Démissions en cascade chez Paradigm : le bras informatique de la Région bruxelloise fonce dans un mur

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Baptiste Lambert

À quelques encablures de la nouvelle législature, il reste un brouillard épais autour de Paradigm, l’administration informatique bruxelloise. Sa réorganisation stratégique a été un échec et les tensions en interne ne se dissipent pas. Le ministre de tutelle, Bernard Clerfayt (DéFI), interrogé en commission mercredi, se défend de toute passivité dans ce dossier. Mais l’heure tourne : tout indique que Paradigm sera l’un des cadavres dans le placard du prochain gouvernement.

“Les démissions se multiplient, la démotivation se généralise, le désespoir menace.” François Du Mortier, représentant des cadres chez IRISteam, ASBL directement liée à Paradigm, emploie des mots forts dans un mail adressé aux députés bruxellois et que nous avons pu consulter.

C’est aussi ce qui nous revient de la part de plusieurs sources en interne, à différents niveaux. Le plan pour faire de l’ancien CIRB le chef d’orchestre de l’informatique bruxelloise est non seulement un raté, mais aussi un projet au point mort.

Comme nous vous l’expliquions, cette grande stratégie qui visait à mutualiser, simplifier, rationaliser les trop nombreuses initiatives informatiques en Région bruxellois s’est heurtée à un mur. Notamment à des résistances internes, provoquées par une direction autoritaire et une gestion politique à tout le moins distante.

Ou comment une bonne idée s’est fracassée dans les méandres de l’administration bruxelloise, faisant de Paradigm une structure en déficit chronique, avec un dépassement des dépenses de 9,3 millions d’euros en 2022, puis de 12,9 millions d’euros en 2023, reportées aux budgets 2023 et 2024.

Des restructurations en chaîne

Cette tension en interne est bien réelle, tout comme la résistance des directeurs opérationnels d’IRISteam pour mettre en place la nouvelle stratégie politique, portée par la direction générale. Toutefois, au travers de son mail, François Du Mortier explique que cette résistance n’est pas venue de nulle part et qu’elle n’était pas présente au départ du changement de stratégie. “Bien au contraire, les gestionnaires et leurs équipes se sont mobilisés pour apporter leur soutien actif à cette transformation”. Le problème, selon le cadre, c’est que “dès le lancement, les responsabilités des importants projets ont été attribuées à d’autres consultants externes (…). À un certain moment, plus de quarante consultants rapportaient directement au directeur général.” En d’autres mots : les directeurs opérationnels ont été contournés ou virés par la direction générale, qui les jugeait incompétents ou trop résistants pour mettre en place cette nouvelle stratégie.

De cette réorganisation serait née une structure chaotique chez Paradigm. Une hydre à plusieurs têtes menant à l’échec des projets proposés aux administrations bruxelloises et aux communes, et aux dépassements budgétaires mentionnés.

Fin 2023, face à cette résistance qui persiste, la direction met en place une nouvelle restructuration. Nom de code : RestoreHome. Elle recrute trois nouveaux directeurs externes en lieu et place des responsables des Pôles au sein d’IRISteam. La marmite explose : les syndicats vont trouver le ministre pour lui faire part de “l’environnement toxique” qui règne au sein de Paradigm depuis plusieurs années. Un peu plus tard suivront les dépenses extravagantes de golf, qui fuiteront plusieurs semaines après dans la presse.

“En définitive, cette nouvelle stratégie s’avère un échec, tranche aujourd’hui Du Mortier. Il est évident que la responsabilité en incombe entièrement au cabinet et à la direction générale. Ceux-ci, après avoir remanié le comité de direction en licenciant deux des quatre directeurs de département début 2021, doublé le budget et imposé une mise en œuvre conforme à leurs directives, doivent assumer les conséquences de ces choix.”

Beaucoup de questions en suspens

Paradigm est un OIP de type A. En ce sens, cette administration est sous la responsabilité directe de son ministre, Bernard Clerfayt, dont le cabinet est représenté à la présidence du conseil d’administration d’IRISteam, structure liée à Paradigm. La question de savoir pourquoi le ministre a laissé s’envenimer cette situation reste entière. On ne parle pas d’une broutille : Paradigm, c’est une administration de 650 personnes, avec un budget de 70 millions d’euros.

Interrogé vendredi dernier, en séance plénière, le ministre bruxellois de la Transition numérique a refait la chronologie du dossier devant les députés. Bernard Clerfayt dit n’avoir été mis au courant des problèmes financiers de Paradigm qu’à l’été dernier, au moment de la publication du rapport de la Cour des comptes sur le budget 2022. Sur les dysfonctionnements internes, pas avant décembre dernier, donc. Quant aux dépenses suspectes, pas avant le début de l’année 2024.

