissance était supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui.
Les temps ont changé, la conjoncture internationale est moins bonne, non ?
C’est vrai, d’où la nécessité de réformes pour soutenir la croissance. C’est ce que je vous ai dit avec la diminution de cotisations sociales, mais c’est aussi le cas avec la norme énergétique, que mon collègue Mathieu Bihet va mettre en place dès le début de l’année prochaine, ou encore avec les mesures pour rendre l’emploi plus flexible et plus dynamique. Dans l’épure budgétaire, nous avons proposé au Premier ministre de mettre en place cette stratégie de croissance : pour atteindre nos objectifs, il ne faut pas que des efforts en dépenses, mais aussi des perspectives de croissance. Cela aurait des effets retour pour l’économie. Un chômeur qui travaille, c’est 30.000 euros nets de bonus pour le budget de l’État.
C’est l’essence de la limitation des allocations de chômage dans le temps, qui entre en vigueur le 1er janvier 2026…
Nous avons phasé sa mise en œuvre. Le 1er janvier 2026, cela ne concerne que les personnes au chômage depuis plus de 20 ans. Le 1er mars 2026, celles qui y sont depuis 8 à 20 ans. Et le 1er avril, depuis 2 à 8 ans. J’entends beaucoup de critiques à ce sujet, mais cela marche, déjà. C’est corroboré par des contacts que j’ai sur le terrain : de nombreuses entreprises me disent qu’elles reçoivent beaucoup plus d’offres spontanées qu’auparavant ou qu’il y a davantage de candidats qui répondent à leurs offres. Même dans mon village, je peux vous citer des cas de gens qui se sont soudainement remis à travailler.
La stimulation fonctionne donc ?
Oui, et c’est normal. On avait, en Belgique, une culture de l’apathie et de l’inertie. On recevait des moyens tout en s’occupant d’activités sur le côté. Cette approche “socialisante”, c’est terminé. On remet l’emploi au cœur de notre action en limitant les allocations de chômage. On me dit que deux ans, c’est terrible, mais en Allemagne, c’est un an, et en France, 18 mois : nous sommes plus généreux.
Vous ne craignez pas un tsunami vers les CPAS à partir du 1er janvier prochain ?

Je ne pense pas qu’il y aura de tsunami, d’une part parce nous avons prévu des moyens supplémentaires pour les CPAS, et d’autre part parce que nous l’avons phasée dans le temps. Le seul problème, c’est que l’on a attendu trop longtemps avant de faire cette réforme. Il y a un nombre important de personnes qui sont au chômage depuis plus de 20 ans, ce qui provoquera un pic. L’impact aurait été moins important si on l’avait décidé plus tôt. Mais soyons clairs : nous ne voulons pas transférer ces gens vers les CPAS, notre objectif, c’est qu’au moins 33% d’entre eux travaillent. C’est bon pour le budget, pour l’économie, mais aussi pour ces personnes elles-mêmes, c’est émancipateur.
L’accompagnement de cette réforme au niveau de la formation se met-il assez vite en place ?
La Flandre est prête. La Wallonie avance vite, mon collègue Pierre-Yves Jeholet, ministre wallon de l’Économie, me l’a confirmé. Le Forem se réorganise. Malheureusement, nous avons des inquiétudes en Région bruxelloise, faute de gouvernement, mais aussi parce que certains sont partis dans l’optique d’une lutte contre la réforme. Je ne parle pas de Bernard Clerfayt (DéFi), ministre de l’Emploi, qui semble prendre la mesure des choses. C’est important parce que Bruxelles est un endroit clé, avec un taux de chômage parmi les plus importants.
La compétitivité des entreprises est importante, dites-vous : les CEO aimeraient une révision de l’indexation automatique des salaires. C’est envisageable ?
La compétitivité est une obsession pour moi. On le fera avec des mesures transversales et sectorielles. Le premier point, je l’ai dit, c’est le coût énergétique : non seulement l’Europe est plus chère que le reste du monde, mais la Belgique est aussi plus chère que ses voisins. La norme énergétique y contribuera. Le deuxième point, ce sont les salaires. Vous avez raison de dire que, dans un monde de macroéconomistes, cette indexation des salaires représente un coût important pour les entreprises confrontées à la concurrence de l’étranger. C’est un fait.
La compétitivité est une obsession pour moi. On le fera avec des mesures transversales et sectorielles.
Mais sur ce dossier, nous avons un accord au sein de gouvernement et je suis un ministre loyal : on ne touchera donc pas à l’indexation automatique des salaires. Dans le même deal, les partenaires m’ont autoriser à faire des réformes importantes pour moderniser le marché du travail. Je m’y emploie. Outre le pouvoir d’achat, il y a les flexi-jobs, le travail étudiant, les heures supplémentaires, la clause d’essai, le plafonnement des préavis, l’annualisation des horaires, le travail de nuit, etc.
Cela va-t-il soutenir suffisamment les entreprises ?
Bien sûr, c’est un fait. Les investissements importants annoncés récemment par Amazon et Google dans notre pays le confirment : ces réformes créent un climat attractif pour l’investissement, l’emploi et la compétitivité, et leurs effets se font déjà sentir. Une troisième couche de mesures concerne la simplification administrative, en lien avec l’Europe : on doit faire la transition avec les entreprises, pas contre elles. Nous devons aussi trouver des moyens pour les accompagner : le rapport Draghi prévoyait 800 milliards, nous en sommes loin. À côté de cela, des mesures sectorielles s’imposent. Vous avez vu que la Commission européenne a imposé des droits de douane de 50% dans le secteur de l’acier.
C’est du protectionisme…
On n’appelle pas ça du protectionnisme, mais de la “souveraineté ouverte”. Je suis un libéral, et les libéraux sont en faveur d’un marché libre, mondialisé et ouvert. Mais un libéral est aussi favorable à une concurrence loyale. Or, aujourd’hui, quand on voit le dumping chinois ou les attaques agressives des États-Unis, on constate que nous ne sommes plus dans un marché loyal. Nous devons garder un très grand nombre de marchés ouverts, mais veiller aussi à défendre nos entreprises. Comme le disait le président français, Emmanuel Macron, nous ne devons plus être un herbivore au milieu des carnivores.
Je me répète : c’est tout de même un fameux pari que vous faites en liant diminution des dépenses et stratégie de croissance. Les économistes insistent sur le fait que les effets retour sont très aléatoires et la conjoncture mondiale n’est pas la plus simple…
Nous sommes déterminés sur le plan budgétaire et nous prenons nos responsabilités. Si on ne réagit pas maintenant, ce sont les générations futures qui le payeront. Un scénario catastrophique pourrait même survenir plus rapidement. On ne veut pas se retrouver dans une situation de faillite. Notre gouvernement a une vision claire, nous partageons la même analyse avec Bart De Wever : budget, pouvoir d’achat et compétitivité sont trois compléments indispensables de la solution.
Suivez Trends-Tendances sur Facebook, Instagram, LinkedIn et Bluesky pour rester informé(e) des dernières tendances économiques, financières et entrepreneuriales.