David Clarinval (MR): “Les manifestations sont prématurées et manipulées”
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Le vice-Premier ministre libéral défend l’accord de gouvernement fédéral qui vise à créer 550.000 emplois. “Ambitieux, mais réaliste”, dit-il, en détaillant les mesures. Il prône la concertation sociale, mais regrette certains discours syndicalistes excessifs et l’agitation de l’opposition. “Les défis, nous devons les relever tous ensemble.”
Vice-Premier ministre du gouvernement De Wever, David Clarinval (MR) a la lourde tâche de porter l’un des enjeux majeurs de l’accord : la création de 550.000 emplois en une législature. “C’est la première fois depuis 104 ans qu’il y a un libéral au ministère du Travail, entame-t-il d’emblée. Le dernier ministre libéral en date s’appelait Ernest Mahaim, en 1921. Dans toute l’histoire du pays, ce fut d’ailleurs le seul. Cette matière a longtemps été confisquée par les socialistes. C’est donc une vraie révolution et l’ambition est importante. J’avais dit à Georges-Louis Bouchez que j’étais tenté d’embrasser ce défi. Je peux comprendre qu’il y ait des inquiétudes, mais je m’empresse de les rassurer, je suis là pour travailler avec les administrations et les partenaires sociaux. D’ailleurs, le terme ‘concertation’ se retrouve 46 fois dans l’accord, et 31 fois pour le seul chapitre ‘emploi’. C’est un signe…”
TRENDS-TENDANCES. Le début de cette législature est tendu, les syndicats multiplient les manifestations et les grèves : un coup de semonce ?
DAVID CLARINVAL. Tout d’abord, c’est un signal que l’on doit entendre. Nous devons pouvoir rassurer les travailleurs et les citoyens par rapport à leurs inquiétudes. Mais il y a aussi une forme de manipulation de l’opposition qui agite des fake news pour faire peur aux gens. Quand j’entends le PS dire que l’on va fermer des maternités et des hôpitaux, c’est de la pure affabulation. De même, quand on affirme que l’on fera travailler tout le monde jusqu’à minuit sans maintien des suppléments de salaire négociés dans les conventions, y compris les infirmières, c’est aussi une contre-vérité. On cherche à inciter à manifester. Oui, il y a de vraies réformes dans cet accord et nous serons fiers de les mettre en œuvre, mais ne trompons pas les citoyens.
“Il y a aussi une forme de manipulation de l’opposition qui agite des fake news pour faire peur aux gens.”
Vous avez l’ambition de créer 550.000 emplois. Des experts disent déjà que c’est utopique…
Notre défi consiste à atteindre un taux d’emploi de 80%, ce qui signifie que nous devrions créer 550.000 emplois. C’est énorme, et cela ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. C’est un objectif ambitieux, c’est vrai, mais réaliste. Naturellement, selon les prévisions des économistes, on a une création automatique de quelque 300.000 emplois en raison de l’évolution démographique.
C’est le nombre d’emplois créés au cours de la précédente législature…
Exactement. La génération baby-boom part à la retraite et est remplacée par des jeunes. Ce phénomène devrait se poursuivre sauf s’il y a une guerre ou une crise économique sévère. À cela, il faut ajouter le fait qu’il y a près de 200.000 emplois en pénurie, des offres qui ne trouvent pas de travailleurs. Nous avons plus de 135 mesures sur la table pour fluidifier, flexibiliser et moderniser le marché de l’emploi, en permettant de mieux concilier vie privée et vie professionnelle. Cela devrait permettre d’apporter une réponse à ce souci. De même, il y a des mesures visant à améliorer la compétitivité de nos entreprises : on a prévu plus de 1,5 milliard d’euros de diminutions de cotisations sociales sur les bas salaires, une augmentation du salaire minimum, sans oublier des mesures pour les industries énergivores. La combinaison de toutes ces mesures vise à contribuer à la création de ces emplois.
Un symbole fort, c’est la limitation des allocations de chômage à deux ans. N’est-ce pas une mesure qui concernera surtout la Belgique francophone ?
