Voiture électrique: “On peut traverser l’Europe en n’utilisant que des bornes Ionity”

Station Ionity L’objectif de l’entreprise est d’arriver à 7.000 points de charge européens en 2025. © PG
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Ionity est le plus grand opérateur de charge rapide en Europe, avec Tesla, et connaît une croissance fulgurante. Son CEO, Michael Hajesch, revient sur les ambitions et le business model de l’entreprise, mais aussi l’évolution du secteur.

Il en a fait du chemin, Michael Hajesch, le CEO d’Ionity, depuis la création de ce réseau de bornes à recharge rapide, le long des autoroutes européennes. Fin août, ce dernier comptait 524 stations et 2.701 points de charge, tous d’une puissance de 350 kW. Et 85 stations supplémentaires sont en construction.

Ionity se présente comme le premier réseau multimarques européen, et son objectif est d’arriver à 7.000 points de charge en 2025. Il couvre actuellement tout le Vieux Continent, sauf la Grèce, la Roumanie et la Bulgarie. “Nous sommes, avec Tesla, le seul réseau de charge rapide européen”, avance Michael Hajesch. Les autres sont en effet nationaux ou ne couvrent qu’une partie de l’Europe, comme le néerlandais Fastned présent aux Pays-Bas et dans les contrées voisines, ou l’allemand EnWB.

“Quand nous avons démarré, nous avons été accueillis avec scepticisme.”

“Quand nous avons démarré, nous avons été accueillis avec scepticisme, l’électrification paraissait lointaine”, se souvient cet ancien cadre de BMW, rencontré au siège de l’entreprise, à Munich, non loin du parc olympique. “Mais aujourd’hui la seule question est de savoir à quelle vitesse cela va arriver… On peut désormais traverser l’Europe en n’utilisant que des bornes Ionity.” De fait, on en rencontre notamment en voyageant en Espagne, en Scandinavie, en Italie, en Ecosse, et même dans les pays d’Europe centrale, jusqu’en Hongrie et en Croatie.

Ionity a été fondé en 2017 par BMW, Mercedes, le groupe VW, Ford Motor, rejoint deux ans plus tard par Hyundai. Fin 2021, le gestionnaire d’actifs BlackRock a investi à son tour dans Ionity, participant avec les cinq constructeurs à un investissement de 700 millions d’euros pour développer le réseau. La première station en Belgique a été ouverte en 2019 à Tignée, sur la E42, entre Liège et l’Allemagne. Aujourd’hui, le pays compte 12 stations et 64 points de charge. Mais des stations supplémentaires y sont encore programmées.

“Le marché de masse arrive”

C’est Tesla qui a poussé ces constructeurs à créer la joint-venture. Le constructeur américain a en effet dopé ses ventes de véhicules en Europe en construisant un réseau de chargeurs rapides partout sur le continent, réservés alors aux seules Tesla. La concurrence a réagi avec Ionity afin de proposer un service similaire, garantissant la recharge rapide sur les longs trajets pour toutes les marques.

Le chiffre d’affaires d’Ionity reste modeste, de l’ordre de 80 millions d’euros en 2022 (donnée publiée dans le rapport annuel de BMW). “Mais la croissance d’Ionity est plus élevée que celle de la vente d’automobiles électriques, qui atteint environ 30%” constate Michael Hajesch. En effet, en 2022, les revenus de l’entreprise ont plus que doublé. Et ce notamment parce que les véhicules livrés aujourd’hui proposent des autonomies flirtant régulièrement avec les 400 km, ou les dépassant. Ce qui autorise de longs trajets. “La croissance est là, le marché de masse arrive, poursuit le CEO. Avec 30% de croissance annuelle, il y aura 8 à 10 millions d’autos électriques en Europe l’an prochain, peut-être 40 millions vers 2030.”

“Nous testons déjà dans nos laboratoires des systèmes de charge robotisée.”

Déficitaire (-53 millions d’euros l’an dernier), Ionity est donc toujours en phase d’investissement, ouvrant régulièrement des stations, de 6 à 24 bornes chacune. “Nous essayons de densifier là où la demande est forte”, continue Michael Hajesch. Par exemple en Espagne, comme le montre le site de l’opérateur, dont la carte affiche les emplacements des futures stations. “L’objectif, depuis le départ, est de devenir profitable. Nous n’en sommes pas très loin.” Il ne s’agit donc pas d’un service subsidié par des constructeurs. BlackRock n’aurait pas accepté d’y investir…

Ouvrir à tout prix

Ionity cherche à s’installer le long des grands axes. Mais le développement du réseau n’a pas été une partie de plaisir. “Ce n’est pas du tout comme lancer une application digitale, sourit le CEO. Il faut construire des installations physiques coûteuses, demander des permis, négocier la connexion au réseau en rappelant que l’objectif est d’exploiter les bornes au moins pendant 15 ans, etc.” De la prise de décision à l’ouverture effective d’une station, plus de huit mois peuvent ainsi parfois s’écouler.

L’approche de Ionity a été de développer son réseau le plus rapidement possible. Pour ce faire, l’opérateur a conclu des accords avec des pétroliers comme Q8 ou Shell. En Belgique, cette démarche est nécessaire si l’on désire ouvrir des bornes dans les stations-services autoroutières, le pétrolier y étant l’interlocuteur obligé. En France ou en Allemagne, la discussion passe par les opérateurs des autoroutes.

