Comptes étrangers: le fisc vous tient à l’oeil

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Sébastien Buron
Sébastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Contrôles ciblés, lettres informatives : conséquence de l’échange international de renseignements, le fisc s’intéresse, ces derniers temps, de très près aux comptes détenus par les Belges à l’étranger.

Comme chaque année, le fisc a annoncé un certain nombre d’actions de contrôle avec l’espoir que cette mise en garde encouragera les contribuables à remplir correctement leurs obligations fiscales. Du côté des particuliers, seront examinées à la loupe les déductions de frais professionnels ou de rentes alimentaires, les revenus locatifs provenant de la location d’un bien affecté par le locataire à des fins professionnelles, ainsi que les déclarations de revenus mobiliers (intérêts, dividendes) issus d’un compte ouvert auprès d’une banque en dehors de nos frontières.

Certains ont-ils du souci à se faire ? Peut-être, mais une chose est sûre, pour François Parisis, directeur du département d’ingénierie patrimoniale à la Banque Transatlantique, il n’est pas étonnant de voir l’administration fiscale s’intéresser de la sorte aux comptes détenus par des Belges à l’étranger. ” C’est même dans la logique des choses dès lors que le Luxembourg et la Suisse, deux destinations privilégiées par les Belges pour y loger des fonds, communiquent désormais au fisc des informations sur leurs non-résidents fiscaux d’origine belge, dit-il. Depuis l’an dernier, la Belgique reçoit du Luxembourg et de la Suisse toutes les informations sur les contribuables qui y détiennent un ou plusieurs comptes bancaires. ”

+ 30 % La hausse du nombre de comptes étrangers déclarés au fisc sur ces cinq dernières années.

C’est d’ailleurs aussi l’avis de la fiscaliste Sabrina Scarnà pour qui il est effectivement normal que l’administration agisse ainsi. A vrai dire, ” il serait anormal qu’elle ne le fasse pas, assure-t-elle. L’échange d’informations fonctionne bien. Tous les pays participent et l’administration est vernie. Elle reçoit tout ce dont elle a besoin, et même plus. Pour les assurances-vie par exemple, elle est non seulement mise au courant de l’identité du preneur mais aussi de toute personne qui a un droit économique sur le contrat. Maintenant, elle doit se rappeler que sa mission est de vérifier si les revenus ont bien été déclarés et pas de faire une cartographie du patrimoine des gens. ”

Comme le soulignent nos deux experts, Sabrina Scarnà et François Parisis, l’étau s’est considérablement resserré sur les avoirs des contribuables suite à la mise en route de l’échange international d’informations. Ce système, baptisé CRS (pour Common Reporting Standard), oblige les banques d’une centaine de pays à travers le monde à communiquer, tous les ans, les avoirs financiers détenus par leurs clients non-résidents. Avec comme conséquence très concrète pour les habitués de la route d’Arlon (et plus loin…) le fait que le SPF Finances sait désormais si vous avez un compte à l’étranger. Même au Luxembourg et en Suisse. Et surtout combien il y a dessus.

Plus de 160.000 comptes

On ne sera du coup pas étonné d’apprendre que le nombre de Belges qui ont dévoilé à l’administration l’existence d’un compte à l’étranger a fortement augmenté au cours des dernières années. Alors que le fisc avait connaissance de l’existence de 128.000 comptes détenus par des Belges à l’étranger en 2013, il en dénombre aujourd’hui plus de 160.000 ( voir infographie). En cinq ans, le nombre de comptes étrangers déclarés au fisc a donc crû considérablement (+ 30%).

Ici aussi, la tendance n’étonne nullement François Parisis. En effet, ” les contribuables concernés se sont souvenus qu’ils avaient un compte à l’étranger (qui leur sert peut-être uniquement à payer les charges d’un appartement détenu en France), et que cela allait inévitablement arriver aux oreilles du fisc à cause de l’échange d’informations fiscales. Pour calmer les ardeurs de l’administration, ils ont donc coché la case ‘compte à l’étranger’ et ont commencé à déclarer les revenus perçus sur celui-ci “. Une obligation, qui rappelons-le, vaut pour tous les types de comptes : comptes à vue, d’épargne, à terme ou comptes-titres ouverts dans une institution bancaire étrangère. Sans oublier qu’il convient également de mentionner les comptes du partenaire avec qui l’on est marié ou l’on vit en cohabitation légale, ainsi que ceux des enfants mineurs. Tout cela même si le compte n’a été ouvert que pour une brève période en 2018 : il faut en faire mention dans votre déclaration 2019. Y compris les comptes dont vous êtes peut-être sans le savoir titulaire en tant que client des néobanques allemande N26 ou britannique Revolut, de la plateforme néerlandaise de trading online De Giro, ou du gestionnaire de portefeuille robotisé Birdee dont les comptes des clients sont localisés au Luxembourg.

Le nombre de Belges ayant signalé un compte à l'étranger a explosé ces dernières années..
Le nombre de Belges ayant signalé un compte à l’étranger a explosé ces dernières années..

