Comment les économies allemande et japonaise se sont “miraculeusement” relevées après la Guerre

Berlin, à la fin de la Seconde Guerre mondiale © AFP

“Miracle”: ainsi désigne-t-on la spectaculaire transformation des deux grands vaincus de la Seconde guerre mondiale, l’Allemagne et le Japon. Retour sur les destins parallèles de ces deux puissances économiques mondiales, 70 ans après leur capitulation.

1945, année zéro: les deux pays sont ruinés, ravagés par un conflit d’une violence inouïe.

Au Japon, un quart de la richesse nationale (Produit national brut) d’avant-guerre s’est évaporé. Pourtant, l’Archipel va parvenir à s’ériger en 1968 au rang de deuxième économie planétaire, fort d’une croissance de 9% par an en moyenne de 1955 à 1973.

Au “odorokubeki Nihon” (stupéfiant Japon), selon le titre d’un article de 1962, répond le “Wirtschaftswunder” (miracle économique) de l’Allemagne qui, plus rapide encore, va se hisser derrière les Etats-Unis dès la fin des années 50.

Dans l’immédiat après-guerre, les Alliés jugulent les capacités industrielles allemandes, concentrées dans la Ruhr (ouest), démembrant par exemple la société IG Farben, qui fabriqua le gaz Zyklon-B utilisé dans les camps de la mort. Au Japon, via le général Douglas MacArthur, les occupants américains démantèlent de même de grands conglomérats (“zaibatsu”).

Guerre froide

Mais cette politique s’assouplit bientôt dans le contexte de la Guerre froide, et priorité est donnée au renforcement économique pour contrer la “menace communiste”.

En 1948, Américains, Britanniques et Français introduisent dans les trois zones allemandes sous leur contrôle le Deutsche Mark et s’attaquent à l’inflation. Idem au Japon sous la houlette du banquier Joseph Dodge qui serre les boulons.

L’aide financière massive des occupants va tenir un rôle décisif sous la forme du plan Marshall en Europe, un gigantesque programme de 13 milliards de dollars, majoritairement des dons.

La toute jeune République fédérale d’Allemagne (RFA, ex-Allemagne de l’Ouest), fondée en 1949, va recevoir environ 1,5 milliard de dollars. La République démocratique d’Allemagne (RDA), satellite de l’URSS fondé la même année, n’en bénéficiera pas, Staline ayant refusé l’aide américaine.

Cette masse “considérable d’argent a déclenché la reconstruction économique” de la RFA, même si elle n’est qu’un “facteur parmi d’autres”, explique à l’AFP Arnd Bauerkämper, professeur d’histoire à la Freie-Universität de Berlin.

L’universitaire cite ainsi la puissance industrielle du pays (automobile, chimie, électronique) et le “réservoir de main d’oeuvre” constitué par les 13 millions d’Allemands expulsés après-guerre de territoires d’Europe de l’Est. L’effacement de 60% de la dette allemande en 1953 à Londres a également contribué à sortir le pays du marasme.

Durant les “Trente Glorieuses” (1946-1975), le modèle d’économie sociale de marché impulsé par le chancelier conservateur Konrad Adenauer et son ministre de l’Economie Ludwig Erhard, qui lui succèdera, apportera à la RFA une période quasi ininterrompue d’aisance et prospérité (la croissance tourne autour de 7% par an, le chômage tombe de 11% en 1950 à 0,7% en 1965), jusqu’au choc pétrolier de 1973.

Triomphant

Le rebond japonais est tout autant prodigieux, mais “contrairement à l’Allemagne placée sous la coupe de quatre alliés, le Japon doit orchestrer son redressement sous la tutelle des seuls Etats-Unis”, qui “prennent en charge sa sécurité”, relate l’universitaire Tag Murphy dans un ouvrage récent, intitulé “Japan and the Shackles of the past” (Oxford University Press, non traduit).

C’est à la force du poignet que le pays se rétablit, même si la guerre de Corée donne entre 1950 et 1953 un coup de pouce salutaire aux entreprises nippones, avec une profusion de commandes américaines.

“Bon sang, ce n’est plus l’après-guerre!”: dans son livre blanc sur l’économie, le gouvernement lance en 1956, quatre ans après le départ de l’occupant, le mot d’ordre de la mobilisation. En finir avec les lamentations, se retrousser les manches.

Le visionnaire et planificateur ministère du Commerce et de l’Industrie (Miti) enrôle les banques et entreprises, des “institutions semblables à une famille, tribu ou fondation religieuse”, très solidaires. C’est vrai des conglomérats (Mitsubishi, Sumitomo…), de plus petites sociétés créées avant-guerre comme Toyota ou Matsushita (aujourd’hui Panasonic) ou de nouvelles firmes mues par des capitaines d’industries (Sony, Honda).

“Les entrepreneurs avaient à coeur d’investir et innover, ils étaient prêts à prendre des risques avec le sentiment qu’enfin, leur heure était venue après ces longues années de guerre”, souligne Ivan Tselichtchev, professeur d’économie à l’Université de gestion de Niigata (nord-ouest du Japon).

Et d’évoquer un contexte propice (la préparation des jeux Olympiques de Tokyo de 1964) et “un environnement humain extrêmement favorable”: “des travailleurs motivés, disciplinés et désireux de servir leur compagnie”. Le tout “amplifié par un système unique d’emploi à vie, de progression à l’ancienneté et de syndicats coopératifs”.

Ce modèle, qui montre ses limites aujourd’hui, fit la richesse d’un Japon triomphant avant qu’il ne soit arrêté dans son élan par l’éclatement des bulles boursière et immobilière au début des années 90.

Depuis, la désormais troisième puissance économique mondiale (derrière la Chine) cherche à retrouver son lustre d’antan, quand l’Allemagne, quatrième, peut se targuer d’être la locomotive en Europe.

Avec l’AFP

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