Voitures électriques : la course aux bornes s’accélère
Les Régions accélèrent leurs plans pour multiplier les bornes de recharge à destination des véhicules électriques. Celles-ci poussent désormais comme des jacinthes au printemps. Mais en Wallonie, la floraison est plus tardive.
L’électrification du parc automobile belge a franchi une étape. En ce début d’année, le cap des 100.000 véhicules à batteries a été dépassé. La transition s’accélère: le nombre de 2 millions d’automobiles purement électriques pourrait être atteint en 2030, estime l’association EV Belgium, qui réunit des acteurs de la mobilité zéro émission.
Cette croissance pose la question des bornes, en particulier celles d’accès public, souvent jugées trop peu nombreuses. Ces dernières poussent pourtant comme les jacinthes dans le bois de Hal au printemps… En 2022, le nombre de points de charge a quasiment doublé, passant de 16.576 à 27.819. Bémol: avec l’inflation des prix de l’énergie, les tarifs ont eux aussi parfois quasiment doublé. Une situation qui pourrait toutefois évoluer avec le reflux actuel des prix de l’électricité.
Une borne n’est pas un point de charge
La notion de borne est souvent confondue avec celle de point de charge. Or une borne peut comporter plusieurs points de charge, c’est-à-dire plusieurs prises. Une borne sur la voie publique comporte souvent deux prises. Un plan annonçant 1.000 points de charge concerne donc généralement 500 bornes. Pour compliquer les choses, le secteur raisonne en “points de chargement équivalent” ou PCE – un PCE étant un multiple de la puissance de 11 kW, la puissance standard pour des bornes à courant alternatif (AC) que l’on trouve le long des rues, les plus courantes. Selon l’approche en “points de chargement équivalent”, une borne rapide à courant continu (DC) de 125 kW, avec une seule prise, est comptabilisée comme équivalente à 10 points de chargement (PCE).
Le moteur de l’équipement sur la voie publique est le fait des Régions, qui élaborent des plans de déploiement, organisant des appels d’offres pour des concessions, souvent avec des aides à la clef. Ces appels d’offres portent surtout sur des bornes à vitesse moyenne (entre 7,36 et 22 kW de puissance), indispensables pour ceux qui ne peuvent charger à domicile ou sur le lieu de travail, ou qui sont en déplacement. Les Régions encouragent aussi l’équipement sur site privé, accessible au public (parkings de magasins, etc.).
Ces politiques relayent une directive européenne sur les réseaux de distribution des carburants alternatifs. Les concessions offrent aux opérateurs un accès à la voie publique, simplifient les formalités pour installer une borne, organisent une répartition géographiquement équilibrée, prévoient une approche tarifaire, un taux de disponibilité, éventuellement une aide. La Région wallonne, qui lance un plan d’équipement, prévoit par exemple une aide pour le branchement et un soutien pour les points de charge déficitaires dont le financement est prévu dans le cadre du Plan national pour la reprise et la résilience (PNRR).
La Wallonie se réveille
Cette accélération n’a pas encore changé une réalité: le grand déséquilibre entre le nord et le sud du pays. La Flandre reste de loin la Région la mieux dotée avec plus de 26.000 points de charge d’accès public (voie publique et privée accessible au public) fin 2022, quand la Wallonie en comptait 3.300 et Bruxelles un peu plus de 2.700. La capitale rattrape son retard. “Il y avait 400 points de charge en 2019”, rappelle Alexandre Azer-Nessim, qui gère le dossier au cabinet du ministre bruxellois Alain Maron. Il promet 1.400 points de charge de plus en voirie pour 2023.
La Région annonce même 22.000 points de recharge accessibles au public pour 2035. Elle pousse aussi l’équipement privé, notamment avec un arrêté qui, dans les nouveaux permis d’environnement, oblige à équiper les parkings de plus de 10 places.
La Région wallonne, elle, espère arriver à 5.400 points en 2026 et à 40.000 en 2030. Date à laquelle la Région flamande compte en avoir atteint 100.000.
Ces efforts sont nécessaires car le parc électrifié va rapidement gonfler. A partir de 2026, toute nouvelle voiture de société devra être garantie zéro émission pour encore bénéficier des avantages fiscaux de la formule. Sans parler de la fin de la vente d’automobiles neuves à carburant à partir de 2035 dans l’Union européenne.
Le réveil de la capitale
Pour les Régions, la question des bornes de recharge n’est pas une mince affaire. Les entités ont appris par essais-erreurs, affinant leur approche. La Région bruxelloise avait attribué une concession à TotalEnergies, via l’administration Bruxelles Mobilité. Le dispositif a démarré très lentement. Il fallait six mois pour passer de la décision à l’installation d’une borne.
L’exécutif a donc changé son fusil d’épaule: c’est désormais Sibelga qui gère les appels d’offres, et le processus s’est accéléré. L’an dernier, EnergyDrive l’a emporté pour 500 points de charge (250 bornes à deux prises), quasiment toutes déjà installées. Et un nouvel appel d’offres pour 1.400 points va être bientôt finalisé.