Difficile d’encore cacher quelque chose

Bref, les efforts déployés par la communauté internationale pour accroître la transparence au moyen de l’échange automatique de renseignements sur les comptes financiers génèrent des résultats tangibles pour la Belgique. ” Il est clair que la tendance n’est pas à l’ouverture de nouveaux comptes au Luxembourg et en Suisse, en tout cas pour les raisons du passé, note Sabrina Scarnà. Cacher quoi que ce soit n’est plus possible et ce ne sera plus du tout une raison pour le faire. L’augmentation du nombre de comptes à l’étranger officialisés par les Belges est aussi sans aucun doute liée aux opérations de régularisation de capitaux puisque, une fois le compte régularisé, le contribuable respecte en principe ses obligations de déclaration. ”

Selon les chiffres de l’OCDE (le club des pays riches), plus de 90 Etats ont en effet échangé des renseignements portant sur 47 millions de comptes à l’étranger, pour une valeur totale d’environ 4.900 milliards d’euros. De quoi faire du CRS le plus vaste système d’échange d’informations fiscales de l’histoire, ” marquant ainsi l’apogée de plus de deux décennies d’efforts internationaux pour contrer la fraude fiscale “, s’est félicitée l’OCDE dans un bref communiqué publié le 7 juin dernier en marge du G20 de Fukuoka, au Japon.

Reste que toute médaille a son revers : l’administration est en effet confrontée à une grosse difficulté face à cette montagne d’informations qui lui parvient de l’étranger, comme l’explique François Parisis : ” L’administration fiscale rencontre effectivement de grosses difficultés dans l’exploitation des données brutes transmises dans le cadre de l’échange automatique d’informations fiscales “, souligne l’expert de la Banque Transatlantique au regard de cas vécus par sa clientèle. Elle a impérativement besoin de la collaboration du contribuable si elle veut rectifier sa déclaration fiscale. Impossible de faire sans. Et le contribuable a intérêt à répondre aux questions posées par le fisc s’il ne veut pas être taxé d’office. Nombre de contribuables ont reçu ces dernières semaines une demande d’information de leur contrôleur fiscal sur la base des données échangées avec les Etats étrangers (CRS)”, confie François Parisis.

Dans cette lettre, vous avez peut-être été invités à déclarer votre compte à l’étranger alors que vous n’en détenez pas. Ne soyez pas surpris. Le fisc a probablement perdu de vue que l’échange d’informations fiscales à l’échelle internationale ne porte pas seulement sur les comptes bancaires et les assurances-vie à l’étranger mais également sur tous types de comptes financiers – comme des parts nominatives inscrites sur un registre tenu par une institution financière étrangère autre qu’une banque. Résultat des courses : beaucoup de déchets dans les enquêtes menées par le fisc sur base des infos échangées. Et sans doute aussi un certain cafouillage dans l’analyse des données relatives aux revenus et au produit des cessions de titres détenus à l’étranger. Sont-ils ou non taxables ? Pour certains produits d’investissement – comme les fonds communs de placement ou le private equity, des actifs de plus en plus présents dans les portefeuilles des Belges à l’étranger -, le contrôleur fiscal n’est pas outillé pour apprécier si le contribuable a déclaré ce qui devait l’être. D’où le risque d’assister à un dialogue de sourds entre l’administration fiscale et les contribuables.

Contribuables fichés

De fait, ” certains contribuables se retrouvent aujourd’hui fichés pour des placements en private equity effectués à l’étranger par leur banque belge dans le cadre d’une gestion de portefeuille discrétionnaire. Or, dans pareille hypothèse, le contribuable n’a pas de compte à l’étranger ! Alors qu’ils n’ont donc pas de compte à l’étranger mais que le fisc a une information contraire, ils risquent d’être contrôlés alors que par ailleurs, les revenus générés seront imposés, confirme Sabrina Scarnà. Or, c’est à la banque qu’il incombe de prélever le précompte mobilier qui, pour mémoire, est libératoire. Le client n’a rien à faire. Encore une fois, il est normal que l’administration fasse son travail mais elle n’est pas là pour savoir ce qu’il y a sur votre compte en banque. Il est regrettable que le CRS aboutisse à ce que le contribuable doive communiquer des informations sur ses investissements belges “, conclut la fiscaliste.

Plus de 95 milliards récupérés

La divulgation volontaire de comptes, d’actifs financiers et de revenus à l’étranger intervenue en amont du déploiement à grande échelle de l’initiative d’échange automatique de renseignements a permis d’engranger plus de 95 milliards d’euros de recettes supplémentaires (impôts, intérêts et pénalités) pour les pays de l’OCDE et du G20 sur la période 2009-2019. Ce montant a augmenté de deux milliards d’euros depuis les derniers chiffres communiqués par l’OCDE en novembre 2018. Toujours selon l’OCDE, l’impact considérable de l’échange automatique de renseignements sur les dépôts bancaires détenus dans des centres financiers internationaux est considérable. Les dépôts détenus par des entreprises ou par des personnes physiques dans plus de 40 de ces trous noirs de la finance ont considérablement augmenté entre 2000 et 2008, culminant à 1.600 milliards de dollars à la mi-2008. Ces dépôts ont ensuite chuté de 34% au cours de la dernière décennie, soit une diminution de 551 milliards de dollars, à mesure que les pays ont adhéré à des normes de transparence plus strictes. Une grande partie de cette baisse (les deux tiers environ) serait, selon les calculs de l’OCDE, due au déclenchement de l’initiative d’échange automatique de renseignements, lequel aurait conduit à un recul de 20 à 25% des dépôts bancaires dans les paradis fiscaux.

Chez nous, la quatrième régularisation fiscale a déjà permis de “blanchir” 1,2 milliard d’euros. Depuis le début de cette année, 127 dossiers ont été introduits pour un montant de 109 millions d’euros.

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