600 milliards, 750 milliards….les chiffres avancés ce week-end lors de l’accord de principe conclu sur les tarifs douaniers entre la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le président américain Donald Trump suscitent interrogations et froncements de sourcils.
Où est-on aller pêcher ces montants ? Sont-ils réalistes ?
600 milliards d’investissement ?
Ursula von der Leyen a surpris certains dans son propre camp en annonçant une promesse d’investissement par les entreprises européennes de 600 milliards de dollars. Aucun calendrier n’a été précisé, mais on peut supposer que ces investissements s’étaleraient sur les trois ans et demi qu’il reste à Donald Trump pour terminer son mandat.
Toutefois, aucun montant ni même aucune promesse d’investissement n’a été repris dans la déclaration d’Ursula von der Leyen annonçant l’accord commercial. Et à la Commission européenne, on explique pourquoi. « Ce (montant) n’est pas quelque chose que l’UE, en tant qu’autorité publique, peut garantir, explique un haut fonctionnaire européen à un journaliste de Politico. Cela repose sur les intentions des entreprises privées ». Décider d’investir, cela relève en effet des intentions du secteur privé, et la Commission n’a pas l’intention de se tirer (une autre) balle dans le pied en incitant les entreprises européennes à investir aux États-Unis. Il semble cependant que ce montant de 600 milliards de dollars soit « basé sur des discussions détaillées avec différentes associations professionnelles et entreprises afin de connaître leurs intentions d’investissement », ajoute le fonctionnaire européen.
Bref, rien ne permet de garantir un investissement de cette taille aux Etats-Unis. Le même flou, d’ailleurs, entoure l’accord commercial avec le Japon et l’annonce par Donald Trump d’investissements japonais à hauteur de 550 milliards de dollars aux Etats-Unis. Donald Trump précisait que les Etats-Unis recevraient 90% des profits de ces investissements. Quelques jours après cette annonce, le Japon démentait cette version et précisait qu’il n’y avait pas d’accord écrit avec Washington sur ce point et aucune obligation du Japon à atteindre ces montants.
750 milliards d’achats énergétiques ?
De même, aucun montant n’est spécifié dans le communiqué de la Commission annonçant un « partenariat énergétique » avec les Etats-Unis. Ursula von der Leyen se contente de mentionner que « nous remplacerons le gaz et le pétrole russes par d’importants achats de GNL, de pétrole et de combustibles nucléaires américains ».
Donald Trump toutefois s’est voulu plus précis : « l’Union européenne a accepté d’acheter aux Etats-Unis 750 milliards de dollars en énergie », disait-il dimanche.
750 milliards d’énergie en trois ans, soit 250 milliards par an, c’est colossal, au point que l’on se demande qui a été chargé de vérifier les chiffres. Car on a beau retourner le problème dans tous les sens, il est virtuellement impossible que l’Europe achète autant aux Etats-Unis,
Essayons de calculer : 250 milliards de dollars par an, cela représente plus de la moitié de la consommation énergétique totale de l’Union européenne qui a importé l’an dernier pour environ 430 milliards de dollars d’énergie dont seulement 75 milliards d’énergie fossile américaine (pétrole, gaz, charbon). Cela reviendrait donc à tripler les importations américaines.
C’est impossible. D’abord parce que, comme l’explique au Financial Times un expert en énergie, « même si l’Europe voulait augmenter ses importations, je ne connais pas le mécanisme par lequel l’UE pourrait approcher les entreprises et leur demander d’acheter davantage d’énergie américaine. Les entreprises sont redevables envers leurs actionnaires et ont le devoir d’acheter les matières premières les moins chères. » Sans compter que nombre de contrats énergétiques sont des contrats de long terme et qu’il est impossible pour un fournisseur d’énergie de passer du jour au lendemain du gaz qatari au gaz américain.
Cet accord n’a aucun sens
Mais du côté américain aussi, la promesse est irréaliste. « Prenons l’exemple du pétrole, note l’expert en énergie Jean-Marc Jancovici : l’Union consomme actuellement environ 10 millions de barils par jour de pétrole, importés à 97%. Les USA produisent un peu plus de 19 millions de barils/jour, et en consomment… un peu moins de 19. Comment se fait-il qu’ils exportent beaucoup, alors ? C’est simple : ils exportent le pétrole qu’ils importent du Canada, lequel a trouvé plus simple de se connecter au réseau de pipelines américain. » En gros, les Etats-Unis produisent à peu près autant de pétrole qu’ils n’en consomment. Comment pourraient-ils en exporter ? Même constat pour le gaz : « les USA produisent environ 900 millions de tonnes par an, en consomment 750, et l’Europe en utilise un peu moins de 300 millions, importées à 90% », précise Jean-Marc Jancovici.
Si les États-Unis devaient tripler leurs exportations de pétrole et de gaz vers l’Europe, ils devraient donc immanquablement prendre des quantités qu’ils consomment eux-mêmes, ce qui ferait immanquablement monter les prix, en Europe mais aussi pour les consommateurs américains.
Atteindre ces 250 milliards de dollars d’achat annuels en énergie « nécessiterait que l’Europe importe beaucoup plus de volumes de gaz et de pétrole des États-Unis, en se détournant d’autres fournisseurs, tout en supposant que les prix du pétrole et du gaz resteraient élevés, voire augmenteraient, pour atteindre l’objectif de 250 milliards de dollars », estime dans le Financial Times Anne-Sophie Corbeau, une experte en énergie de l’Université Columbia. « Nous voulons réduire les factures énergétiques et le président Trump veut réduire les prix du pétrole — donc cet accord n’a aucun sens », ajoute-t-elle.