Bruno Colmant: “Ma brûlante inquiétude croît avec le retour de Trump et le risque de conflit généralisé”
A l’occasion de la sortie de son nouveau livre, l’économiste se confie. Il voit d’un oeil sombre la multiplication des ruptures: climatiques, géopolitiques, monétaires… “L’accumulation des crises empêche de trouver une issue à chacune d’entre elles, souligne-t-il. Dans la panoplie de chocs auxquels nous assistons, il n’y a plus d’éléments fédérateurs ou apaisants.”
Bruno Colmant, économiste et académicien, sort une nouvelle version de son livre “Une brûlante inquiétude” (éditions Mardaga), à un moment où les foyers de crise se multiplient dans le monde. Il se confie au sujet de ses tourments à Trends Tendances.
Votre inquiétude est-elle plus brûlante que jamais?
Oui! L’accumulation des crises empêche de trouver une issue à chacune d’entre elles. La question climatique est complètement niée, une évolution que l’on sentait venir depuis deux ans. Les Etats-Unis, qui restent le plus grand pollueur du monde, risquent de sortir des accords de Paris: toute l’architecture de la remédiation climatique est en grand danger et le saccage va s’amplifier. Cela se combine avec une guerre en Ukraine qui pourrait s’amplifier. Tout le monde affirme sa volonté de la résoudre, mais j’attends de voir comment ils vont y arriver. La décision de Joe Biden d’autoriser les tirs de missiles à longue portée sur le territoire russe m’a terriblement secoué.
Dans quel sens?
Quand j’ai entendu cela à France Inter en me réveillant, mardi matin, je me suis demandé comment il était possible qu’un président américain vieillissant et sur le départ puisse prendre une décision avec de telles conséquences, potentiellement dangereuses. Cela montre aussi notre dépendance militaire complète à l’égard des Etats-Unis. Les contours de cette guerre restent hasardeux, pour le moins, et un régime phare du monde occidental est en profonde mutation. Tout cela crée un niveau d’alerte au rouge vif.
Vous revenez des Etats-Unis, qu’est-ce que ce vous a inspiré?
J’étais persuadé que Trump serait élu parce qu’il a réussi à faire croire aux Américains qu’ils étaient dans la même situation de déclassement que dans les années 1970, après leur retour du Vietnam, avec un cumul de crise économique, d’inflation, d’endettement public et de perte de fierté militaire. Alors que ce n’est pas le cas puisque cela reste une puissance militaire et que la situation économique est plutôt bonne, avec quasiment le plein-emploi. Mais son langage fort a porté: il a quasiment tout gagné. Les Américains entrent dans un nouveau régime politique qui ne sera plus multilatéraliste, ce qui change tout, mais aussi dans un hypercapitalisme sous la forme d’une lutte effrenée pour la prospérité individuelle. Cela risque de créer un niveau de nervosité sociale très élevé aux Etats-Unis. Trump ayant promis l’immence de tout ce qu’il a promis, que se passera-t-il s’il ne réussit pas?
Sous l’angle économique, il y a des contradictions flagrantes dans tout ce que Trump veut faire. Il veut augmenter les barrières tarifaires et mener des politique de dépenses fiscales, ce qui va créer une inflation importante, et renforcer l’endettement. Il entend aussi mettre à la porte 11 à 15 millions migrants qui sont autant de travailleurs et de consommateurs, un choc qui pourrait altérer la croissance économique.. Ce qui m’inquiète profondément, c’est qu’il y a un risque majeur sur l’endettement et le dollar. Elon Musk laisse même entendre la possibilité de créer un fonds stratégique de cryptomonnaies, comme s’il s’agissait de prévoir la possibilité de créer un système monétaire dual et d’anticper un déclassement du dollar.
C’est comme s’il s’agissait d’une prophétie autoréalisatrice?
Exactement! Elon Musk dit que la dette fédérale est insoutenable, mais que l’on pourrait la rembourser avec des cryptomonnaies. On me prenait pour un cinglé quand je le disais, mais je reste persuadé qu’il y a un risque sur le dollar. C’est invraisembable parce que tout le système est bâti là-dessus.
Votre brûlante inquiétude est précisément due au fait que tous les socles du monde – climatique, géopolitique, économique, démocratique… – sont en train de vaciller, non?
Bien sûr. Si on regarde cela avec un peu de distance, nous allons entrer dans un monde orwellien, avec des mondes qui se font la guerre en permanence. L’entrée en guerre des Nords-Coréens auprès des Russes est tout de même révélateur. Face à cela, le monde occidental est fracturé avec le risque d’un éloignement des Etats-Unis de l’Europe. Ce monde occidental ne reçoit, en outre, plus le soutien des pays émergents. Emmanuel Todd dit que le reste du monde nous déteste en raison de notre attitude néocolonialiste, ant nous avons abusé de ces pays moins chers, et en raison de notre économie financiarisée face à des pays où la valeur du travail reste importante.
C’est inquiétant. Nous courrons tête baissée vers la frénésie du monde. En Suède et en Finlande, on envoie des messages pour se préparer au risque d’une guerre. Trump est, à mon sens, l’indication du point de non-retour. Qu’il soit isolationniste ou intrusif, tout cela ne peut que s’amplifier. La figure de proue de la liberté occidentale a disparu. Et nous, Européens, devrons faire des choix très compliqués, peut-être se rapprocher de la Chine et faire la paix avec la Russie avec laquelle on partage le même continent.
Dans cinq ans, le monde sera complètement bouleversé. On peut même se demander si l’Union européenne est capable de résister à Trump. Pour lui, elle ne compte pas du tout et il va nouer des accords bilatéraux avec des pays comme l’Italie ou la Hongrie qui vont parfaitement s’en accommoder. Le risque est d’autant plus grand que le couple franco-allemande est en mort clinique. L’Allemagne vit un choc industriel et la France n’a pratiquement plus d’industries, Macron et Scholz n’ont plus d’assise politique…
Dans la panoplie de chocs auxquels nous assistons, il n’y a plus d’éléments fédérateurs ou apaisants.
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