Voyager sans stress en voiture électrique

Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Partir loin en voiture électrique se banalise, malgré les craintes ressenties par les conducteurs “néo-électrifiés”. Les bornes sont-elles suffisamment nombreuses ? Nous avons pu le vérifier sur les routes du sud de la France et auprès des opérateurs de bornes.

Les vacances en auto électrique ? Elles inquiètent un peu ceux et celles qui sont passés à ce mode de propulsion. Ils commencent à être nombreux en Belgique, plus de 200.000 actuellement. Parfois sans enthousiasme, car la fiscalité des voitures de société a rendu quasi obligatoire, dans beaucoup d’entreprises, le choix d’une auto à piles. Il y en a plus de 400.000 aux Pays-Bas, 1 million en France.

Face à cette croissance, les réseaux de bornes rapides sont-ils à la hauteur ? Pour en avoir le cœur net, nous avons pris la route lors d’une période très dense, début mai, autour du congé de l’Ascension. Nous avons été de Bruxelles à Draguignan (dans le Var), avec un retour via l’Ardèche et Saint-Etienne le 12 mai, un jour “rouge”, selon Bison Futé, soit 3.621 km au total, en VW ID.3. Et cela trois ans après avoir fait un article similaire avec le même véhicule, sur 1.109 km, de Bruxelles à Paris, puis Maastricht, Eindhoven et retour.

La progression est considérable. En 2021, l’expérience avait été globalement concluante, avec des moments compliqués, des pertes de temps et du stress dus à des bornes en panne sur le parking d’un hôtel et celui d’un hypermarché.

Le trajet en mai dernier a été nettement plus serein, car les bornes rapides sont à la fois plus nombreuses et, selon notre expérience, nettement plus fiables. Elles sont gérées par des entreprises souvent nouvelles, à l’affût d’un marché en croissance.

Les excès de la vitesse
Les chiffres affichés sur les bornes sont souvent trompeurs. C’est bien d’afficher 300 kW et davantage sur une borne, mais c’est du marketing. Pour l’heure, quasi aucune voiture ne peut charger à plus de 250 kW (exception faite des Porsche Taycan, de certaines Hyundai ou des Tesla). La recharge en quelques minutes est encore loin. La plupart des véhicules arrivent en pointe à 100 kW/130 kW.
En début de charge car, autre caractéristique, la vitesse d’une charge rapide décroît au fil du remplissage des batteries. Une VW ID.4 peut démarrer à près de 130 kW jusqu’à 30% de charge, pour descendre à 60 kW à 80%. Le vitesse continue à décroître, d’où la recommandation de ne pas dépasser 80% si l’on ne veut pas perdre trop de temps.
Dans cet exemple, il faut 30 minutes pour passer de 20% à 80% (soit 330 km gagnés en été), contre 20 minutes pour une Porsche Taycan, qui démarre la charge à 250 kW de puissance, pour arriver à 80 kW à 20%.Une batterie qui n’est pas à température optimale (autour de 20 degrés) charge mois vite. Certaines autos permettent de préparer la batterie et la mettent à température avant la charge (Tesla notamment).

L’expérience de Reims, 
sur la route vers le Sud

La première étape du trajet de mai dernier illustre le changement. Elle a été faite à Champfleury, au sud de Reims, sur le parking d’un hypermarché Leclerc. J’ai chargé sur l’une des neuf bornes Ionity alors en fonction. Cet été, le parc gonfle à 47 bornes, avec 12 nouvelles bornes Ionity, et un parc de 26 bornes installé par Tesla, accessible à toutes les marques. C’est l’un des plus grands parcs de chargeurs rapides de France.

Le site est situé un peu à l’écart d’un axe fort emprunté par des Belges et des Néerlandais pour rejoindre l’Ardèche, la Provence ou la Côte d’Azur. Ils y font relâche pour recharger, boire un café, aller aux toilettes, visiter le Leclerc, très branché champagne (c’est la région).