Avant tout, c’est une vraie mesure. La Belgique était l’un des derniers pays dans le monde avec un système infini dans le temps. Le chômage doit être une assurance octroyée aux personnes subissant un coup dur dans leur vie professionnelle, que ce soit une restructuration, une perte d’emploi ou une difficulté. Dans le nouveau système, on va d’ailleurs augmenter le montant du chômage dans les premiers mois, afin qu’il corresponde davantage au salaire précédent. Ensuite, on le diminuera plus fort et plus rapidement avec un plafond atteint au bout d’un an, avec des prolongations possibles jusqu’à deux ans. La durée sera proportionnelle à la durée de la carrière.
Sachant que cela ne concerne pas les plus de 55 ans ?
Non, cela ne les concerne pas. Évidemment, l’objectif est que les gens retrouvent du travail, pas de mettre tout le monde au CPAS. Selon les données dont nous disposons, en règle générale, un tiers de ceux qui quittent le chômage trouvent du travail. Il faut savoir qu’une personne retrouvant du travail, cela a un impact de 28.000 euros nets par an pour la sécurité sociale : ce n’est pas anecdotique. Un autre tiers, c’est vrai, va être réorienté vers les CPAS, mais aussi avec des activations plus fortes au niveau régional, ainsi que des sanctions pour celles et ceux qui ne cherchent pas activement du travail. Enfin, un dernier tiers disparaît des statistiques parce que cela concerne des situations individuelles ne permettant pas à ces personnes de bénéficier du chômage, parce qu’elles sont rentières, cohabitantes ou disposaient de revenus par ailleurs…
“L’objectif est que les gens retrouvent du travail, pas de mettre tout le monde au CPAS.”
Mais vous n’avez pas répondu : cette réforme concernera-t-elle davantage les francophones ? Le Premier ministre, Bart De Wever, a laissé entendre que c’était une mesure communautaire.
Il y a malheureusement plus de chômeurs en Wallonie qu’en Flandre, c’est vrai. Mais l’accord du gouvernement prend également des mesures radicales en matière de pensions, et il y a davantage de pensionnés en Flandre qu’en Wallonie. Si on veut avoir une lecture communautaire, il faut tenir compte de ces deux dimensions-là. Cela fait 1-1, balle au centre.
Les malades de longue durée sont plus de 500.000 en Belgique, on s’oriente rapidement vers les 700.000. Avez-vous une recette miracle ?
Avant tout, je tiens à préciser que les gens malades, souffrant d’un cancer ou d’une situation de détresse physique, ne sont pas concernés par nos mesures. Ceux-ci doivent être protégés par l’assurance-maladie, que ce soit clair ! Là encore, j’ai entendu que l’on voulait activer des personnes en maladie profonde, c’est faux. Mais il est vrai que les chiffres augmentent de façon préoccupante : nous étions à 526.000 salariés malades de longue durée en 2023, et nous allons effectivement vers les 700.000. C’est plus important que le chômage. Il y a un usage malsain, ou en tout cas détourné, de cette assurance.
Mais comment agir ?
Nous avons prévu un plan global comportant quatre axes, ciblant avant tout les malades en état de travailler. Ensuite, nous ciblerons aussi les mutuelles, qui ne sont pas assez actives dans la remise au travail de ces personnes, comme en témoigne un rapport de l’Inami. Nous ciblerons aussi ces médecins qui donnent parfois des certificats de complaisance en masse. Enfin, cela concerne aussi les employeurs. Des mesures préventives seront également prévues, comme le “droit au rebond” qui permet à des travailleurs de prendre un nouveau départ. J’ai une expérience dans le privé, je peux vous dire que certains arrivent en maladie parce qu’il y a un conflit dans leur entreprise ou qu’ils ne s’y sentent pas bien. Plutôt que de les réorienter ou de les changer de service, on les couvre avec un certificat de maladie. Cela ne va pas : la sécurité sociale paie, dans ce cas, un problème de flexibilité du travail. Le “droit au rebond” permet de prendre le temps de se réorienter sans passer par la case ‘maladie’.
