Cinq ans après le discours qui a sauvé l’euro, on fait le point
Il y a cinq ans – en pleine crise de l’euro – Mario Draghi, le président de la Banque Centrale Européenne, arrivait dans l’antre du lion. Devant une assemblée de banquiers londoniens de premier ordre, il a juré de sauver l’euro. Le bourdon est-il entre-temps devenu une abeille ?
William De Vijlder, économiste en chef de BNP Paribas, et Carsten Brzeski, économiste en chef d’ING Allemagne, commentent quatre citations marquantes du discours qui a sauvé l’euro prononcé par le président de la BCE le 26 juillet 2012.
1. “L’euro est comme un bourdon. C’est comme un mystère de la nature parce qu’il ne devrait pas voler, mais pourtant il vole. (…) Le bourdon devrait se transformer en véritable abeille. Et c’est ce qu’il est en train de faire.”
William de Vijlder: “Il y a encore beaucoup de pain sur la planche. L’édifice doit être consolidé. Cela avance prudemment dans la bonne direction, avec la création d’une union des banques et des capitaux, mais s’ils veulent faire face à la prochaine crise, les pays individuels ont encore beaucoup de travail à accomplir pour augmenter leur résistance. Cela renforcerait également l’Union. Si les différences entre eux diminuent, mener une politique monétaire commune sera aussi plus facile.”
Carsten Brzeski: ” Seulement maintenant, avec l’arrivée du tandem Merkel-Macron, l’espoir de davantage d’intégration européenne se ravive. Il nous faudrait en fait un budget commun et des obligations d’État communes. Tant que le monde politique n’aura pas fini ses devoirs, le risque du retour de la spéculation sur la fin de l’euro persistera, comme lors des élections françaises plus tôt dans l’année. Et il est dès lors possible que la BCE doive à nouveau intervenir.”
2. “Le ton est donné et tous les signaux que nous recevons indiquent que les pays ne fléchiront pas, ils ne cesseront pas de se réformer”
William de Vijlder: “Le danger est que les autorités publiques se laissent aveugler par la forte croissance. Du fait que cela va mieux maintenant apparaît le sentiment que les réformes ne sont plus nécessaires. Les circonstances actuelles sont pourtant idéales pour mettre en oeuvre des mesures structurelles. Mais une pression extérieure est tout de même souvent nécessaire. La disposition à accepter des interventions douloureuses est dans ce cas plus grande. On observe également cela lors de l’établissement des budgets.”
Carsten Brzeski: “Trop d’attention a probablement été consacrée aux assainissements. En 2012, l’analyse était que nous étions dans une crise de la dette, et il devait donc y avoir moins de dettes. La réponse avait par conséquent été des restrictions budgétaires. Celles-ci étaient également vraiment nécessaires pour restaurer la confiance des marchés. Mais cela fait maintenant un moment que nous ne sommes plus dans une crise de la dette, mais dans une crise économique. Et dans ce cas, il faut davantage d’investissements. C’est aussi ce que demande la BCE, surtout de la part des pays forts.”
3. “L’euro est beaucoup, beaucoup plus fort, la zone euro est beaucoup, beaucoup plus forte que ce que les gens reconnaissent aujourd’hui. Pas seulement si l’on observe ces dix dernières années, mais aujourd’hui aussi, si l’on regarde l’inflation, l’emploi, la productivité, la zone euro fait aussi bien ou mieux que les États-Unis ou le Japon”
William de Vijlder: “La zone euro n’aurait certainement pas à rougir, si nous devions la comparer aux États unis. Après la crise bancaire, l’économie européenne et l’économie américaine étaient sur des trajectoires similaires. La grande différence est que la zone euro a alors dû traverser une deuxième récession, alors que la reprise s’est poursuivie aux États-Unis. Maintenant, un mouvement de rattrapage est clairement en route. Toutefois, la croissance potentielle reste bien sûr plus élevée aux États-Unis qu’en Europe.”
Carsten Brzeski: “La zone euro était alors clairement face à des problèmes existentiels. Nous ne nous trouvions encore qu’au début des réformes et il n’était pas du tout clair s’il existait une volonté politique de sauver l’euro. Ce n’est qu’après ce discours qu’est apparue l’évidence que l’engagement politique était vraiment fort. L’approche américaine était alors tout de même beaucoup plus franche. Washington a d’emblée fait beaucoup plus pour nettoyer les banques et pour stimuler l’économie.”
4.”La BCE est prête à faire tout ce qu’il faut pour préserver l’euro. Et croyez-moi, ce sera suffisant.”
William de Vijlder: “Le discours a été aussi important parce qu’il offrait une réponse à une situation vraiment urgente. Mais avec elle, les problèmes n’étaient pas encore résolus. En 2014, il était évident qu’on avait besoin de plus: une deuxième composante de la politique, afin d’éviter une spirale négative de déflation. Ce n’est qu’alors que Draghi a pris des mesures non conventionnelles pour s’attaquer à l’inflation. Les deux éléments se sont avérés très importants.
Carsten Brzeski: “Draghi a souvent dépassé les attentes. De ce fait, le marché le croit: les investisseurs savent qu’il fera ce qu’il dit. Et cela a certainement aidé. Mais partout dans le monde, on se demande à présent si la politique monétaire souple est encore bien nécessaire. Le défi est de communiquer concernant la sortie sans perturber le marché ni mettre la reprise en danger. En septembre, Draghi dévoilera probablement sa stratégie, et d’ici juin de l’an prochain, le robinet de liquidité monétaire se fermera probablement.”
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