Carte blanche
Amanda Gorman nous rappelle le pouvoir des mots
Le soir du 20 janvier, le monde ne parlait que d’elle. Elle a volé la vedette au Président des États-Unis. Amanda Gorman, la poète de l’investiture de Joe Biden, nous a rappelé le pouvoir des mots. La rhétorique, un art oublié de la politique belge?
Deux fois par mois, les Belges regardent avec appréhension la conférence de presse du comité de concertation. Evolution des contaminations, nouvelles mesures, augmentation des contrôles. Malgré une situation qui reste tendue sur le front médical, l’adhésion de la population s’essouffle peu à peu. La communication politique belge ne convainc plus.
Un art millénaire
La rhétorique, l’art de la persuasion par les mots, date d’il y a plus de deux mille ans. Aristote en a jeté les bases en l’an 325 avant Jésus-Christ. L’approche du philosophe est basée sur 3 piliers : le caractère de l’orateur (ethos), le raisonnement logique (logos) et les émotions (pathos). Près de trois cents ans plus tard, l’homme politique romain Cicéron a décrit la structure idéale du discours. Au 21e siècle, alors que les canaux de communication ont été métamorphosés, les fondamentaux de l’éloquence n’ont pas changé.
L’histoire se rappelle des grands orateurs. De Gaulle, Churchill, Kennedy, leurs discours restent gravés dans la mémoire collective. Dans son poème, Gorman se décrit comme “une fille noire toute maigre, descendante d’esclaves et élevée par une mère seule“. Comme Barack Obama qui dans son discours de 2004, alors inconnu du grand public, était sûr que l’Amérique avait une place pour lui, “un enfant tout maigre avec un nom amusant“. Une prophétie qui s’est réalisée quatre ans plus tard, lorsqu’il est devenu le premier président noir des États-Unis.
Alors que la rhétorique a donné son nom à la dernière année de la scolarité, c’est un art peu pratiqué en Belgique. Une compétence qui, pourtant, peut se développer. Un “soft skill“. Pas besoin d’être né avec le talent de Martin Luther King pour manier le verbe avec tact.
Touche de magie
Le poème d’Amanda Gorman a savamment mêlé poésie et rhétorique. Figures de style, allusions historiques, une diction pleine d’émotion. L’anaphore, la répétition d’une séquence de mots en début de phrase, nous rappelle le rêve de Martin Luther King. Dans le chiasme, les mots se roulent et se déroulent. Comme Kennedy qui, 60 ans jour pour jour derrière le même pupitre, appelait les Américains à ne pas se demander ce que leur pays pouvait faire pour eux, mais ce qu’ils pouvaient faire pour leur pays (“ask not what your country can do for you – ask what you can do for your country “). Les figures de style ajoutent de la magie au discours. Une magie qui manque cruellement dans la communication de nos politiques.
Message d’espoir
On pourrait rétorquer qu’une présentation factuelle favorise la clarté du discours. Que l’emphase est passée de mode ou provoque la suspicion. Que l’opinion n’attend que l’exposé des faits. Mais la logique froide ne convainc pas. Ce sont les émotions qui déplacent des rivières. On a certes utilisé la peur pour nous persuader de respecter les gestes barrières. Mais, après plus de dix mois de crise, c’est d’un message d’espoir dont les Belges ont plus que jamais besoin. Un message qu’Amanda Gorman a distillé avec brio dans son poème, “ for there is always light, if only we’re brave enough to see it. If only we’re brave enough to be it “.
Alors que la crise s’apparente à un tunnel sans fin, les politiques belges doivent retrouver le pouvoir de convaincre. Le pouvoir d’inspirer. Le pouvoir de nous rappeler, ne fût-ce qu’un instant, que ce long tunnel n’est pas éternel.
Laurent Hermoye, docteur en sciences médicales, enseigne la persuasion dans les programmes de formation continue de l’ICHEC.
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