La Région flamande, elle, avait d’abord attribué des concessions à l’opérateur Allego. Elle en a récemment attribué deux autres à TotalEnergies et à Engie, avec la faculté pour les communes de ne pas participer et d’organiser leur propre concession, comme l’a fait Anvers. L’objectif était d’arriver à 30.000 points de charge de plus que les 5.000 existants d’ici 2025. Le plan flamand prévoit aussi de subsidier des points de charge sur des zones privées accessibles au public.
En Région wallonne, diverses initiatives ont été prises par les intercommunales, de même que par Ores, l’opérateur du réseau de distribution d’électricité. Mais les bornes ne sont pas toujours fonctionnelles. Pour améliorer la couverture, l’exécutif wallon lance un plan nouveau dans le cadre du Plan de reprise. Un système d’appel d’offres sera mis en place, géré par les intercommunales de développement économique sous-régionales, ou par les communes qui le souhaitent. Le dossier est géré par le ministre Philippe Henry (Ecolo) en charge du Climat, de l’Energie, de la Mobilité et des Infrastructures.
L’architecture du projet semble complexe à mettre en œuvre. Le président de l’Union des villes et des communes, Maxime Daye, bourgmestre (MR) de Braine-le-Comte (qui roule en voiture électrique), s’impatiente. “Une partie des intercommunales ont des bornes obsolètes, relève-t-il. Le dossier de déploiement traîne terriblement, notamment à cause de questions juridiques.” Le cabinet de Philippe Henry reconnaît qu’il y a des problèmes à régler, mais assure que les premiers nouveaux points de charge seront mis en service cette année.
Des prix en hausse, sauf à Bruxelles
Le dernier souci est le tarif, qui a fort augmenté. TotalEnergies facture au moins 70 centimes par kWh sur ses bornes bruxelloises ChargeBrussels (à vitesse moyenne) contre 35 cents fin 2020. En Flandre, Allego facture environ 65 cents. Ces tarifs pourraient redescendre avec la baisse du prix de l’électricité, mais cela tarde.
Cette poussée rend parfois le plein d’électrons plus cher qu’un plein de carburant d’un véhicule équivalent. En hiver, le surcoût peut atteindre les 30%, car les automobiles électriques consomment davantage quand il fait froid. De quoi démentir un des arguments habituels des fabricants, qui font miroiter un prix moindre des charges pour compenser le surcoût d’une voiture à batterie.
Contrairement aux pratiques en vigueur dans les stations-services classiques, le prix n’est généralement pas indiqué sur les bornes électriques.
Certes, il y a parfois moyen de trouver des prix intéressants, mais il faut chercher. A Bruxelles, les bornes EnergyDrive installées depuis peu sont à 25 cents par kWh, quasi le tiers du concurrent TotalEnergies. Et donc moins de la moitié du prix d’un plein de carburant… Comment ces écarts de tarif s’expliquent-ils? Ils sont fonction notamment des appels d’offres. A Bruxelles, la stratégie utilisée est d’organiser ces appels d’offres annuels pour favoriser la concurrence, ce qui semble donner des résultats.
Variations de tarifs opaques
Encore faut-il bien repérer les tarifs. Contrairement aux pratiques en vigueur dans les stations-services classiques, le prix n’est généralement pas indiqué sur les bornes électriques. Il faut le chercher sur les applications liées aux cartes de rechargement dont disposent les automobilistes (Chargemap, Plugsurfing, MobilityPlus, etc.).
Le système manque de clarté: difficile de comprendre pourquoi les tarifs restent élevés quand le prix de l’électricité recule. “L’idéal serait d’avoir un suivi de la fluctuation des prix avec une transparence sur la marge de l’exploitant et que ce soit communiqué sur une application”, dit Kris Gysels, director public affairs à la Febiac. Ce dernier s’est occupé d’appels d’offres de bornes en Flandre, au cabinet de Lydia Peeters, ministre régionale de la Mobilité.
“Il faudrait faire un peu comme les banques, qui utilisent un taux de base, le Libor, plus une marge, pour établir le taux facturé”, poursuit-il. Dans la Région bruxelloise, Sibelga inclut déjà une formule de révision standard dans les concessions pour tenir compte du prix de l’électricité.
Vitesse moyenne ou rapide?
Il existe deux sortes de bornes de recharge.
1. Les bornes à vitesse moyenne. Ce sont les bornes les plus courantes (prise type 2), installées sur la voie publique, dans les parkings. Elles chargent en courant alternatif à des vitesses qui vont de 7,36 à 22 kW, soit 35 à 100 km d’autonomie récupérée par heure. Les automobiles acceptent généralement 11 kW maximum.
2. Les bornes rapides. Ces bornes à courant continu dont la puissance va de 50 kW et 350 kW sont généralement situées sur les routes et les autoroutes (prises combo/CCS). Elles offrent au moins 200 km d’autonomie par heure.
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