La Cour des comptes s’est montrée sévère sur les effets retour attendus par le gouvernement fédéral des mesures qu’il a prises. “Largement surévalués”, lâche-t-elle dans ses observations sur le budget 2025.
“La Cour des comptes est d’avis que l’estimation des effets retour n’est pas suffisamment étayée et qu’il existe un risque très élevé que ceux-ci soient largement surévalués”, assène-t-elle. “Elle attire en particulier l’attention sur l’absence de justification de la trajectoire de croissance en matière d’emploi, l’incohérence méthodologique dans le calcul des effets retour et la possible surestimation des recettes par travailleur supplémentaire. Enfin, elle souligne qu’en raison de la répartition des compétences entre les différents niveaux de pouvoir et des fortes disparités régionales au niveau du taux d’emploi, il est essentiel de coordonner la politique avec les entités fédérées”.
Des méthodes de calcul peu orthodoxes
Le gouvernement De Wever a estimé le montant de ces effets retour à 7,9 milliards d’euros. Ils font partie des mesures compensatoires qui doivent lui permettre de réaliser ses objectifs budgétaires. Il intègre dans ses calculs la création de quelque 300.000 emplois supplémentaires d’ici 2029 afin d’atteindre un taux d’emploi de 80% en 2030. Les modalités du calcul paraissent peu orthodoxes à la Cour, puisqu’ils se fondent sur la population active à partir de 15 ans et sans limite d’âge supérieure alors que, traditionnellement, c’est la population des 20-64 ans qui est prise en compte. En d’autres termes, ils incluent les étudiants jobistes et les pensionnés qui recourent aux flexi-jobs.
Un “groupe trop large”, selon la Cour, “ce qui entraîne une surestimation”. En prenant les 20-64 ans, le nombre d’emplois supplémentaires serait de 257.700 pour un effet retour de 7 milliards. Le rendement de 30.000 euros par emploi créé paraît également optimiste.
Lire aussi | Monsieur De Wever, faites-nous rêver…
Une étrange comptabilisation de l’effet attendu
La Cour pointe aussi du doigt la comptabilisation de l’effet attendu de la limitation dans le temps des allocations de chômage… réalisée deux fois. Elle rappelle enfin la “complexité du paysage du travail” à travers les différents groupes qui devront être activés pour atteindre l’objectif de taux d’emploi de 80% (chômeurs, femmes, plus de 55 ans, personnes à faible niveau d’instruction, etc.) et les difficultés qui sont liées à chacun d’entre eux. Une “approche sur mesure et pour chaque groupe cible et en collaboration avec les entités fédérées” sera nécessaire.
Le rapport fait remarquer des effets retour négatifs pourraient aussi survenir, par exemple les économies annoncées dans le chômage et les pensions pourraient affecter la consommation privée. Pour un bon nombre de mesures, la Cour des comptes souligne qu’elle ne dispose pas des éléments nécessaires pour se prononcer. Elle épingle les “lacunes” du tableau résumant l’effort budgétaire structurel à fournir durant la législature, de l’ordre de 16,4 milliards d’euros.
Peu d’informations fournies sur le financement de la Défense
Elle remarque aussi le “peu d’informations fournies” sur le financement de la Défense nationale, sur les mesures adoptées en matière de sécurité sociale et de lutte contre la fraude fiscale et sociale. Les mesures prévues dans la lutte contre cette fraude doivent rapporter 1,2 milliard d’euros d’ici 2029. Quelque 600 millions d’euros sont attendus en provenance de la fraude fiscale. Faute d’avoir pu obtenir du SPF Finances les informations nécessaires pour en évaluer le rendement, la Cour estime qu’elle n’est pas “en mesure de juger de la pertinence de l’estimation pluriannuelle”.
L’une des réformes phares de la coalition Arizona est la limitation dans le temps des allocations de chômage à maximum deux ans et une dégressivité accrue. Une partie de ces allocataires se tournera vers les CPAS qui seront confrontés à une charge de travail nouvelle et importante. Dans sa programmation annuelle, le gouvernement prévoit uniquement 50 millions d’euros pour 2026 afin de les soutenir, et sans indication permettant de s’assurer que cette somme suffira, note la Cour
Justice et Asile
Le budget des différents départements est passé à loupe. En matière de justice, la Cour met en garde contre une possible insuffisance du budget pour les prisons aux prises avec la surpopulation. Elle relève aussi que plus aucun crédit n’est prévu pour la prison de Saint-Gilles dont la fermeture était annoncée pour la fin de l’année dernière mais qui est toujours en service. Une solution au moins partielle est toutefois prévue via la provision interdépartementale.
Autre motif d’interrogation: l’asile. Une économie de 538 millions est prévue d’ici 2029. Au vu du contexte international, “les projections réalisées sur une période de plus de deux ans ne sont pas suffisamment fiables”, dit le rapport. La Chambre a entamé l’examen du budget. La Cour des comptes présentera ses observations lundi.
Pour le PS, c’est la confirmation de la “supercherie »
L’avis de la Cour des comptes est assassin. C’est une institution indépendante et qui fait souvent preuve d’une certaine réserve. L’expression est polie mais la conclusion est sans ambiguïté: le budget de l’Arizona ne tient tout simplement pas la route. On le disait depuis l’accord de gouvernement. La Cour le confirme désormais. Le gouvernement ne pourra plus se cacher. Les masques tombent. Le gouvernement est simplement en échec”, a affirmé le chef de groupe à la Chambre, Pierre-Yves Dermagne.
Les socialistes pointent la non prise en compte de certaines décisions, des “effets retour fantaisistes”, le risque de sous financement de la justice et la police, etc. Ils y voient la confirmation de la “supercherie” qu’ils avaient dénoncée dès l’installation de l’Arizona. Selon le PS, c’est la “double peine” qui attend les travailleurs, les pensionnés et les ménages: l’assainissement n’aura pas lieu et il n’y a aucune trace des promesses d’augmentation du pouvoir d’achat. “L’Arizona fait trinquer les citoyens. Tout ça pour quoi? Un budget qui ne tient pas la route. Rien en pouvoir d’achat ou en amélioration des services qui leur sont rendus. Un budget, ce n’est pas seulement des chiffres. Ce sont des politiques, des pensions, une meilleure santé. Ici, les chiffres sont fantaisistes et les réponses politiques sont mauvaises”, a jugé le député Frédéric Daerden.
“Ce budget ne tient pas la route”
“Ce budget ne tient pas la route”. Tel était vendredi le jugement d’Ecolo après la transmission de l’avis de la Cour des comptes à la Chambre. “L’avis de la Cour des comptes sur le budget de l’Arizona vient de tomber. Sévère, il confirme nos analyses. Bart De Wever n’est pas l’homme de chiffres qu’il a toujours prétendu être”, a affirmé la députée Sarah Schlitz sur le réseau Bluesky.
Les écologistes mettent en avant les considérations de la Cour sur les effets retour attendus par le gouvernement de ses mesures. “C’est un tiers du budget qui tombe à l’eau”, a fait remarquer la députée. “C’est carrément embarrassant pour un Premier ministre qui avait annoncé avant les élections qu’il mettrait de l’ordre dans les finances de ce pays. Et je ne parle même pas ici des inégalités qui vont se creuser avec ce budget, en allant chercher l’argent dans la poche de la classe moyenne.”