Contrat du siècle de la SNCB : l’auditeur du Conseil d’Etat recommande de rejeter le recours d’Alstom

L’auditeur du Conseil d’Etat recommande de rejeter le recours en annulation déposé par le constructeur de trains Alstom. Ce dernier estimait avoir été lésé dans une procédure d’adjudication de marché public lancée par la SNCB il y a quelques années pour le renouvellement de la flotte de la compagnie belge. Dans cette procédure, c’est la société espagnole CAF qui a été désignée soumissionnaire préférentielle, au détriment d’Alstom et de Siemens.

Le contrat de service public de la SNCB stipule que la moitié de sa flotte doit être renouvelée d’ici 2032. Elle a lancé à ce titre un appel d’offres européen pour un contrat-cadre destiné à la livraison de nouvelles automotrices, quelque 600 rames dans un premier temps, pour un montant estimé entre 1,7 et 3,4 milliards d’euros.

Le conseil d’administration de la SNCB avait jeté son dévolu en février dernier sur le groupe CAF (Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles). Cette décision avait été suspendue par le Conseil d’État en avril, estimant qu’elle manquait de transparence. L’entreprise ferroviaire a finalement confirmé le 23 juillet dernier l’option CAF, devant le groupe français Alstom et l’entreprise allemande Siemens.

Toutes les parties se retrouvaient mardi devant la chambre des référés du Conseil d’Etat. Alstom dénonce le manque de transparence de la SNCB dans l’appel d’offres, avançant que la compagnie ferroviaire peine à justifier le choix de CAF comme soumissionnaire préférentiel. Selon les conseils d’Alstom, la méthode d’évaluation a été changée en cours de route et la SNCB aurait tout misé sur la spécificité technique alors que d’autres éléments d’appréciation avaient été annoncés dans le cahier d’attribution, comme le design extérieur. “Il n’a pas été possible de distinguer les offres au regard de leurs mérites respectifs”, pointe Me Mathieu Thomas.

“Pas d’erreurs flagrantes”

L’auditeur a toutefois relevé que les méthodes de calcul de la SNCB dans le cadre de cet appel d’offres semblaient tenir la route et qu’elles ne laissaient pas apparaître des erreurs d’appréciation flagrantes dans les analyses des plus-values et des moins-values de la candidature soumise par Alstom. L’auditeur a noté que la SNCB avait tenu compte du précédent arrêt rendu par l’instance administrative le 17 avril dernier, déjà dans le cadre d’un recours introduit par Alstom. L’auditeur ne constate pas de “violation avérée des conditions de concurrence” au sein de l’appel d’offres.

Pour le représentant de CAF, la procédure a été respectée pour tous les candidats. “Il est rarissime qu’un cahier de charges mentionne en détail les appréciations que l’adjudicateur donnera à chaque élément. C’est un standard impraticable qui ouvrirait la porte à de multiples contestations devant le Conseil d’Etat”, a commenté un des avocats de la société espagnole.

“Nous savions que la désignation de CAF n’allait ravir ni Alstom, ni Siemens, les deux étant presque en situation de duopole sur le marché ferroviaire”, observe dans sa plaidoirie Me Barteld Schutyser qui représente la SNCB. “CAF gagne des parts de marché partout en Europe et engrange des contrats sans qu’il y ait la moindre contestation”, poursuit l’avocat, rappelant que la Stib a commandé des dizaines de rames de métro auprès de Caf, dans un passé récent. Mais c’était avant le 7 octobre 2023…

Israël

Quatre ASBL, 11 11 11, Vrede, Intal (Globalize Solidarity) et Al Haq Europe, s’étaient également associées au recours en annulation. Elles dénonçaient l’implication de CAF dans les territoires occupés par Israël en Palestine. “Depuis 2019, CAF participe à l’extension du Jerusalem Light Rail, une ligne qui relie plusieurs colonies israéliennes en territoire palestinien. C’est un projet d’infrastructure à grande échelle qui facilite le déplacement des colons et participe un peu plus au morcellement du territoire palestinien. CAF contribue ainsi de façon déterminante au déplacement forcé”, assène Me Jan Buelens, du réseau Progress Lawyers.

Pour sa collègue Rosalie Daneels, la SNCB commet une “faute professionnelle grave” en ne prenant pas en compte les violations des droits humains en Palestine.
“Annuler la décision de la SNCB aurait une dimension morale importante pour nos clientes qui militent pour la paix au Moyen-Orient depuis de nombreuses années. Elles défendent un intérêt collectif.”

C’est une vision que rejette justement CAF. “La démarche de ce mardi vise à vérifier la légalité d’une procédure d’adjudication et le suivi correct de l’attribution. Les ASBL ne démontrent pas un intérêt à intervenir, à obtenir ce marché. Nous contestons l’objet social avancé qui est beaucoup trop large”, a expliqué le représentant du constructeur ibérique.

Un point de vue que rejoint l’auditeur du Conseil d’État qui, à l’issue des plaidoiries tenues en matinée, a indiqué que l’intervention des quatre associations dans cette affaire devait être considérée comme irrecevable car elles n’entrent pas en ligne de compte pour une procédure de marché public.

Le conseil des ASBL ne semblait pas résigné après le constat de l’auditeur. “Nous déplorons que les associations soient mises de côté; à nos yeux le respect des droits humains doit être une question primordiale.” L’avocat estime que la démarche des ASBL doit tout de même constituer un signal fort pour la compagnie. “La SNCB ne doit pas considérer que c’est fini. L’auditeur a dit qu’avant désignation définitive, elle va devoir réaliser une analyse en profondeur sur les liens entre CAF et les droits humains.”

Mehdi Sahli, de l’ASBL Intal, nourrissait également des sentiments mitigés mardi soir. “On entend le caractère technique de la procédure mais cela reste un mauvais signal envoyé par l’auditeur. Nous, on sait que nos arguments sont valides avec ce qu’il se passe là-bas.” Intal va suivre de près la suite du dossier et l’enquête que la SNCB va mener auprès de CAF concernant les droits humains au Moyen-Orient.

Réactions politiques

Le choix de CAF avait aussi suscité de vives réactions politiques et syndicales. En Belgique, le groupe français dispose en effet de deux centres d’excellence à Charleroi et d’un site de fabrication à Bruges (ex-Bombardier). Les 600 travailleurs de la Venise du Nord s’inquiètent pour l’avenir de l’usine si un tel contrat leur filait entre les doigts.

Une trentaine de militants FGTB et CSC s’étaient d’ailleurs rassemblés mardi matin devant le siège du Conseil d’État, square Frère-Orban à Bruxelles.

L’avis de l’auditeur est généralement suivi par le Conseil d’Etat. L’instance doit se prononcer dans les prochains jours. Mercredi, une nouvelle audience est prévue, devant des conseillers néerlandophones cette fois, qui se pencheront sur le recours en annulation introduit par Siemens.

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