Alain De Neve: “Des chars russes à Bruxelles? Je n’y crois pas, mais il faut se préparer à toute éventualité”

Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Alain De Neve, chercheur à l’Institut royal supérieur de défense, est de “ceux qui croient à la menace russe”. Il salue un sursaut européen qui concrétisera enfin notre autonomie stratégique. Dans notre Trends Talk, cet expert réputé évoque les 800 milliards annoncés par la Commission. “Un signal auquel on n’aurait jamais cru, comme le revirement de l’Allemagne.”

Alain De Neve, chercheur à l’Institut royal supérieur de défense, est une des références dans le domaine militaire revenu à la une de l’actualité en raison du rapprochement entre les présidents américain et russe, Donald Trump et Vladimir Poutine. Dans notre Trends Talk, qui passe en boucle ce week-end sur Canal Z, il passe en revue les enjeux vertigineux de l’heure en matière de défense européenne.

Un moment historique pour l’Europe? “Nous vivons une période riche en décisions et en changements de cap, souligne-t-il. Les lignes bougent. Pas mal de choses préparées de longue date au niveau de l’Europe de la défense sont en train de se concrétiser, par la force des choses. Cela va même au-delà de ce que l’on pouvait penser. Certains parlent de changement de paradigme au niveau de la relation transatlantique, je les rejoindrais sur ce point.”

“Je crois à la menace russe”

La menace russe sur l’Europe est-elle réelle? N’exagère-t-on pas le risque? “Je fais partie de ceux qui croient qu’il y a une menace russe, nous dit-il. Il faut analyser la séquence des événements qui se sont produits depuis 2008. A chaque fois, la Russie nous a surpris dans ses décisions, prises par le même homme, Vladimir Poutine. L’invasion à large échelle de l’Ukraine en 2022 a confirmé cette tendance.”

“On aurait pu penser que cette menace allait s’atténuer du fait de l’enlisement que l’on envisageait de la Russie dans ce conflit et de ses lourdes pertes, matérielles et humaines, prolonge-t-il. En réalité, on observe une capacité de regénéréscence de la Russie. Même si on peut envisager une période de relative accalmie, il est fort à parier que la Russie utilisera cette période-là pour se réarmer afin de menacer d’autres parties de l’Europe dans lesquelles elle veut établir des zones d’instabilité.”

Fait-il craindre des chars russes à Bruxelles ou des frappes de missiles à moyenne portée sur le siège de l’Otan? “Il ne faut jamais rien exclure, mais je ne pense pas que l’on parle de ça à court ou moyen terme, répond Alain De Neve. La stratégie russe vise à toujours contourner la dissuasion nucléaire par le bas et à rester en-dessous du seuil qui pourrait conduire l’adversaire à rentrer dans une autre forme d’escalade ou de rapport de force. C’est évidemment calculé et c’est la raison pour laquelle je ne crois pas à ces scénarios. La question est de savoir si elle pourra jouer intelligemment avec cette ligne sur le long terme. C’est la raison pour laquelle il faut, malgré tout, se préparer à toute éventualité.”

800 milliards: un signal fort

Le chercheur analyse longuement la marche forcée vers l’Europe de la défense et la construction d’une industrie de la défense.

La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a annoncé un plan de 800 milliards pour réarmer l’Europe. “Ces 800 milliards, ils n’existent pas, souligne-t-il. C’est un montant qui a frappé les esprits parce qu’il s’agit d’un chiffre qui ressemble étrangement au budget annuel de la défense américain. Mais nous ne sommes pas du tout dans le même rapports de valeurs. Il s’agit ici, d’une part, de 650 milliards que l’on espère générer en permettant aux Etats de sortir de l’orthodoxie budgétaire sans subir les foudres de la Commission européenne. 150 milliards pourraient, d’autres part, être des investissements sous forme de prêts.”

Pour autant, il s’agit d’un signal fort. “Il n’empêche que cette orientation de la Commission européenne a de quoi être soulignée parce qu’elle était imprévisible – jamais on aurait imaginé qu’elle aille dans ce sens de façon aussi décisive – et qu’elle est la suite logique d’une série d’initiatives lancées depuis quelques années pour préparer les forces européennes aux défis de demain.” Le virage de l’Allemagne, qui sort de son carcan budgétaire historique pour réinvestir massivement dans la défense, est particulièrement frappant, souligne-t-il.

Un Trends Talk passionnant, à ne pas manquer pour comprendre cette ère de bouleversement stratégique et industriel.

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