Vous évoquiez la réforme fiscale qui accroît l’écart entre les bas salaires et les allocations sociales. Mais l’ambition a été fortement revue à la baisse, non ?
Quand vous connaissez la situation budgétaire de la Belgique et les efforts demandés à tout le monde, avec des diminutions de dépenses colossales, pouvoir utiliser 6 milliards d’euros pour le pouvoir d’achat et la compétitivité, avec 1,5 milliard de diminutions de cotisations, ce n’est pas mal. Idéalement, j’aurais évidemment voulu aller plus loin, mais l’équilibre auquel nous sommes arrivés me satisfait. Il y a un vrai bouquet de mesures positives pour récompenser ceux qui travaillent.
On ne réforme pas l’indexation des salaires, alors que le patronat réclamait une réforme. Et que le sujet était à la table des négociations. Vous regrettez ce recul ?
Le débat a effectivement été mené longuement lors des négociations. La conclusion a été, en effet, que l’on ne toucherait pas à l’indexation des salaires, ni à la loi de 1996 sur la modération salariale. C’est un compromis. Ce système protège le pouvoir d’achat des salariés et est un de piliers de notre système. Il y avait des pistes pour le réformer, notamment l’annualisation ou un lissage, mais cela n’a pas été retenu. Cela étant, nous demandons aux partenaires sociaux de faire une évaluation de l’indexation avant la fin 2026 pour analyser l’impact sur la compétitivité et les finances publiques. Ils pourront proposer des mesures ciblées pour éviter des augmentations trop brutales des coûts salariaux.
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Imaginons que la conjoncture soit mauvaise, pourrait-il y avoir des sauts d’index ?
Non, ce n’est pas prévu. Mais si les partenaires sociaux s’entendent sur cette réforme, on l’appliquera évidemment.
Dans le cadre de la réforme des pensions, des mesures sont prévues pour les fins de carrière. C’est un autre volet important pour le retour à l’emploi ?
En Belgique, on part encore trop tôt à la pension. Il y a des mesures visant à rencontrer cette difficulté, dont la fin des régimes spéciaux pour les militaires ou les cheminots qui partent encore à 55 ans. Il y a une phase de transition pour aligner ces régimes sur la pension classique à 65, 66 ou 67 ans.
Cela alimente la colère des syndicats.
Honnêtement, quand je vois qu’un chauffeur de poids lourd part à la pension à 65 ans ou plus, et que son voisin de palier qui conduit une locomotive part à 55 ans, je trouve qu’il y a une forme d’injustice sociale. Cela me paraît évident de réformer en ce sens, à l’heure où l’on peut vivre jusqu’à 80 ans. Mais, je le répète, une période de transition assez longue est prévue. Par ailleurs, nous allons adopter une mesure positive qui est la possibilité de partir à la retraite à 60 ans si vous avez une carrière de 42 ans. C’est une belle avancée sociale qui récompense, là encore, ceux qui travaillent.
Au-delà de 55 ans, les entreprises n’engagent plus facilement, comment faire ?
Le constat est correct. C’est pour cela que nous les protégeons en laissant les plus de 55 ans hors de la réforme du chômage. Mais les flexi-jobs permettent, par ailleurs, à des personnes en fin de carrière de s’investir sur le marché du travail.
À l’autre bout du spectre, les jeunes rentrent de plus en plus tard sur le marché du travail, les études s’allongent… Comment rendre le sens du travail ?
Le leitmotiv de ce gouvernement, c’est de récompenser les gens qui travaillent. Pour nous, le travail n’est pas un gros mot, contrairement à certains dans l’opposition affirmant que c’est une punition. C’est aussi le cœur de notre sécurité sociale permettant de redistribuer les richesses. Pour les jeunes, il y a pas mal de mesures pour soutenir le travail étudiant, les étudiants entrepreneurs, les heures supplémentaires pour les jeunes qui le souhaitent, des horaires en accordéon pour les jeunes familles… J’insiste : tout cela est fait avec l’accord du travailleur.