“Nous augmentons significativement le nombre de bornes sur ce site, confirme Brieuc de ­Tonquédec, manager d’Ionity France et Benelux. En France, en un an, nous avons augmenté de 40% le nombre de points de charge.”

“En France, en un an, nous avons augmenté de 40% le nombre de points de charge.” – Brieuc de Tonquédec (Ionity France et Benelux)

Entre 2020 et 2023, le nombre de points de charge rapide a quadruplé dans l’UE. Des pays comme l’Espagne et l’Italie, qui étaient en retard, ont équipé les grands axes. Une régulation européenne, entrée en vigueur en avril, devrait garantir un équipement minimum, imposant la disponibilité de bornes rapides sur les axes structurants au moins tous les 60 km d’ici fin 2025.

Des sites de 120 bornes d’ici 10 ans

Par exemple, toutes les aires de service des autoroutes françaises sont à présent équipées de bornes, parfois avec des auvents protégeant de la pluie et du soleil. “Ils rendent aussi ces stations plus visibles, à la fois pour les conducteurs de voitures électriques, et aussi pour les autres, pour montrer que la recharge se développe bien, que la transition s’organise”, dit Louis du Pasquier, directeur des mobilités décarbonées chez Vinci Autoroutes, premier concessionnaire d’autoroutes en France, avec plus de 4.000 km, dont les tronçons Paris Bordeaux-Toulouse ou Lyon-Marseille-Nice.

“Nos stations comptent en moyenne 9 à 10 bornes”, continue Louis du Pasquier. De plus grandes ne sont pas rares. Celles de Mornas, entre Bollène et Orange, sur l’A7, comptent 17 bornes Ionity dans chaque sens. “Nous encourageons les opérateurs de bornes à anticiper la croissance du parc automobile électrique. En 2035, nous aurons des sites de 120 bornes.”

“Nos stations comptent en moyenne 9 à 10 bornes. De plus grandes ne sont pas rares.” – Louis du Pasquier (Vinci Autoroutes)

Pour notre parcours, le paiement des charges du périple était réalisé, si possible, par carte bancaire, sur les bornes ou via l’application Ionity pour les bornes de ce réseau.

Bornes Tesla pour tous
Tesla, premier réseau de recharge rapide en Europe, a ouvert la plupart de ses bornes à toutes les marques de véhicules. Il faut passer par l’application Tesla pour lancer et payer la charge. Les bornes sont cependant optimisées pour les Tesla, qui chargent sur l’aile arrière, côté conducteur. Le câble est court, et peut rendre quasi impossible la charge sur une voiture ayant sa prise sur une aile avant, comme la Renault Megane. La question devrait se régler avec une nouvelle génération de bornes, V4, en cours d’installation (celles utilisées à Champfleury/Reims).
Info sur la version des bornes installées, voir site https://supercharge.info/map

Un seul “couac”

Le seul “couac” a été observé dans une station à hauteur de Langres sur l’A5, sur le chemin du retour fort chargé, comptant cinq bornes Ionity, toutes occupées, avec juste une voiture en attente. J’ai préféré poursuivre jusqu’à l’aire suivante, 40 km plus loin, à Chateauvillain, où un site de 11 bornes rapides Engie annonçait des prises libres. Les applications permettent de voir le nombre de bornes libres en temps réel (appli des réseaux comme Ionity, ou celle, précieuse, de Chargemap).

LA VOLONTÉ d’éviter des saturations contraint les opérateurs 
à installer 
des bornes en grand nombre.

Intiativie intéressante, il y a des “gilets bleus” à certaines stations, les jours de grands départs, souvent membres d’une association d’usagers, FFAUVE, pour aider les automobilistes, surtout les “néo-électrifiés”. J’en ai croisé un à la station Ionity de Montélimar, une des aires les plus fréquentées de l’Hexagone.

