Le ras-le-bol de commerçants face à l’insécurité à Bruxelles : “On va vers une situation comme à Haïti. Qu’est-ce qu’on attend pour réagir ?”

Présence policière sur le Boulevard Lemonnier. © belga images

Bruxelles fait face à une escalade de la violence liée à la drogue. Une situation  qui impacte les commerçants, notamment dans le quartier Lemonnier et Stalingrad. Alors que ces commerçants peuvent être une partie de la solution face aux problèmes, selon Layachi Nour Eddine, leur représentant.

Depuis deux mois environ, les fusillades se suivent et se multiplient à Bruxelles, ce qui peut créer un climat général d’insécurité et anxiogène. Mais les violences et autres problèmes liés à la drogue ne datent pas d’hier.

Layachi Nour Eddine est le président de Stalem asbl, l’association des commerçants du quartier de Stalingrad et Lemonnier, situé à l’extrémité sud-ouest du Pentagone, entre la Gare du Midi et la place Fontainas. Depuis deux ans, il n’a plus voulu aborder le sujet de l’insécurité. Mais la lecture d’un doublearticle de la Libre Belgique, sur l’insécurité dans le quartier Yser, dans le nord du centre-ville, l’a fait réagir et répondre à notre demande d’interview, envoyée quelques jours plus tôt, à l’issue d’un Conseil national de la sécurité sur la thématique de ces fusillades.

Cercle vicieux

Le quartier n’est en réalité pas que touché par l’insécurité, mais par plusieurs problèmes qui s’auto-influencent. Dont surtout le chantier du métro 3 et autres travaux, qui sont comme une balafre sur ce menton du Pentagone. Ces travaux engendrent de la malpropreté et font baisser la fréquentation, ce qui crée un environnement propice pour les consommateurs et dealers de drogue, en résumé.

Une situation qui devient invivable pour les habitants. “Ils n’osent plus sortir de chez eux. Il y a des drogués, des gens qui trainent, les habitants se font attaquer…”, décrit notre interlocuteur. La situation serait telle que certaines rues sont contrôlées par la mafia. Cela lui fait penser à Haïti, l’île dans les Caraïbes où les gangs ont quasi pris le pouvoir et où l’État est devenu inexistant. “C’est vers cela que l’on va. Est-ce que l’on va attendre que ça arrive pour réagir ?”, se demande-t-il, non sans colère.

Les commerçants sont fortement impactés par la situation. “Ils n’en peuvent plus. Certains ferment boutique et s’en vont définitivement. D’autres se font attaquer régulièrement. Je viens d’aller voir un commerçant : il a gagné cinq euros sur la journée”, raconte Layachi Nour Eddine. Et il n’y a pas de perspectives pour une éventuelle amélioration de la situation, continue-t-il : “Une entreprise a besoin de certitudes pour pouvoir décider et investir, pour espérer gagner de l’argent. Dans le quartier, plus personne ne veut investir. Les commerces ferment les uns après les autres, on ne sait même pas vers où on va. Ça aussi, c’est de l’insécurité.”

Le commerce, c’est la solution

Les commerces peuvent être une solution à ce problème d’insécurité, explique le représentant de l’économie de ce quartier. “L’économie permet d’avoir plus de sécurité. Plus il y a de magasins, moins il y a d’incivilités. Mais plus les magasins sont fermés et les bâtiments abandonnés, plus il y a un sentiment d’insécurité”, réfléchit-il.

Il prend exemple sur la place Rouppe. Un coin très dangereux il y a quelques années encore mais qui a changé pour devenir plus vivable. “Et c’est grâce aux commerçants. La ville a besoin de commerçants pour avancer. Elle n’a pas besoin de gens qui volent, qui rackettent et qui salissent.”

