Carte blanche
Banques et marché africain: pourquoi une telle méfiance?
Les entreprises évoluent dans une économie mondialisée. Ainsi en va-t-il également pour les entreprises actives en Belgique ou en République démocratique du Congo (RDC). Les deux pays partagent une histoire commune qui remonte à la période coloniale, histoire qui occupe une grande place dans l’inconscient collectif des deux nations.
Chacun poursuit sa trajectoire de manière autonome depuis l’indépendance de la RDC tout en entretenant des liens politiques de haute ou basse intensité selon les gouvernements en place, belges ou congolais. Si l’indifférence n’a jamais régné, les attentes ont été souvent déçues et de nombreuses frustrations sont nées de cette relation aux allures de rendez-vous raté.
Il faut cependant espérer que les stratégies des uns et des autres, les incompréhensions et les périodes de fâcherie suivies de périodes de réconciliation plus ou moins durables ne seront bientôt qu’épiphénomènes face à l’histoire qui est en marche sous nos yeux.
Fragilisée par ses fractures internes et son déclassement économique entamé au dernier quart du siècle passé, la Belgique est un acteur qui doute. Sa voix jadis entendue sur la scène internationale, entre autres par de vaillants précurseurs de la construction européenne, peine à être audible et, en ce qui concerne ses relations avec la RDC, oscille entre un alignement avec la politique américaine ou française et une politique plus volontariste hélas souvent paternaliste quand elle n’est pas faite d’immixtion.
La RDC est elle aussi fragile et ses structures sont trop souvent déliquescentes mais il est impossible de ne pas voir ce qui est à l’oeuvre dans le pays de Patrice Lumumba, de la patiente recomposition politique sous le leadership d’un président non issu de l’armée ou du maquis, à l’avènement promis d’un pays puissant, aux plans politique et économique. Ses ressources trop convoitées par des acteurs parfois sans scrupules sont un atout majeur dans cette réussite annoncée. Parmi ces ressources, le capital humain constitue un atout majeur et un facteur d’attraction puissant pour tout investisseur.
Alors, Belgique-RDC : alliance de l’aveugle et du paralytique ? Pas sûr.
Les synergies sont innombrables dans de nombreux domaines tels que l’éducation, l’agriculture, les infrastructures, le digital et l’énergie. Et les acteurs publics et privés ont trouvé les voies et moyens pour initier et réaliser des projets “gagnant-gagnant”. Les gouvernements des deux pays ont ainsi conclu (47 ans après l’indépendance de la RDC) une convention, calquée sur le modèle OCDE, préventive de la double imposition. L’idée est simple : l’entreprise qui traite des affaires impliquant les deux pays ne sera pas doublement imposée. Les revenus immobiliers, du travail ou les dividendes subiront un traitement fiscal spécifique et non pénalisant. Il est donc possible, par exemple, de localiser une société en RDC et le holding détenant les actions en Belgique et, grâce à la convention, d’éviter les frottements fiscaux. La belle affaire !
Conseillés par des avocats et fiscalistes, un opérateur américain décide d’utiliser les ressources de cette convention. Il apporte sa technologie à une société opérationnelle congolaise, dont les actions seront détenues par une société holding belge, jugée plus intéressante qu’une holding luxembourgeoise. Le deal est finalisé et annoncé à la presse. Il ne reste plus qu’à mettre les structures en place, constituer les sociétés et à les faire fonctionner. Rien de sorcier si ce n’est … que l’ouverture du compte bancaire est refusée par les banques belges au motif de la localisation de l’activité principale en RDC.
Cette mésaventure ahurissante s’ajoute à de nombreux cas de refus d’ouverture de compte ou de fermetures de comptes aussi peu motivées qu’imposées dans la hâte. Ainsi le cas de de jeunes codeurs doués, dont les logiciels se vendent en RDC et dans d’autres pays africains. Enhardis par leur succès et les quelques centaines de milliers de dollars de chiffre d’affaire annuel récurrent de leur société, ils décident de tâter du marché européen via la Belgique. Ils sollicitent l’ouverture d’un compte en banque, dans la perspective de la création d’une succursale. Même refus bancaire : “nous ne pouvons travailler avec la RDC”. Ainsi le cas d’une ressortissante belge au Rwanda convoquée pour fermer son compte ouvert de très longue date dans son agence en Wallonie. Motif ? “Votre activité n’est pas très claire” (sic). Ou encore celui d’un cadre supérieur de nationalité congolaise, lié à entreprise belge en RDC, avec quatre enfants aux études en Belgique, sommé de clôturer ses comptes bancaires belges. Le paravent trop facilement invoqué est celui de la “compliance”.
Et il y d’autres exemples.
On peut certes ne pas partager le credo entonné à l’entame de ce billet, mais il n’est pas compréhensible de se couper d’un marché en pleine expansion bien connu de notre pays. Et de se couper des clients qui y prospèrent. Outre qu’elle accroît le malentendu belgo-congolais (ou belgo-africain), cette crainte du monde bancaire n’est pas sans conséquences économiques. Elle a pour effet de détourner de notre pays des clients et investisseurs ; notre pays se voit ainsi privé de précieuses ressources en ces temps où toute création de richesses est la bienvenue.
Il est donc temps de se ressaisir pour éviter une autre mondialisation qui ne doute pas, celle de la médiocrité.
Patrick De Wolf
Avocat à Bruxelles et à Kinshasa, maître de conférences à l’UCLouvain
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