Paul Vacca

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Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Toute école de la lecture gagnerait à être une école buissonnière.

On sous-estime bien trop souvent les pouvoirs de la psychologie inversée, cette technique de communication consistant à tenir un discours contraire à ce que l’on souhaite suggérer. Son efficacité repose sur ce que les psychologues appellent la “réactance”: le fait qu’un individu, s’il s’aperçoit que l’on essaie de le convaincre, tende par esprit d’autonomie à faire l’opposé de ce qui lui est enjoint ou conseillé.

En ce sens, certains analystes ont estimé que les gens se convertiraient plus facilement à l’adoption du vaccin anti-Covid si on leur en barrait l’accès: plutôt que de chercher à les convaincre à tout prix avec de multiples arguments scientifiques ou moraux – et renforcer leur rejet – il suffirait de leur dire que le vaccin ne leur est pas accessible pour qu’ils le réclament.

Afin de promouvoir la pratique de la lecture auprès des jeunes générations, ce pourrait aussi être une voie à explorer pour les parents ou les institutions éducatives et culturelles. Car les appels à lâcher les écrans pour l’écrit sont souvent plus aptes à conforter la communauté des convaincus qu’à séduire les intéressés eux-mêmes.

Reconnaissons que la tâche n’est pas simple. Car ces discours se heurtent à un problème structurel: la dialectique générationnelle qui veut qu’une génération se construise – en partie tout du moins – en opposition aux précédentes. Même en déployant la plus grande passion pour la lecture, en usant de tous les stratagèmes de séduction, en se livrant même au chantage le plus éhonté, le résultat ne serait jamais assuré. Le problème en l’occurrence n’est pas tant le message que le messager. Soyons honnêtes. Si nos parents nous avaient conseillés d’écouter disons de la new wave ou du post-rock lorsque nous étions adolescents, peut-être nous ne nous y serions pas plongés spontanément.

Toute école de la lecture gagnerait à être une école buissonnière.

Mais, au-delà, ce sont certains arguments eux-mêmes en faveur de la lecture qui dopent le taux de “réactance”. Comme paradoxalement lorsque certains insistent sur le fait que la lecture “est” plaisir. Non seulement c’est un argument qui peut faire fuir – pour la raison évoquée plus haut – mais qui se révèle en partie mensonger: lire n’est pas “nécessairement” un plaisir, il ne l’est pas “toujours” non plus, et rarement immédiatement.

Ou bien quand on vante “les” classiques comme un tout qu’il faudrait vénérer en bloc par le simple fait qu’ils sont classiques. Or, on peut parfaitement rester indifférent voire détester certains d’entre eux. C’est même plutôt sain: on se construit avec ses détestations aussi.

Ou bien encore quand on veut à tout prix en simplifier l’accès en coupant les descriptions, en retirant les passés simples et en truffant le texte de notes explicatives en bas de page. Mâcher le travail rend certes le texte plus accessible, mais lui fait perdre toute la saveur de la quête personnelle. Penserait-on à conseiller un jeu vidéo où tout est expliqué à chaque étape ou une série parce où l’on comprend tout immédiatement?

Ou bien enfin, lorsque l’on assène que la lecture d’oeuvres littéraires est indispensable. Même si l’on en est intimement persuadé, cela n’en fait pas pour autant un argument imparable: il existe tellement de gens qui réussissent à vivre sans.

Bref, la promotion de la lecture pourrait s’inspirer de la psychologie inversée. Vous avez finalement lu cette page malgré son titre, non? Mais là, c’est une mission autrement plus compliquée. Car l’enjeu consiste à baliser la route tout en incitant chacun à en sortir, tracer des chemins tout en invitant chacun à prendre ses propres chemins de traverse. Et même des sens interdits. Toute école de la lecture gagnerait à être une école buissonnière.

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