Rail : le poids économique d’Infrabel
Infrabel est assuré de recevoir 11 milliards d’euros pour améliorer le réseau ferroviaire. C’est bon pour les entreprises belges, car l’entreprise publique se fournit surtout dans le pays.
Benoît Gilson, CEO d’Infrabel, n’est pas le seul à mieux respirer depuis la fin 2022, lorsqu’un contrat de performance a été signé avec le gouvernement fédéral, prévoyant un plan d’investissement de 10 ans et les moyens pour les financer. Les fournisseurs existants et potentiels de l’entreprise qui gère, entretient, développe le réseau ferroviaire du pays, se sont aussi réjouis.
“C’est un contrat qui nous donne une visibilité sur 10 ans, dans lequel un montant de 11 milliards d’euros d’investissements est garanti par le gouvernement fédéral sur 2023-2032, dit Benoît Gilson. Les fournisseurs sont assurés de programmes sur le long terme et peuvent alors investir dans du matériel.”
Chaque euro investi par Infrabel en produit 2,83 pour l’économie du pays.
Ces dernières années, Infrabel devait négocier chaque année ses moyens, à l’instar de l’opérateur de train public, la SNCB, et parfois revoir ses plans à la baisse. Ce qui est inconfortable quand il s’agit de terminer l’éternel chantier du réseau RER autour de Bruxelles ou d’envisager le remplacement des voies des lignes à grande vitesse, qui prennent de l’âge, tout en maintenant un réseau qui assure le passage de 3.672 trains par jour.
Un “Suppliers Day” exceptionnel
Le 25 septembre dernier, pour marquer le changement, Infrabel a réuni 250 fournisseurs à son centre de formation de Molenbeek, l’Infrabel Academy. Lors d’un Suppliers Day exceptionnel, l’opérateur a expliqué les grands axes des investissements de la décennie à venir. Parmi les fournisseurs, de grandes sociétés comme Alstom ou Siemens Mobility, qui fournissent des équipements de signalisation pour sécuriser les lignes, améliorer la circulation, rendre impossible le franchissement d’un feu rouge ou un dépassement de vitesse limite.
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“Nous aurons terminé l’équipement de toutes les lignes en 2025, poursuit Benoît Gilson, qui parle ici de l’équipement ETCS. Nous serons le premier pays européen à y parvenir.” Le système ETCS est un standard continental qui vise aussi à améliorer l’interopérabilité des trains entre les pays.
Ce Suppliers Day avait aussi une vocation de réseautage. “Nos fournisseurs ne se connaissent pas toujours, parfois on va chercher des sous-traitants loin alors qu’il en existe dans le voisinage, d’où cette journée de rencontre”, explique le CEO.
Ne pas confondre Infrabel et SNCB
Infrabel et la SNCB sont toutes deux des entreprises publiques autonomes appartenant à l’Etat fédéral. La première entretient, gère et développe le réseau ferré public du pays, la seconde est un opérateur de transports de service public. Leurs relations avec l’Etat sont réglées par des contrats: de performance pour Infrabel, de service public pour la SNCB (2023-2032). Ces épais documents décrivent les services attendus par l’Etat des deux entreprises, et les moyens qu’il leur assure, sous forme de subsides, en paiement de missions de service public. Le réseau ferroviaire étant ouvert à la concurrence, Infrabel le gère de manière neutre et perçoit des recettes, principalement des péages, de tous les transporteurs.
Infrabel travaille en effet aussi avec des entreprises moyennes. Par exemple De Bonte, société de 400 personnes basée à Waasmunster et qui produit des traverses à base de soufre provenant de déchets sidérurgiques, dont la production émet 40% de CO2 en moins qu’une traverse en béton de ciment. Ou la Câblerie d’Eupen, occupant plus de 800 personnes, qui ont bien souffert après les inondations de 2021 mais ont récemment décroché un contrat de 13 millions d’euros avec Infrabel.
“Nous cherchons également à travailler avec des PME de taille plus réduite, qui ne pensent pas à nous comme client car elles se croient trop petites, précise Benoît Gilson. C’est la raison pour laquelle nous avons invité à notre événement Wallonie Entreprendre, le Vlaio en Flandre et Innoviris à Bruxelles. “Nous souhaitons que ces acteurs publics qui soutiennent le développement des entreprises incitent de petites sociétés à nous fournir. Infrabel pourrait amorcer un marché avec ces entreprises et les partenaires publics apporter un soutien capitalistique.”
Le gouvernement fédéral a lui-même pris des dispositions pour faciliter l’accès des marchés publics aux PME. Le vice-Premier ministre en charge des Classes moyennes et des Indépendants, David Clarinval, a rappelé notamment les possibilités accordées à divers acteurs, surtout les plus petits, d’obtenir des acomptes substantiels afin qu’ils améliorent leurs liquidités.
A travers ces initiatives, Infrabel cherche à élargir sa base de fournisseurs et à rappeler son poids économique. “Nous investissons plus d’un milliard d’euros par an, et dépensons aussi 300 millions d’euros en biens et services divers.”