Avez-vous l’impression que l’on prend suffisamment la mesure de la situation actuelle : situation budgétaire difficile, compétitivité menacée en Europe, contexte géopolitique troublé… ?
J’ai quelques sources d’inquiétude par rapport à la situation mondiale. Sous l’impulsion de Donald Trump, il y a la volonté américaine de faire ‘America First’. Mais c’était déjà une tendance qui était à l’œuvre sous Joe Biden avec l’Inflation Reduction Act (IRA). Ils sont venus chercher des investissements énormes de nos industries. Ils ont une stratégie visant à rendre l’énergie abondante et bon marché. D’un autre côté, les Chinois ont une politique de dumping avec leurs coûts salariaux moins élevés, mais aussi des aides d’État importantes pour casser les prix des panneaux solaires ou des voitures électriques. Nous, Européens, sommes pris en tenaille en étant d’une grande naïveté.
Sommes-nous victimes d’une forme de conservatisme social et de la volonté de garder nos acquis ?
Je ne remets pas en cause les acquis sociaux. Ce que je veux dire, c’est que l’Europe doit avoir une stratégie industrielle, déterminer les secteurs qu’elle veut protéger, développer, faire croître… Le contexte de souveraineté doit être central au niveau industriel, énergétique, agricole ou en matière de défense. Si nous ne sommes pas capables de le faire, nous serons dépendants du reste du monde. Nous devons nous défendre face à des empires qui renaissent partout dans le monde. C’est pour cela que dans l’accord de gouvernement, nous avons prévu un plan de relance et de soutien des industries, mis en place avec les Régions. J’insiste sur les industries parce que sans cette base-là, le reste du monde économique en pâtira. C’est le moteur qui crée des richesses et qui permet à tout le monde de se développer.
Ce gouvernement veut récompenser le travail, mais en appelle-t-il à la responsabilité de chacun ? Il y a des mouvements sociaux un peu partout, une grève nationale annoncée le 31 mars, est-ce bien raisonnable ?
Nous sommes déjà un pays où les grèves et les manifestations sont les plus nombreuses. Je ne remets pas ce droit en cause, mais je l’ai dit au Parlement : je trouve que ces manifestations sont à tout le moins prématurées, regrettables et manipulées. Ces défis auxquels nous faisons face, nous devons les relever tous ensemble. Quand j’entends certains délégués syndicaux dire qu’il faut “faire mal à l’économie (pour être entendu, ndlr)”. Je trouve cela fou : on ne sert personne en faisant cela, même pas les affiliés de la FGTB. Ce n’est pas intelligent, même si l’on peut comprendre qu’il y a des sensibilités différentes.
“Nous devons nous défendre face à des empires qui renaissent partout dans le monde.”
Comment cela se passe-t-il avec Bart De Wever ?
Je le connaissais peu avant ces négociations, j’ai découvert un homme très agréable, à l’écoute, équilibré dans ses prises de positions… J’ai été séduit par cette personne et je ne doute pas qu’il continuera dans l’intérêt général.
Le PS affirme que les francophones se sont fait avoir, que le ver communautaire est dans le fruit…
Nous devons évidemment être prudents et attentifs. Mais honnêtement, ce que les socialistes énoncent, c’est de la pure agitation pour faire peur aux gens. Personne n’est dupe. L’accord de gouvernement est équilibré et veille à une concertation avec les Régions, que j’ai déjà initiée.
• 1976 : Naissance à Dinant, le 10 janvier
• 2001 : Bourgmestre de Bièvre
• 2007 – 2020: Député fédéral
• 2019 – 2020 : Ministre fédéral de la Fonction publique et du Budget
• 2020 – 2025 : Vice-Premier ministre MR, en charge des Classes moyennes, des PME et Indépendants.
• Depuis février 2025 : Vice-Premier ministre MR, en charge de l’Emploi et de l’Économie.
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