Yves Goldstein, l’administrateur délégué de la Fondation Kanal, a tiré la sonnette d’alarme, jeudi, sur BX1. Il manque 50 millions d’euros pour terminer les travaux. Problème : il n’y a toujours pas de gouvernement de plein exercice à Bruxelles et l’heure est plutôt aux coupes budgétaires. La piste du privé pourrait-elle sauver l’édifice ? “Pas sérieux”, à un an de l’ouverture.
Le chantier du futur musée Kanal-Centre Pompidou, censé ouvrir le 28 novembre 2026, risque la panne sèche. “Le montant total du chantier s’élève à 230 millions d’euros. À ce jour, la Région nous a libéré environ 180 millions. Sans nouvel accord budgétaire, nous pourrions être en cessation de paiement du chantier dans les prochains mois”, alerte Yves Goldstein, administrateur délégué de la Fondation Kanal, sur la chaîne bruxelloise.
Depuis plus de 500 jours, la Région fonctionne en affaires courantes. Or, le musée, piloté par une fondation publique et cofinancé par la Région bruxelloise, dépend intégralement des subsides régionaux. Aucune “tutelle” n’a encore demandé de suspendre les travaux, mais le risque est bien réel : le budget complémentaire permettant de finaliser les aménagements n’a pas été voté.
Des coûts de fonctionnement qui posent question
Même achevé, le musée risque d’étouffer sous le poids de ses frais. Son plan de gestion initial prévoyait une dotation annuelle de 35 millions d’euros, validée par un audit Ernst & Young en 2023. C’est, de loin, le plus haut budget de fonctionnement du pays.
Face aux tensions budgétaires, la Fondation Kanal a déjà consenti une réduction de près de 20 %, ramenant la dotation à 28-29 millions d’euros par an. Mais la dernière note budgétaire du MR, déposée dans le cadre des négociations régionales, va beaucoup plus loin : elle prévoit une baisse progressive à 13 millions d’euros d’ici 2029.
“Treize millions, c’est le coût du bâtiment à lui seul — entretien, sécurité, chauffage, nettoyage. Avec un tel budget, il n’y aurait plus de musée public”, rétorque Yves Goldstein. “Ce plan reviendrait à privatiser les espaces et sous-traiter leur gestion à des acteurs privés. Ce n’est pas notre mandat.”

Faut-il trouver des financements privés ?
L’hypothèse d’une participation accrue du privé séduit certains élus, mais elle reste illusoire, selon l’administrateur délégué. “De cette taille, en Belgique, aucun musée privé ne fonctionne. Nous n’avons pas le tissu économique de la France ou des pays anglo-saxons”, admet Goldstein.
Le musée Louis Vuitton à Paris ou la Fondation Cartier reposent sur des mécènes puissants. À Bruxelles, l’écosystème culturel dépend encore très largement des pouvoirs publics. Et les recettes propres envisagées par la Fondation Kanal — billetterie, restauration, événements — ne devraient pas dépasser 15 millions d’euros par an, selon l’audit Ernst & Young. Ce qui est déjà très optimiste.
Qui plus est, partir sur un modèle privé à douze mois de l’ouverture, “ce n’est pas sérieux”, lance l’administrateur. “Cela fait trois ans que l’on travaille sur notre première exposition.”
Les libéraux, eux, exigent un effort. “Dans un contexte de déficit à 1,5 milliard d’euros, tout doit être revu, y compris Kanal”, glisse une source MR. Les socialistes dénoncent un “coup de rabot idéologique” et préviennent qu’“un musée amputé de moitié serait vidé de sa substance”.

Des critiques de tous bords
À mesure que le budget se tend, les critiques s’aiguisent. Pour le CD&V, “Kanal risque de devenir un monument de mauvaise gestion financière”, avec “un subside annuel de 35 millions (désormais 29, ndlr.) et un investissement proche du quart de milliard”. Benjamin Dalle plaidait en mai dernier pour “un changement radical de cap” et la fin de la collaboration avec le Centre Pompidou, jugée “coûteuse et déconnectée de Bruxelles”.
Le projet, conçu dès 2013 sous le gouvernement Vervoort, incarne pour certains l’exemple parfait d’une politique “top-down”, sans ancrage local. Car les critiques émanent aussi du secteur culturel. Dans une optique de réduction des dépenses, chaque sous public est désormais convoité par tous. Du côté de la fondation Kanal, on ne nie pas que le musée engendre des coûts importants, mais on rappelle que le projet ne peut compter sur les subsides du fédéral, via la Régie des bâtiments. “Or, si on retire les 13 millions de coûts de gestion, on est proche des subventions des autres grands musées à Bruxelles ou Anvers, pour une beaucoup plus grande surface.”
À un an de l’ouverture prévue, le musée Kanal illustre néanmoins les contradictions bruxelloises : une ambition internationale, mais une dépendance financière chronique. Pour l’instant, le chantier tient, “grâce à la mobilisation des équipes”, insiste Goldstein. Mais sans accord politique, le plus grand musée de Belgique pourrait bien devenir le plus coûteux de ses échecs.