Surtout que le quartier de Lemonnier – Stalingrad a un énorme potentiel. Il se trouve entre la gare du Midi et l’hypercentre de la capitale. Ce serait donc un important point de passage pour les touristes. Et dans les nombreux cafés, restaurants et boulangeries du coin, l’offre est souvent plus attractive que dans les magasins de la gare, appartenant à des grands groupes. Parmi ces commerces et restaurants, bon nombre sont “ethniques”, précise Layachi Nour Eddine. C’est donc d’autant plus l’opportunité de développer une économie de niche, basé sur certains types de cuisines. Bruxelles est une des, sinon la, villes les plus multiculturelles du monde et de nombreux restaurants qui proposent la cuisine de leur pays d’origine se sont déjà taillé une belle réputation.

Porte d’entrée de la capitale

Mais ce point de passage pour les touristes, c’est aujourd’hui plus un rêve que la réalité. “Avant on avait encore des touristes qui prenaient le temps de rentrer dans des cafés ou restaurants du quartier. Maintenant c’est fini, les gens traversent le quartier rapidement et vont ailleurs, dans des endroits où c’est plus calme et plus safe”, déplore Layachi Nour Eddine.

Et ce n’est pas simplement une question d’insécurité. Là aussi, les chantiers ont leur rôle à jouer. C’est effectivement la première vue qu’a le touriste qui sort de la gare. Entre la place devant la gare et le Boulevard Lemonnier et l’Avenue de Stalingrad, sur la petite ceinture, il y a en un chantier qui semble laissé à l’abandon depuis des années. De nombreuses plantes ont eu le temps de pousser.

“Un touriste qui arrive à Bruxelles-Midi, qu’est-ce qu’il voit ? Quelqu’un qui urine contre un mur”, se fâche notre interlocuteur. “Il y a des chantiers qui coûtent des millions et on n’est pas capable de limiter la pollution visuelle. C’est sale, les barrières sont cassées… et on n’est pas capable de faire des barrières qui empêchent le touriste de voir des choses pas agréables et d’entretenir les chantiers ? Moi si je suis touriste, je ne viens pas.”

Tout le monde se renvoie la balle

L’autre problème de l’insécurité, c’est la réponse qui y est donnée. Ou plutôt la non-réponse, selon les commerçants. “Personne n’est responsable”, résume Layachi Nour Eddine. Il donne l’exemple de drogués qui occupent l’entrée d’une station de métro. Lorsque le commerçant appelle la Stib pour le signaler, il est redirigé vers la police. Puis la commune. Puis quelqu’un d’autre encore. “Alors ça traine pendant des mois, vous prenez de votre temps pour vouloir améliorer la chose, parce que toutes les semaines vous perdez des clients. Et in fine vous vous rendez-compte que vous avec perdu du temps, et vous n’êtes pas le seul. Tous vos voisins ont fait la même chose.”

Une des mesures prises par ce Conseil de sécurité de la semaine dernière était la création d’une task force en la matière. Mais il reste à voir si cette dernière réussira à faire les synergies nécessaires pour s’attaquer au problème, dans son ensemble, ou si c’est une couche de plus dans la lasagne administrative. “Il faut que le politique puisse dire ce qu’il peut faire et ce qu’il ne peut pas faire. Et qu’on arrête de faire trainer les choses’. Bruxelles a besoin de sécurité. Pour naviguer, il faut voir loin. Mais le problème c’est que personne n’arrive plus à voir loin, plus personne n’arrive à voir demain. Faire de la politique c’est prévoir, ce n’est pas attendre les problèmes pour voir ce qu’on peut faire”, continue le président de l’asbl Stalem. 

L’homme ne veut cependant pas baisser les bras. Les leitmotivs de son discours sont surtout le “devenir”, “l’amélioration”, “l’aller de l’avant”, la “dynamqiue”. Et de conclure : “On espère que les choses vont évoluer. On n’a pas choisi cette ville pour devoir la quitter, on est marié comme on dit, on l’aime et on a envie qu’elle avance et qu’elle puisse se développer et s’améliorer. Que le commerce puisse exister pour pouvoir donner plus de sécurité.”

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