Comment le conflit chez Delhaize vire à l’affrontement politique
Le blocage se prolonge après la décision de franchiser 128 magasins. Il envenime le climat politique entre gauche et droite. L’Open VLD met le PS en garde.
Le conflit social qui se prolonge chez Delhaize est emblématique à plus d’un titre. La décision prise par la direction, marchant dans les pas de Mestdagh – Intermarché, pourrait inspirer d’autres géants malmenés par le contexte économique et le changement de modèle de leur secteur. D’autant que la volonté de franchiser s’explique par une volonté de dynamisme économique et de flexibilité sociale, mais aussi par le choix délibéré de contourner, à l’avenir, la logique syndicale (absente dans des entreprises de moins de 50 personnes).
Politiquement, depuis le début, cela frotte au sein de la majorité fédérale. Les libéraux respectent la décision de Delhaize, appellent à ne pas caricaturer les franchisés, tout en prônant un interventionnisme réduit à sa portion congrue car le cadre légal, disent-ils, est suffisant. C’est la position du Premier ministre Alexander De Croo, qui déclarait dès le 12 mars : « Il faut que les droits des travailleurs soient préservés. Delhaize a dit qu’elle le ferait, donc il y a assez de garanties par rapport à ça. Je trouve qu’on a tendance à diaboliser les magasins franchisés. Je ne suis pas d’accord avec ça. »
Mais dans les rangs socialistes, qui disposent des compétences principales en matière sociale, le malaise est grand, à l’image de syndicats outrés par le processus. D’emblée, le ministre de l’Economie et du Travail, Pierre-Yves Dermagne (PS), a appelé la direction à réfléchir à d’autres voies que la franchise. En début de semaine, le même Dermagne soulignait que la direction « semble avoir oublié la tradition de la concertation sociale ». Tandis que son président de parti, Paul Magnette (PS), pestait : « Ce qu’essaye de faire le groupe Delhaize, c’est contourner la législation pour pouvoir mettre en concurrence les travailleurs et essayer de réduire les conditions de travail, les horaires, les avantages sociaux des travailleurs… »
Jeudi, sur fond d’une proposition du PS de modifier la loi Renault, l’affrontement est monté d’un ton à la Chambre.
La proposition décriée du PS
Concrètement, Pierre-Yves Dermagne pourrait toujours imposer une conciliation sociale si le bras de fer se prolonge – c’est déjà arrivé par le passé, y compris chez Delhaize, en 2014, mais c’était à l’initiative de la direction. Jo Brouns (CD&V), ministre flamand de l’Economie, y est favorable, appelant à l’élaboration d’un plan social : « Nous recevons le signal que les consultations sont dans l’impasse et qu’il y a beaucoup de tension. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour servir de médiateur dans les coulisses. »
A la Chambre, jeudi après-midi, Pierre-Yves Dermagne s’est déclaré prêt à agir: “Dès le premier jour, j’ai pris contact avec le président de la commission paritaire pour lui demander d’être disponible et prêt à intervenir. Il est en contact avec les deux bancs et suit de près la situation. La pratique en Belgique n’est pas d’imposer un conciliateur social. Il y a encore un conseil d’entreprise la semaine prochaine et s’il ne permet pas d’engager la négociation, je prendrai contact pour engager un conciliateur“.
Selon le Standaard de ce jeudi, il existerait aussi la tentation dans les rangs socialistes de trouver une riposte juridique pour faire en sorte que les franchisés soient considérés comme faisant partie d’un même groupe – ce qui maintiendrait notamment la présence syndicale. Le président du PS, Paul Magnette, s’est exprimé en ce sens à la RTBF, le matin.
Le PS a déposé une proposition de loi visant à préciser le concept d'”unité d’exploitation” dans le droit social belge, confirme Ahmed Laaouej, chef de groupe des socialistes à la Chambre, jeudi en marge de la séance plénière. Ce texte comprend deux volets. Le premier vise à redéfinir les concepts d'”unité d’exploitation” et de “franchise”. Selon le texte, une présomption d'”unité d’exploitation” ne pourrait être réfutée que moyennant la preuve qu’il n’existe pas de relation de franchise. Le deuxième volet de la proposition de loi concerne la représentation syndicale au sein de ces franchises.
Mise en garde d’Egbert Lachaert, président de l’Open VLD, en guise de riposte : « Le politique ne doit pas envenimer le conflit chez Delhaize. La concertation est à sa juste place. Ces initiatives visent davantage à protéger les syndicats qu’à veiller à l’avenir du personnel dans une entreprise en bonne santé. »
“Caricatures syndicales”
Le vice-Premier ministre MR David Clarinval a, lui aussi, haussé le ton sur LN24 ce jeudi matin, épinglant les syndicats qui “caricaturent vraiment” la franchise : “On a l’impression d’avoir des esclavagistes. C’est ce que les syndicats veulent faire croire. Ils pensent qu’ils vont travailler avec des esclavagistes. Ce sont des caricatures qui doivent arrêter d’être propagée ».
Alors que rouges et bleus sont à couteaux tirés sur le budget fédéral et les réformes à mener, et que le MR et le PS sont au bord de la rupture en Fédération Wallonie-Bruxelles sur un simple Master en médecine à l’UMons, le conflit social risque de pourrir un climat politique déjà très tendu.
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