LEZ : le report des mesures anti-pollution à Bruxelles critiqué par les experts
Le MR, les Engagés et le PS bruxellois ont annoncé vouloir décaler de deux ans les prochaines restrictions de la LEZ (Low Emissions Zone, zones de basses émissions) dans la Région bruxelloise. L’interdiction de circulation des véhicules Diesel Euro 5 prévue au 1er janvier 2025 n’aura donc pas lieu. La polémique fait rage.
L’annonce à quelques mois à peine de la mise en œuvre des nouvelles restrictions de circulation des véhicules les plus polluants dans la capitale a fait l’effet d’une petite bombe. Le MR, les Engagés et le PS bruxellois veulent décaler de deux ans les prochaines restrictions de la LEZ (Low Emissions Zone – zones de basses émissions) à Bruxelles. Le calendrier était établi depuis longtemps et ce retournement politique de dernière minute fait polémique.
L’interdiction de circulation des Diesel Euro 5 prévue au 1er janvier 2025 n’aura donc pas lieu, si on en croit les futurs partenaires francophones de la majorité bruxelloise. La décision concerne également les motos Euro 3 et les véhicules essence Euro 2. Au grand dam des écologistes, et notamment du premier parti côté néerlandophone, Groen, qui n’a même pas été consulté. Dans la capitale, 33.000 véhicules sont concernés selon les estimations de Bruxelles Environnement, 850.000 à l’échelle nationale.
« Protéger les Bruxellois les moins favorisés »
MR, PS et Engagés ne disent pas remettre en question l’efficacité de la zone de basse émission (LEZ), qui a permis, selon les derniers rapports de Bruxelles Environnement de diminuer de pas moins de 40% les concentrations dans l’air de dioxyde d’azote depuis 2018. Pour eux, il fallait plutôt ralentir la cadence « pour protéger les Bruxellois les moins favorisés ».
Christophe De Beukelaer, chef de file des Engagés, évoque « un ralentissement, pas un détricotage des objectifs. « Il est essentiel de maintenir l’ambition. Il ne s’agit pas d’un recul, mais d’une adaptation nécessaire pour garantir que tout le monde puisse suivre, nous explique-t-il dans l’ interview qu’il nous a accordé (lire ICI). “Nous avions reçu beaucoup de messages de gens qui nous expliquaient qu’ils n’ont pas eu la capacité de pouvoir troquer leur ancien diesel en faveur d’un nouveau véhicule moins polluant, explique de son côté au micro de la RTBF David Leisterh, chef de file MR.
« Un impact potentiellement grave »
Axel Briffault est chercheur au Life and Earth Insitute de l’UCLouvain. Il travaille sur des modélisations sur la qualité de l’air à Bruxelles, en particulier suite à la mise en place des zones basses émissions (LEZ). Ses recherches se basent notamment sur SIRANE, un modèle conçu pour modéliser la dispersion des polluants émis par le trafic routier, les industries, et d’autres sources.
« D’après les simulations que nous avons effectuées, retirer les véhicules roulant au Diesel Euro 5 aurait un impact significatif sur la qualité de l’air. Ces voitures, souvent équipées de technologies encore très polluantes, contribuent de manière importante aux émissions nocives dans la ville. » Il ajoute : «En plus, ce report implique tous les types de véhicules, y compris les bus et camions, ce qui rend l’impact potentiellement plus grave. »
Le chercheur avance avoir constaté dans ses analyses une amélioration notable entre 2018 et 2022 de la qualité de l’air depuis la mise en place de la LEZ. « Même après un retour à une situation de trafic plus normal post-COVID, la qualité de l’air ne s’est pas détériorée de manière significative, ce qui prouve l’efficacité de la zone basse émission pour réduire les concentrations de dioxyde d’azote », explique-t-il.
Le dernier rapport de Bruxelles Environnement montre que sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, entre 2018 et 2022, on note une baisse des concentrations en dioxyde d’azote (NO2) de 29% à la station de mesure Molenbeek, de 31% à la station Ixelles et de 36% à la station Arts-Loi, trois endroits représentatifs de la pollution due au trafic dans la capitale.
Les objectifs européens difficilement atteignables
En cas de report de ces mesures, il est probable que Bruxelles ne parvienne pas à respecter les seuils fixés par la nouvelle norme européenne pour 2030 qui place la barre à 20 µg/m3 pour le NO2. “La Région reste en deçà des objectifs internationaux et nos simulations montrent que chaque année de report réduit nos chances de respecter ces objectifs à temps », prévient Axel Briffault.
Détricoter ce calendrier serait donc un recul dommageable. D’un point de vue scientifique, ce report est critiquable, estime l’universitaire, sans vouloir commenter davantage la décision politique, par souci de neutralité. « Mais il y a des considérations sociales et économiques que les décideurs doivent prendre en compte, même si cela va à l’encontre de nos recommandations scientifiques », admet-il.
Certains observateurs avancent que les véhicules concernés par les prochaines restrictions sont moins polluants et que le report de deux ans de leur interdiction à Bruxelles pourrait donc être un moindre mal. « Même s’il y a eu des progrès, ces véhicules restent parmi les principaux contributeurs aux émissions de dioxyde d’azote. Les normes Euro 6D, mises en place en 2021, ont certes réduit les émissions, mais il reste encore du chemin à parcourir », leur rétorque Axel Briffault.