30 milliards d’impact sur 10 ans
Infrabel est l’une des plus grandes entreprises de Belgique, occupant 9.400 personnes. “Nous avons un impact économique important, souligne Benoît Gilson. Une étude réalisée en 2022 par Deloitte indique que chaque euro investi par Infrabel en produit 2,83 pour l’économie du pays.” Ledit milliard annuel investi représente ainsi près de 3 milliards d’euros dans le PIB, et 30 milliards sur 10 ans.
“Cet effet multiplicateur élevé tient au fait que nous nous fournissons beaucoup localement. Peu de secteurs atteignent notre niveau. Le pays compte de bonnes chaînes de production. Chaque fois qu’on lance un marché public, on découvre des sociétés belges très compétitives. Il faut dire aussi que ces activités sont peu délocalisables.” Un argument de poids aux yeux du monde politique. “J’ai dit à certains politiques, lorsqu’il a été question de plan de relance: investissez dans le rail, les retours en valeur et en emplois seront élevés.”
On l’a dit, Infrabel a l’assurance de recevoir 11 milliards d’euros pour les investissements dans le réseau, plus encore 1 milliard d’emprunts, en cours d’étude, autorisé par le niveau fédéral. Ces montants s’ajoutent à ceux prévus pour le fonctionnement et l’entretien du réseau (5,4 milliards d’euros, toujours sur 10 ans). Mais la feuille de route est contraignante. L’objectif du gouvernement est d’augmenter l’utilisation du train, tant en fret qu’en passagers, en raison de son impact environnemental moindre que la route.
“Un train de marchandises émet neuf fois moins de CO2 que l’équivalent en camion”, rappelle le CEO d’Infrabel. Rien que pour le fret, le gouvernement espère doubler la part de marché de la marchandise sur le rail, qui est de 8%, d’ici 2030. Infrabel doit préparer le réseau à absorber une croissance de 12,4% du trafic passager intérieur sur 10 ans (en termes de trains/km), +8,4% pour l’international voyageurs, et 12,1% pour le trafic marchandises (*).
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A cette fin, le réseau doit être adapté, amélioré. C’est le travail d’Infrabel. Une des clefs est de renouveler les lignes dès leur durée de vie économique atteinte. En Belgique, plus de 10% des lignes dépassent ce stade. Ce qui impose plus d’entretien, donc plus d’indisponibilité. Le plan vise à améliorer ce point. “Les lignes à grande vitesse seront remplacées à partir de la fin 2023, certaines dépasseront en effet bientôt les 30 ans ; c’est un grand chantier, assure Benoît Gilson. Nous remplacerons d’un coup le ballast, les traverses et les rails.” En principe, la durée de vie du ballast est plus importante. “Ce sont les traverses qui ont une durée de vie moindre, mais pour éviter de devoir multiplier les chantiers successifs, nous remplacerons tout d’un coup.”
Le bout du tunnel pour le RER
Les grands axes d’investissement portent sur la sécurité, la ponctualité, notamment à travers la signalisation dont la modernisation va à la fois améliorer la fluidité du trafic et la sécurité du réseau. Infrabel va aussi travailler sur la jonction Nord-Midi pour qu’elle puisse absorber plus de trains à l’heure. La capacité va aussi être améliorée. Notamment sur les lignes RER entre Bruxelles et Ottignies, et Bruxelles et Nivelles, dont la mise à quatre voies sera achevée en 2029 et 2033 si toutes les autorisations sont délivrées.
Pour le fret, plusieurs chantiers sont prévus. “Nous allons investir massivement dans les ports: le North See Port au nord de Gand, et celui d’Anvers ; une centaine de millions chacun”, poursuit le CEO. Une deuxième voie d’accès sera construite pour le port d’Anvers. Le port de Bruxelles sera également reconnecté au rail. “Nous allons aussi investir dans des voies plus longues, de 750 mètres, qui permettent d’accueillir des trains plus longs, donc plus rentables.” Il s’agit ici de voies de garage, indispensables pour faire circuler les trains de fret.
Voir le reportage de Canal Z | Le Port de Bruxelles à nouveau raccordé au réseau ferroviaire
Devenir producteur d’électricité
Infrabel poussera aussi plus loin sa digitalisation, qui contribuera aux économies espérées. C’est l’une des contreparties du contrat de performance, 700 millions d’euros à l’échéance de 2032. “Nous nous engageons à un plan d’économies qui passe par la digitalisation, en utilisant des drones, du big data, de l’intelligence artificielle. Sur 9.400 salariés, 1.000 personnes travaillent dans l’ICT. Nous avons notre propre réseau de télécommunications.”
Infrabel entend aussi investir pour diversifier ses revenus. Notamment dans le dossier de l’énergie. “Nous sommes le deuxième consommateur d’électricité en Belgique”, rappelle Benoît Gilson, car le réseau alimente les trains de la SNCB et d’autres opérateurs de trains. “Nous avons aussi le deuxième réseau de distribution. Nous devrions être plus actifs sur ce marché. Nous avons un potentiel pour développer des parcs d’éoliennes et d’énergie photovoltaïque ; nous avons du terrain. Quant au réseau, il est très utilisé à peu près quatre heures par jour, mais il y a peut-être moyen de mieux l’exploiter hors de ces pointes.”
(*) La notion de trains/km est une unité de mesure de la production ferroviaire qui tient compte de la longueur des parcours
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