La banque publique ne veut plus assurer le rôle de banquier d’une Région fragilisée. Entre risque de shutdown, note dégradée et gouvernance paralysée, le divorce avec Bruxelles en dit long.
Belfius met fin à sa ligne de crédit de 500 millions d’euros accordée à la Région bruxelloise. Et, fait plus rare encore, la banque publique ne souhaite plus être la banque de la Région. C’est L’Echo qui a révélé l’information : “Nous devons trouver un autre banquier”, a confirmé le ministre du Budget Dirk De Smedt (Open Vld).
Le contrat prend fin le 31 décembre 2025. La Région devra donc lancer un marché public pour se trouver un nouvel établissement bancaire. Et vite. Car un stress test, réalisé à la demande de Belfius, montre un risque de manque de liquidités dès avril-mai 2026 si aucune solution structurelle n’est trouvée.
Le message est brutal, mais pas surprenant.
Des signaux d’alerte répétés
Ce départ, en réalité, n’est pas une surprise pour ceux qui suivent les finances régionales. Depuis des mois, Belfius multiplie les signaux d’alerte. La banque, encore très exposée aux pouvoirs publics, cherche à réduire ce risque dans la perspective d’une privatisation partielle.
Elle ne peut plus se permettre d’accumuler des portefeuilles jugés sensibles, et Bruxelles est devenue l’un d’entre eux. La dette régionale, passée de 6,4 milliards en 2016 à plus de 15 milliards aujourd’hui, n’a fait qu’alourdir cette vulnérabilité.
La note de Standard & Poor’s, désormais en perspective négative, n’a rien arrangé. “Les banques ne font pas de politique. Elles comptent”, confiait récemment un haut fonctionnaire bruxellois à Trends-Tendances, résumant avec froideur la logique bancaire face à une entité publique qui tarde à assainir ses comptes.
Le spectre d’un blocage budgétaire
La rupture intervient dans un cadre institutionnel délétère. Bruxelles bat déjà des records de lenteur politique : plus de 550 jours de négociation et une coalition encore introuvable au moment où la Région aurait précisément besoin de stabilité et de signaux clairs envoyés aux marchés.
Le budget 2025 prévoit un déficit structurel qui ne se résorbe pas, tandis que les intérêts de la dette ne cessent d’augmenter. Dans cet environnement, Belfius a cessé de croire à un redressement suffisamment crédible pour maintenir sa relation privilégiée avec la Région.
Le scénario d’un shutdown, longtemps cantonné à la politique américaine, commence à prendre forme dans les esprits. Chaque printemps, Bruxelles doit financer les pécules de vacances des fonctionnaires, les dotations aux communes et les transferts aux organismes para-régionaux. Sans ligne de trésorerie, les paiements pourraient être différés ou suspendus.
L’Echo évoque un gouvernement régional conscient du risque mais en recherche de solutions, en considérant notamment de recourir à des emprunts extraordinaires pour tenir jusqu’en 2027. Cela coûtera cher à la Région bruxelloise au vu de sa réputation sur les marchés. Le ministre du Budget a tenté de rassurer, mais envisage déjà le scénario du pire : la priorité ira aux paiements des intérêts, puis aux salaires, puis aux transferts aux communes et enfin aux organismes para-régionaux.
L’accusation politique
Sur LinkedIn, la cheffe de file Ecolo Zakia Khattabi s’en prend sévèrement à Belfius : “C’est juste dingue ! Faut-il rappeler que cette banque n’existerait plus sans l’intervention massive de l’État, donc des citoyennes et des citoyens ? Faut-il rappeler qu’elle demeure une institution publique, financée, sécurisée et légitimée par l’argent de toutes et tous ?”
La députée bruxelloise accuse l’institution bancaire de faire de la politique : “Voir aujourd’hui Belfius se permettre de ‘choisir’ ses partenaires publics sur base de considérations qui relèvent du positionnement politique constitue un précédent dangereux. Une banque publique ne peut pas faire de politique. Elle ne peut pas devenir un acteur partisan qui sanctionne une région parce que sa trajectoire budgétaire ou ses choix politiques ne lui conviennent pas.”
Mais où est la responsabilité politique quand un nouveau gouvernement manque à l’appel depuis bientôt deux ans ? Ici, les regards se tournent vers l’Open Vld et le PS. Dirk De Smedt dit avoir “besoin d’aide”, mais son président de parti, Frederic De Gucht, qualifie le PS “de parti accro à la dépense publique”. La confiance semble rompue et l’initiative de Georges-Louis Bouchez ne montre aucun résultat.
Un choix économique plus que politique
Du côté des banques, l’attentisme politique est considéré comme un facteur de risque en soi. Belfius est soumise à un environnement prudentiel exigeant, imposé par la BCE, ce qui explique sa volonté de réduire son exposition aux pouvoirs publics.
Dans les échanges avec Trends-Tendances, on retient que cette prudence n’est pas nouvelle : la banque examine depuis plusieurs années la pertinence d’une diversification de ses portefeuilles pour ne plus dépendre autant des entités régionales, dont Bruxelles représentait un cas particulièrement sensible.
L’issue dépendra de la capacité de la future coalition bruxelloise à produire un plan d’assainissement clair et mesurable. Ce n’est qu’à cette condition que les banques, publiques ou privées, accepteront de redevenir partenaires de confiance d’une Région aux abois.