Deux notions de base
• Il y a deux types de charge : la charge lente ou “normale”, à courant alternatif, sur une prise, une borne à domicile ou dans la rue, entre 2 et 22 kW de puissance. Et la charge rapide ou ultra-rapide, qui va de 50kW à environ 250 kW, à courant continu. La carte lente ou normale prend plusieurs heures, la charge rapide dure généralement une demi-heure, et est donc plus indiquée pour les longs trajets.
• La capacité des batteries se mesure en kWh, tandis que la puissance d’une borne est libellée en kW. La consommation d’une auto se mesure en kWh par 100 km.

La solution des hypermarchés

Autre équipement essentiel en vacances : les bornes rapides sur les parkings de centres commerciaux et d’hôtels. Elles deviennent de plus en plus courantes. J’ai pu ainsi recharger à destination, à Draguignan, sur le parking d’un Carrefour sur des bornes ­Carrefour Energie, le temps des courses ; lors du passage en Ardèche, à Aubenas, sur une borne rapide Powerdot (six prises), devant un magasin Action, ou près de Saint-Etienne, à Saint-
Chamond, sur un parking Leclerc équipé de huit bornes Ionity et de 12 bornes Tesla. Ces équipements paraissaient très récents et modérément fréquentés.

Entre le périple de 2021 et celui de mai dernier, une seule chose n’a pas changé : l’allongement du temps de parcours. Les temps de charge tendent à prolonger d’une heure ou deux un long trajet de plus de 800 km, surtout si on y va prudemment, sans descendre trop sous les 20% de la batterie. Une voiture actuelle avec une autonomie officielle de plus de 400 km permet ainsi des étapes de 220 à 260 km sur autoroute, où la consommation est la plus forte. Les recharges prennent facilement 30 minutes pour monter de 20% à 80% de charge. Nous avons du reste choisi de couper le trajet à l’aller à Montélimar, après 860 km de route depuis Bruxelles, après trois étapes de recharge (Reims pour le café, Langres pour le déjeuner, et Dracé, avant Lyon), pour ne pas arriver trop tard à Draguignan. Le lendemain, il ne restait que 261 km et une charge au départ à Montélimar.

Des tarifs du simple au double
Les tarifs des bornes sont plus variables et moins transparents que ceux de l’essence. Les charges rapides coûtent en Belgique
– 69 cents par kWh chez Fastned ou Ionity,
– 65 cents chez Electra,
– 73 cents pour TotalEnergies ou
– 36 cents sur les stations Tesla (*) pour les conducteurs de la marque (variable selon l’heure et le lieu),
– 51 cents pour les “non-Tesla”.

Les prix sont moins élevés en France :
– 59 cents chez Ionity, Fastned, Electra,
– 60 cents chez Engie Vianeo.
Le recours à une carte multiréseaux (Plugsurfing, Chargemap, etc.) entraîne souvent le paiement d’une commission.

Comment comparer le coût avec celui d’un véhicule à carburant équivalent ?
Une voiture consommant 18 kWh aux 100 km, avec 69 cents par kWh, dépensera à peu près la même chose qu’une autre à essence consommant 7 litres au 100 km. Les opérateurs prévoient parfois des abonnements. Pour 5,99 euros par mois, Ionity vend ses kWh 20 centimes moins cher (Passport Motion). Chez Tesla aussi, un rabais d’environ 10 cents est accordé pour un abonnement de 9,99 euros. Ce tarif est acquis sans abonnement pour les conducteurs Tesla. Attention : Tesla facture des pénalités si l’on reste branché après une charge complète.

(*) Tesla varie ses tarifs selon les heures et les lieux, l’application fournit de plus amples informations.