Pas satisfaits des réponses du ministre, les députés ont remis le couvert, ce mercredi, en Commission des Affaires économiques. À commencer par le député de l’opposition, Christophe De Beukelaer (Les Engagés), qui s’est saisi en premier du dossier. “Vous auriez dû remettre en question toute la stratégie avec la direction et demander un audit externe il y a plus d’un an. En lieu et place, votre passivité a laissé pourrir la situation et nous nous retrouvons à présent dans une situation inextricable.” Christophe De Beukelaer se demande toujours pourquoi des réactions fortes ne sont pas intervenues plus tôt, alors “que des one to one sont organisés, tous les mardis, entre le cabinet et Paradigm”. Dans ses questionnements, le député a été rejoint par deux députés de la majorité, Jamal Ikazban (PS) et Farida Tahar (Ecolo), qui ont demandé à leur tour un gros effort de transparence de la part du ministre.

Bernard Clerfayt a eu davantage de temps pour répondre qu’en séance plénière. Il a listé un ensemble de “notes vertes” adressées à la direction de Paradigm, après des interpellations orales qui n’ont visiblement pas eu l’effet escompté, ces derniers mois. D’abord sur les dérapages budgétaires, ensuite sur les problèmes de gestion interne, avec la nouvelle restructuration.

Deux task forces plus tard, lancées en décembre 2023 et en avril 2024, le ministre se résout finalement à lancer un audit complet autour de Paradigm. Quant au comportement de la direction et aux dépenses de sponsoring, face aux réponses peu convaincantes qu’il a reçu, le ministre a lancé vendredi dernier une procédure disciplinaire à l’encontre du directeur général, Nicolas Locoge.

Enfin, le ministre a maintenu sa défense concernant son cabinet, représenté au sein du Conseil d’administration d’IRISteam. L’ASBL “se charge du recrutement du personnel informatique pour le
compte de Paradigm, du service public régional de Bruxelles, des OIP et des communes. Il engage du personnel puis le met à la disposition de ces différents organismes et leur facture les coûts salariaux. Il n’y a pas de compte en dépassement chez Iristeam, ni de dépenses spéciales constatées. Son conseil
d’administration se réunit plusieurs fois par an pour discuter de grandes stratégies et de l’équilibre des
comptes, mais n’assure pas sa gestion courante
, qui est déléguée à la direction générale de Paradigm”. Et à propos des réunions hebdomadaires entre son cabinet et la direction de Paradigm : “Elles ne traitent pas de la gestion quotidienne. Nous y assurons le suivi des grands projets stratégiques.”

“Inimaginable”

“Personne ne peut croire que le ministre n’ait pas été mis au courant des déficits au sein de Paradigm avant la mi-2023. C’est inimaginable. Au mois de mars 2023, tout le monde savait que la situation budgétaire devenait ingérable”, explique aujourd’hui un Christophe De Beukelaer visiblement peu satisfait des nouvelles réponses du ministre.

“Et quand bien même, il n’aurait été mis au courant qu’à la mi-2023, c’est grave de ne pas voir de reporting financier sur l’évolution de structures telles que Paradigm. Cela signifie donc que depuis le début de la législature, le ministre gère financièrement cette administration une fois par an, avec la publication des comptes. C’est complètement lacunaire. Même si le ministre dit vrai, c’est une faute de gestion“, ajoute le député qui vise indirectement la directrice financière de Paradigm. “Une proche du président du CA d’IRISteam, qui n’est autre que le membre du cabinet de Bernard Clerfayt.” Autrement dit : l’information passait d’une structure à l’autre. D’autres sources confirment.

Christophe De Beukelaer réclame aujourd’hui les PV des réunions entre le cabinet et la direction de Paradigm. “C’est la seule manière de rétablir la confiance”, insiste le député. “Ces notes vertes étaient totalement insuffisantes. Il en a été de même de la réaction du ministre suite aux dépenses de la direction : il a fallu quatre mois pour que le ministre réagisse avec une procédure disciplinaire”. Après la parution dans Le Soir de cette information, soit dit en passant.

Ces interrogations demeurent également dans le chef de la députée de la majorité, Farida Tahar (Ecolo) : “Vos éléments de réponse nous apportent quelques informations et précisions, mais toute la lumière n’a pas été faite, car nous aurions besoin de davantage de temps.” Problème : la dernière séance plénière de la législature, c’est déjà la semaine prochaine. En outre, les résultats de l’audit n’arriveront pas avant l’été, après les élections. Et il en va de même de la procédure disciplinaire à l’encontre de Nicolas Locoge, qui ne se clôturera pas avant 6 mois.

Bref, des centaines de collaborateurs sont plongés dans l’inconnue.

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