Bientôt une nouvelle amnistie fiscale ?
Le scénario d’une éventuelle nouvelle amnistie fiscale est sur la table des négociateurs de l’Arizona. Voici pourquoi le prochain gouvernement pourrait absoudre les fraudeurs une cinquième fois.
Une cinquième amnistie fiscale verra-t-elle le jour dans le cadre du prochain gouvernement Arizona ? Au moment d’écrire ces lignes, la piste était en tout cas étudiée par les négociateurs de la future coalition fédérale pour renflouer les caisses publiques. Sur le plan du principe, on connaît la musique : les Belges qui possèdent de l’argent noir (soustrait aux yeux du fisc) pourraient “blanchir” cet argent en toute légalité, moyennant le paiement d’une amende. En échange, le fraudeur ainsi pardonné bénéficierait d’une immunité fiscale et pénale.
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Sur le terrain, les fiscalistes ne sont pas contre l’idée, bien au contraire. On peut même dire qu’ils sont demandeurs. Avocat et professeur de droit fiscal à l’université de Gand, et co-auteur du projet de réforme fiscale soutenu par Vincent Van Peteghem (cd&v) lors de la Vivaldi, Mark Delanote déclarait voici quelques jours dans les colonnes du Standaard que mettre en place une nouvelle amnistie était “une très bonne idée”.
Vide juridique
Avocate spécialisée en droit fiscal (Tetra Law), Sabrina Scarnà plaide elle aussi pour l’instauration d’un nouveau grand pardon fiscal. Ce serait effectivement “une bonne chose pour les dossiers qui le nécessitent, nombre de contribuables sont aujourd’hui coincés avec des avoirs à l’étranger qu’ils ne peuvent pas rapatrier”, observe-t-elle au regard des cas vécus au sein de sa clientèle.
C’est que depuis le 1er janvier 2024, et la fin de la DLU quater le 31 décembre 2023, il n’y a plus de confessionnal. “Les contribuables qui cherchent à régulariser des capitaux non déclarés sont dans une impasse, reprend Sabrina Scarnà. Certes, il est toujours possible d’aller spontanément voir son contrôleur fiscal en vue de régulariser sa situation. Mais le problème, c’est qu’il s’agit alors d’une négociation qui se passe en dehors de tout cadre juridique clair et sans garantie sur le plan pénal”, rappelle la fiscaliste de Tetra Law.
“Cette situation s’avère problématique, notamment suite au durcissement de l’infraction de blanchiment”, abonde son confrère Grégory Homans (Dekeyser & Associés) qui parle de véritable vide juridique. “L’instauration d’une nouvelle procédure de régularisation fiscale offrirait en effet une issue légale et transparente à de nombreuses personnes”, dit-il. Y compris pour les banques qui craignent d’être considérées comme complices de blanchiment et n’acceptent pas les fonds, même prescrits depuis longtemps, dont l’origine ne peut être démontrée. Comme un patrimoine placé au Luxembourg il y a 20 ans, par exemple.
“L’instauration d’une nouvelle procédure de régularisation fiscale offrirait une issue légale et transparente à de nombreuses personnes.” – Grégory Homans (Dekeyser & Associés)
Levier budgétaire
Par ailleurs, une DLU 5 serait aussi une bonne chose pour l’État, confronté à un trou budgétaire hors normes. On se rappelle du succès rencontré par la première DLU (déclaration libératoire unique). Lancée par le gouvernement Verhofstadt en 2004, contraint lui aussi de trouver de l’argent pour boucler un budget à l’équilibre, cette première DLU visait seulement les avoirs détenus par les Belges à l’étranger et prévoyait le paiement d’une pénalité unique de 6% ou 9%, selon les cas. En un an, elle a permis de faire rentrer près de 500 millions d’euros dans les caisses de l’État.
Mise sur pied en 2005, la DLU bis, qui s’est étalée sur plus de sept ans, visait quant à elle la fraude fiscale simple sur les revenus, notamment le précompte mobilier éludé, mais aussi des revenus professionnels ou des successions non déclarés. En 2013, la DLU ter offrait la possibilité de se mettre en ordre pour des revenus issus de fraude fiscale grave et organisée. Quant à la DLU quater, instaurée par le gouvernement Michel en 2016, elle rendait obligatoire la régularisation du capital (plus seulement les revenus), moyennant un prélèvement grimpant jusqu’à 40%.
Au total, en 20 ans, ces amnisties fiscales successives ont permis de faire rentrer près de quatre milliards de recettes fiscales supplémentaires dans les caisses de l’État. De tels chiffres ont de quoi faire saliver. On comprend mieux les négociateurs de l’Arizona. D’autant que le patrimoine non déclaré des Belges serait encore très important. Malgré les différentes campagnes de régularisation, environ 40 milliards d’euros d’argent noir dormirait encore dans l’ombre, selon un rapport de la Cour des comptes publié en 2021.
Donnant-donnant
Amnistier les fraudeurs reste néanmoins un sujet politiquement très sensible, notamment pour les partis de gauche qui y voient un cadeau fait aux fraudeurs, voire une incitation à frauder. La solution: une sorte de donnant-donnant entre amnistie et taxation du capital, pour à la fois contenter les socialistes flamands de Vooruit tout en amadouant Georges-Louis Bouchez et les siens qui ont promis qu’il n’y aurait pas de nouveaux impôts?
À condition de viser les contribuables qui en ont besoin et pas ceux qui se sont déjà confessés, lance Sabrina Scarnà : “L’État ne peut revenir sur ce qui a été conclu par le passé avec le contribuable. Remettre en cause des capitaux qui ont déjà été régularisés serait injuste. Cette éventuelle nouvelle amnistie fiscale doit s’adresser aux contribuables en infraction, mais qui n’ont jamais fait appel aux procédures de régularisations. Elle ne doit pas être un racket de l’État, c’est-à-dire un moyen pour forcer à régulariser les capitaux noirs fiscalement prescrits. Ces capitaux rapatriés sur les comptes belges, auxquels fait allusion le rapport de la Cour des comptes, n’étaient pas concernés par ces régularisations. On ne peut prétendre qu’ils ne bénéficient pas de l’immunité pénale alors que tel était pourtant bien l’objet des précédentes régularisations.”
Et dans la pratique?
Si le scénario d’une cinquième amnistie fiscale se concrétise, il faudra donc voir à quoi elle ressemblera en pratique. Tous les types de revenus (mobiliers, professionnels, droits de succession, etc.) seront-ils couverts par la procédure ? Sera-t-il possible de régulariser n’importe quel revenu ou capital sans devoir justifier son origine ? L’opération sera-t-elle accompagnée d’une véritable sécurité sur le plan pénal ? Quid enfin de la pénalité : la nouvelle procédure qui imposait au fraudeur disposant de capitaux noirs accumulés depuis plus de sept ans – capitaux fiscalement prescrits – d’abandonner 40% de son argent noir au fisc ?
“Il pourrait être opportun d’instaurer un taux préférentiel dans certaines situations, pour les personnes ayant déjà procédé par le passé à une régularisation sans pouvoir régulariser les capitaux fiscalement prescrits, par exemple”, estime Grégory Homans. Dit autrement, “il faudra bien que cette DLU 5 présente d’une manière ou d’une autre un réel incitant pour convaincre les candidats au pardon”, complète Sabrina Scarnà.
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