Car Ionity n’envisage pas, contrairement à Fastned en Belgique, de s’installer sur des parkings d’autoroutes sans station-service. “Pendant le temps de recharge, les consommateurs ont besoin d’autres services: boire un café, manger, aller aux toilettes, promener le chien, faire jouer pour les enfants, énumère le CEO d’Ionity. Or, nous n’avons pas l’intention de proposer nous-mêmes ces services, voilà pourquoi nous préférons des partenariats.” Quitte à devoir partager les recettes avec les pétroliers…

“Plug and charge”

Autre contrainte: avec ce modèle, les espaces de recharge, qui sont ajoutés à une infrastructure de station-service déjà présente, ne sont pas toujours configurés idéalement. “Dans un monde parfait, il faudrait construire des stations où la charge s’opère de manière longitudinale, en drive through, sans devoir se garer à 90°.” Autre équipement pertinent: un toit. “Pas seulement pour le confort des automobilistes mais aussi pour mieux protéger les installations, les écrans des bornes, les abriter de la pluie, du soleil…” C’est le chantier des prochaines années.

Ionity déploie en outre la charge automatisée, le plug and charge, que permettent certains modèles. Comme dans les stations Tesla, le véhicule est automatiquement reconnu dès le branchement de la prise. La charge démarre ensuite, avant facturation immédiate. Un soulagement surtout pour les nouveaux usagers de l’électrique, qui parfois se perdent dans les procédures de charge. “Nous sommes 100% compatibles en plug and charge, assure Michael Hajesch. Mais cela dépend aussi des modèles de véhicules. Hier, ce type de charge était seulement disponible dans le haut de gamme. Mais il se généralise.”

Ce sera d’ailleurs encore plus simple avec la conduite autonome telle qu’elle se profile doucement. “D’ici six ou sept ans, vous descendrez de votre voiture devant un restaurant et le véhicule ira tout seul se brancher à un chargeur, avance Michael Hajesch. D’un point de vue technique, cette perspective n’est pas si éloignée: nous testons déjà dans nos laboratoires des systèmes de charge robotisée.”

Le défi de la fidélisation

Car la concurrence s’intensifie. En France, pays le plus exploité par Ionity, toutes les aires autoroutières comptent déjà des bornes rapides. Des acteurs comme Engie ont ouvert des stations, alors que des pétroliers comme TotalEnergies ou Shell se réveillent. Cela se reflète d’ailleurs dans les prix. Dans l’Hexagone, Ionity a par exemple réduit son tarif à 59 cents le kWh, alors qu’il en est resté à 79 cents en Belgique. Soit 12,64 euros pour environ 100 km, avec un véhicule qui consomme 16 kWh/100 km.

Après le défi de trouver de bons emplacements, le challenge actuel, dès lors, est de fidéliser la clientèle, donc de renforcer la marque. “Pour être honnête, dans un marché aussi jeune et parmi d’autres marques très connues internationalement, c’est encore difficile”, avoue le CEO. TotalEnergies, BP ou Shell sont davantage connus. Tesla aussi, qui devient un concurrent sérieux puisqu’il ouvre progressivement ses stations à d’autres marques de voitures. Heureusement pour Ionity, les bornes Tesla sont encore mal adaptées à tous les véhicules: le câble est trop court pour atteindre la prise de certains modèles.

Michael Hajesch, CEO d’Ionity © PG

Mais comment imposer une marque de borne alors que la plupart des conducteurs de véhicules électriques passent par des MSP (Mobility Service Provider), qui proposent des cartes permettant d’accéder à divers réseaux? Ces intermédiaires se comptent par dizaines. Par exemple Plugcharging ou Chargemap, certains étant attachés à des constructeurs automobiles, comme We Connect / Elli pour VW.

En fait, seuls une minorité d’utilisateurs “achètent” en direct leur charge aux bornes Ionity, via une application dédiée ou bientôt le paiement par cartes bancaires. Pour fidéliser ces acheteurs directs, le réseau propose donc aux grands rouleurs un tarif Passport. Moyennant un abonnement mensuel de 11,99 euros, le tarif par kWh passe, en Belgique, de 79 cents par kWh à 59 cents. Une réduction qui vaut la peine dès que vous atteignez les 300 à 400 km de recharge rapide par mois. D’autres formules sont en préparation. “Nous travaillons pour développer des plans de fidélisation. Une manière d’y arriver est de valider des tarifications qui correspondent au profil d’utilisation des clients, pour leur proposer la meilleure offre.”

Surtout que le public va s’élargir dans les 10 prochaines années. Le nombre d’automobilistes ne pouvant charger à domicile, faute de garage, augmentera. Pour eux, la charge rapide sera souvent un incontournable. “Il y a aussi les flottes de taxis, de véhicules de livraison, qui auront aussi souvent besoin de charge rapide”, note Michael Hajesch. Ionity en est conscient, qui prévoit d’ouvrir alors des stations plus près des villes…

Bientôt des tarifs variables

Ionity étudie le passage à une tarification variable. Son prix est actuellement stable en Belgique: 79 cents par kWh (59 cents en France), parfois moins avec des offres émanant des constructeurs. Tesla, le grand concurrent, pratique déjà des tarifs variables selon les jours, les bornes, les heures creuses ou de pointe.

“Nous devons devenir plus flexibles sur les tarifs pour suivre le niveau des coûts de l’énergie”, affirme Michael Hajesch, qui précise qu’Ionity se fournit uniquement en électricité renouvelable. Le CEO voit là aussi une manière de réduire les risques de saturation les jours de pointe ou lors des périodes de vacances. “Ce sera un incitant qui pourrait améliorer l’usage moyen des bornes.”

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