Bruxelles, ma belle Région fracturée

Ahmed Laaouej (PS)
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

La fracture au sein du PS, la montée du communautarisme, la dualisation sociale, la fuite des entreprises et des élections comme un piège: la capitale est, sans doute, à la croisée des chemins. La preuve par Molenbeek et la confection des listes.

Dans le dernier grand sondage concernant les intentions de vote, mi-décembre, le PTB est devenu… le premier parti en Région bruxelloise. On l’attendait surtout en Wallonie, mais Raoul Hedebouw séduit visiblement au coeur du pays. La gauche radicale devançait de peu le MR, qui caracolait en tête les sondages précédents, alors que le PS n’était que quatrième.

Un “besoin de rupture”, commentait-on ça et là face à une majorité PS-Ecolo-DéFI à bout de souffle. Mais c‘est aussi un signal à plusieurs égards: la ville ne vit pas aussi bien que cela, le bilan de la majorité sortante est critiqué, et le PS vit un malaise révélateur. La preuve par l’actualité qui se bouscule et la désignation des têtes de liste.

Un PS fracturé, sous pression

Les événements politiques survenus à Molenbeek, ces derniers mois, illustrent la capacité de nuisance du PTB et la fracture que cela induit au sein du PS, sur fond de communautarisme galopant.

Catherine Moureaux, bourgmestre de la commune et fille de l’ancien patron du PS bruxellois, Philippe Moureaux, revient à la tête de la commune après un congé maladie de près de trois mois. Elle avait été accusée de violences à l’égard d’un échevin de son parti, qu’elle aurait poussé sans ménagement hors de son bureau, sur fond de tensions profondes dans la commune. La présentation de l’incident a été contredite par le rapport de la commission de vigilance du parti.

“Il y a eu beaucoup d’attaques de l’opposition, confie-t-elle au Soir ce jeudi matin. Il y a eu l’incident largement grossi avec Abdellah Achaoui, puis les autres accusations qui ont suivi et chacun des dossiers a fait « pschit » par la suite. Clairement, il y avait une campagne extrêmement violente qui visait ma personne.” Souligant qu’il n’est guère aisé de mener une majorité PS-MR à Molenbeek, une des plus pauvres du pays, elle ajoute: “C’est l’endroit de la Région bruxelloise où aujourd’hui le PTB a le plus d’élus. Et donc c’est vrai que politiquement, c’est une commune qui est difficile à gérer avec des moments de tension assez importants.”

Une grande capacité de nuisance, donc.

Mais dans cette séquence, Catherine Moureaux questionne également les interférences d’Ahmed Laaouej, président de la Fédération bruxelloise du PS, qui serait intervenu en marge des travaux de la Commission de vigilance. “Si c’est le cas, je trouve ça grave, dit-elle. Pas que pour moi, mais aussi pour chaque militant socialiste.”

Cela dit, le principal intéressé dément. En vue des élections de juin prochain, Ahmed Laaouej emmènera d’ailleurs la liste du PS, devant Caroline Désir qui étair pressentie, avec la volonté affichée de viser la ministre-présidence de la Région. Ce serait une première très symbolique pour un Marocain d’origine – et un Liégois devenu Bruxellois, comme le bourgmestre de la Ville, Philippe Close.

L’homme est très populaire, il s’adresse prioritairement aux plus démunis et au côté Nord du canal, il n’est pas non plus dénué de sensibilité communatariste, plus par opportunisme politique que par conviction personnelle. Résultat? Ces derniers mois, le PS s’est fortement déchiré dans la ville avec le départ annoncé du député Julien Uyttendaele ou la fronde de Rachid Madrane contre la composition des listes.

“Je suis convaincu que la laïcité est le refuge qui garantit à tous la liberté de croire ou de ne pas croire, la liberté d’être ce qu’on veut, disait Julien Uyttendaele, au moment de s’en aller. Et aujourd’hui, ce refuge est présenté par beaucoup comme une menace. (…) Il n’y a plus personne au sein du Parti socialiste bruxellois qui incarne la ligne que je défends aujourd’hui.”

Un besoin d’apaisement

La politique bruxelloise, ces dernières années, a été marquée par la volonté de redonner Bruxelles aux Bruxellois, en améliorant la qualité de la vie (et de l’air), en menant la chasse aux voitures avec de nouveaux plans de mobilité, en menant une transition économique durable et en favorisant la diversié.

Autant d’objectifs très louables, mais qui ont induit des blocages et des effets pervers: volonté des entreprises de quitter Bruxelles, dualisations sociales, violences dans certains quartiers, immobilisme routier…

Au MR, on fustige le bilan de la majorité sortant. La liste libérale, a-t-on appris mercredi soir, sera emmenée par David Leisterh, chef de fille régional, et… Hadja Lahbib, ministre des Affaires étrangères, que l’on voyait au fédéral. Difficile de ne pas y voir un signal envoyé aux communautés d’origine étrangère. “C’est un choix de cœur », explique-t-elle. J’aime Bruxelles, et j’y suis profondément attachée. C’est la ville dans laquelle j’ai grandi, étudié, dans laquelle je vis, je sors, je travaille, je recontre mes amis, je vois ma famille, c’est toute ma vie. Je crois en Bruxelles et son incroyable diversité et en ses talents.”

Et d’ajouter: “« Il est temps d’écrire une nouvelle page de l’histoire de notre région, optimiste et positive. C’est ce que j’entends dans la bouche des Bruxellois que je rencontre au quotidien. Je serai à leur service pour écrire cette nouvelle page avec eux et je m’en réjouis ».

Désigné tête de liste pour DéFI, le ministre régional sortant Bernard Clerfayt tient, lui aussi, un discours d’apaisement, après avoir été critiqué pour son parler-vrai au sujet du chômage important des femmes dans la ville, pointant du doigt la culture “méditerrannéenne’. “Pour préparer l’avenir, je veux insuffler de la cohésion et de la créativité qui feront gagner notre équipe, insiste-t-il. De la cohésion et de la créativité, c’est d’ailleurs ce dont Bruxelles a besoin.”

Plus que jamais, alors que la capitale risque d’être, aussi, l’objet d’un bras de fer politique et institutionnel au sujet de son endettement et des risques pour son avenir, les tensions risquent de déchirer la Région. Bruxelles, ma belle, est fracturée et disputée. Une priorité sera de recimenter son avenir.

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