« Une catastrophe pour la santé publique et l’environnement »
Pour Pierre Dornier, directeur de l’ASBL bruxelloise Chercheurs d’Air, qui lutte contre la pollution dans la capitale, le report des mesures de restrictions est vraiment regrettable. « Décaler le jalon de 2025 à 2027, c’est irresponsable, surtout quand on sait que chaque année, 900 Bruxellois meurent prématurément à cause de la pollution de l’air. Retarder de deux ans, c’est potentiellement doubler ce chiffre, soit plus de deux morts prématurées par jour. Il ajoute : « Sur ces 33.000 voitures, toutes ne sont pas indispensables à leurs propriétaires. Reporter le problème risque de nous amener en 2030 à repousser encore la sortie du diesel, puis du thermique en 2035. Ce serait une catastrophe pour la santé publique et l’environnement. »
En outre, depuis le Dieselgate de Volkswagen, des tests ont encore été réalisés récemment en conditions réelles. Il est apparu que les émissions réelles de dioxyde d’azote et de particules fines sont souvent plus élevées que ce qui est annoncé sur papier, surtout avec des véhicules mal entretenus. « Il faut aussi savoir que des personnes ne remplacent pas leur filtre à particules fines ou l’enlèvent carrément. A nouveau, on a des particules fines qui sont plus élevées en conditions réelles, que ce que devrait émettre la voiture », déplore Pierre Dornier.
La LEZ, l’outil le plus efficace
Pour nos deux spécialistes, à l’heure actuelle, la zone basses émissions reste la mesure la plus efficace et la plus facile à mettre en œuvre pour réduire rapidement la pollution. D’autres mesures nécessiteraient en effet des infrastructures supplémentaires et plus du temps pour être implémentées.
« La zone basse émission reste l’outil le plus efficace pour lutter de manière rapide et durable contre la pollution de l’air », confirme Pierre Dornier, de nombreuses études le montrent ». Mais, ce n’est pas la seule mesure à mettre en place, estime-t-il. « Il faut en parallèle diminuer le nombre de véhicules et diminuer leur poids », propose-t-il.
L’ASBL bruxelloise qu’il chapeaute met deux autres mesures fortement en avant : la création ou le développement des quartiers apaisés comme le Pentagone et son Plan Good Move qui améliore grandement la qualité de l’air et participe à la diminution du trafic. « On encourage aussi l’arrêt du trafic routier devant les écoles, ce qui permet d’y réduire d’entre 25 et 30 % les émissions de dioxyde d’azote et de mieux protéger les enfants qui sont particulièrement vulnérables à la pollution de l’air. Aujourd’hui, en Région bruxelloise, seules 8% des écoles maternelles et primaires bénéficient d’une rue scolaire. Nous savons pourtant qu’une rue scolaire pourrait facilement être créée devant 70% de ces mêmes écoles», commente Pierre Dornier.
20 % des écoles bruxelloises surexposées aux polluants atmosphériques
121 écoles fondamentales (maternelles et primaires) de la Région bruxelloise sont exposées à des concentrations en dioxyde d’azote (NO2) qui dépassent entre deux et trois fois la recommandation de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). C’est ce que montrent les données de SIRANE, le logiciel de modélisation de l’UCLouvain, auxquelles Les Chercheurs d’air ont eu accès. De manière générale, les 855 établissements scolaires que compte la Région de Bruxelles-Capitale connaissent tous des niveaux de pollution au NO2 qui dépassent la ligne directrice de l’OMS en la matière.
Le plan Good Move, un impact limité
Le plan Good Move, destiné à améliorer la mobilité à Bruxelles, n’a cependant eu qu’un impact limité sur la qualité de l’air. « Le plan a conduit à une légère diminution des concentrations de polluants dans certaines zones spécifiques, mais cet impact reste modeste et très localisé. En effet, il a surtout provoqué un report de la circulation plutôt qu’une réduction significative du trafic global. Le plan n’a pas encore convaincu un nombre suffisant de personnes de changer leurs habitudes de transport », explique Axel Briffault.
De plus, l’évaluation de son efficacité est compliquée par le manque de données précises, souligne le chercheur, notamment sur les comptages de trafic avant et après sa mise en place. « Good Move pourrait avoir un impact plus important dans le futur, surtout si la technologie évolue pour réduire davantage les émissions des véhicules. Cependant, pour l’instant, il reste moins efficace que les zones de basses émissions pour améliorer la qualité de l’air à l’échelle globale. »
Un système de leasing social
Si la LEZ semble être le moyen le plus probant d’améliorer la qualité de l’air dans la capitale, d’autres mesures de mobilité active existent, comme créer des pistes cyclables séparées, ou dépolluer au maximum les livraisons à domicile. « Depuis quelques années, avec l’augmentation de l’e-commerce, il y a de plus en plus de livraison à domicile par des camionnettes qui roulent à 95 % au diesel et qui circulent très souvent à vide ou presque à vide, parce que le colis doit arriver chez le client en moins de 24h. Il y a clairement des mesures à prendre pour optimiser les livraisons urbaines, en utilisant, par exemple, au maximum des vélos cargo », avance Pierre Dornier.
Pour les personnes concernées par le remplacement imminent de leur véhicule polluant, le directeur de l’asbl Chercheurs d’Air estime qu’un accompagnement financier serait plus adéquat, comme un système de leasing social, plutôt que de décaler la législation. « Tant que des gens en meurent à cause de la pollution, il est primordial d’agir. On parle aussi de nombreux enfants qui développent des crises d’asthme. C’est une question importante de santé publique!»
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