La hantise de l’embouteillage 
aux bornes

Il reste enfin la grande question : le risque d’embouteillage aux stations, les jours de grands départs. C’est la hantise des automobilistes, des opérateurs de bornes et des gestionnaires d’autoroutes, qui font tout pour les éviter. “Autant une file de trois véhicules est supportable à une station de carburant, où un plein prend cinq minutes, paiement compris, autant c’est inacceptabe à une station de bornes, où il faut 30 minutes pour charger, avec un risque d’attente d’une heure trente, souligne Louis du Pasquier. Les infrastructures doivent être dimensionnées, même un peu en avance sur la progression du parc : une saturation serait une catastrophe.” Il reconnaît qu’il y a eu un peu de bad buzz les années passées, “des stations ont saturé, pas sur notre réseau. Nous ne voulons pas imaginer vivre ce genre d’expérience dans le futur”. Un opérateur de bornes, Electra, propose un système de réservation lorsque l’on est à moins de 30 km de la borne visée.

Cette volonté d’éviter les saturations contraint les opérateurs à installer des bornes en grand nombre, pour les jours de grands départ, en partie inutilisées hors de ces périodes.

La récente vague de bornes a été subsidiée en France. “Nous avons pré-raccordé les aires, ce qui a facilité et accéléré les choses, et ces raccordements ont été subsidiés, poursuit Louis du Pasquier. Nous sommes passés de 300/400 bornes sur un quart de nos aires pour arriver à 1.400 bornes en peu de temps.”

“En 2035, les stations compteront en moyenne 60 à 70 bornes”, assure Louis du Pasquier. Avec une pointe pour des stations comme celles de Montélimar qui pourraient compter ou dépasser les 120 bornes, soit une place de stationnement sur deux. Les aires de repos, sans station service, vont aussi être équipées sur les autoroutes Vinci. Electra a signé l’équipement de 18 aires de ce type.

Six conseils
1. Préparez le trajet.
En repérant les sites de bornes rapides pour les étapes. Des applications comme Chargemap ou ABPR peuvent aider à repérer les sites et le nombre de bornes libres, il en est de même pour les applications des réseaux (Ionity, Tesla). Privilégiez ceux qui comptent un grand nombre de points de charge. Les utilisateurs de Tesla auront plus de facilités car le réseau de bornes de la marque est bien développé, le navigateur des voitures aide les automobilistes à les trouver et à les rejoindre, les charges y démarrent dès le branchement, la borne “reconnaît” le véhicule et facture le conducteur.
2. Prévoir plusieurs cartes de paiement. Sur les bornes rapides, le paiement par carte bancaire est possible, directement sur le terminal soit sur l’application du réseau de bornes. Si vous bénéficiez d’une voiture de société avec une carte de recharge à usage international, utilisez-la en priorité. Eventuellement, prenez aussi une carte multiréseau supplémentaire, par sécurité (Chargemap, Plugsurfing, etc.).
3. Adaptez votre vitesse. La consommation augmente fortement avec la vitesse, gardez un œil sur l’autonomie, en conservant une bonne marge (au moins 60/70 km), qui permet de gagner l’aire suivante en cas d’imprévu.
4. En cas de station saturée? Vous avez le choix entre attendre ou passer à la station suivante. Une station avec peu de bornes (4 ou 5) risque plus vite la saturation lors des grands départs, surtout le midi. Les applications des réseaux de bornes indiquent en temps réel le niveau d’occupation des stations.
5. En cas de borne capricieuse? Si la charge ne démarre pas, relancez l’opération ou essayez une autre carte. Si la vitesse paraît trop faible (sous les 40 kW), relancez la charge ou changez de borne. Si la borne ne fonctionne pas (cela peut arriver), changez de borne ou téléphonez à l’assistance, qui peut parfois relancer la borne à distance.
6. Testez quelques bornes rapides. Si vous n’avez pas ou peu rechargé sur des bornes rapides, il est conseillé d’en tester quelques-unes en Belgique pour se familiariser, en particulier celles que vous pourriez rencontrer (Ionity, Tesla, Electra,…).

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