Pourquoi calculer le coût d’un embouteillage pourrait profiter aux entreprises
La congestion routière est perçue comme le signe d’une économie en bonne santé. Mais paradoxalement, elle traduit également un problème pour les entreprises. Entre perte de temps, augmentation des délais de livraison et des frais de carburant, les conséquences économiques sont nombreuses. Et si calculer l’impact tant financier que social des embouteillages permettait aux entreprises de développer des stratégies adaptées?
Bouchons, accidents, travaux… Ceux qui se risquent à aller à Bruxelles en voiture le savent : la capitale souffre de congestion automobile. Et la situation est loin de s’améliorer, malgré le télétravail, un usage plus fréquent du vélo et une réduction du volume du trafic… “Tant les analyses menées par Bruxelles Mobilité que les données issues de la majorité des fournisseurs de données GPS indiquent que la congestion s’est accentuée à Bruxelles durant ces dernières années”, peut-on lire dans un rapport de Bruxelles Mobilité. Avec un taux de congestion de 34%, Bruxelles est en effet la 52e ville la plus embouteillée au monde. Triste record pour notre pays, dont les entreprises sont les premières à en payer les frais.
Plus de 200.000 euros pour 15km de bouchon
La capitale n’est pas la seule ville à souffrir de ces embarras de circulation. Anvers, dont une grande partie des entreprises est dépendante des routes, est championne en la matière, derrière Bruxelles. La durée moyenne d’un embouteillage? 45 minutes. Du temps perdu sur les routes qui coûte de l’argent. Beaucoup d’argent, si l’on en croit une étude des économistes des transports de l’Université d’Anvers, qui ont créé un outil capable de calculer le coût réel des embouteillages et d’ainsi en identifier l’impact tant sur le plan économique que social.
Pour leur étude, les chercheurs ont pris en compte divers facteurs et ainsi divisé le coût total des bouchons en trois catégories:
- Les coûts directs: selon le professeur Thierry Vanelslander, à l’origine de l’étude, “cela correspond à la perte de temps de tous ceux qui se trouvent coincés dans les embouteillages”, et ce compris des coûts tels que les salaires, les intérêts, les amortissements, l’assurance, les frais de transport, les frais de carburant et les frais d’entretien ;
- Les coûts indirects: comme la reprogrammation des livraisons ou des réunions et les heures supplémentaires des employés pour reprogrammer toute la logistique, mais également la nécessité d’avoir “plus de stock pour pouvoir surmonter ces délais qui se présentent”;
- Les coûts sociaux: la pollution atmosphérique et sonore et les accidents de la circulation. “Ce sont généralement des coûts payés par la société, et non par l’entreprise qui en est responsable”, précise encore le professeur.
Thierry Vanelslander et son équipe ont ensuite transposé ces données sur une situation concrète: un accident sur la E19, un jour de semaine, juste après l’heure de pointe, qui provoque des ralentissements sur environ 15,1km. En raison de cette file, la vitesse moyenne du trafic n’est que de 10km/h. Au total, cet embouteillage de 15,1 kilomètres, coûts (in)directs et sociaux compris, coûte la somme énorme de 202.766,91 euros. La durée et la longueur de l’embouteillage sont les variables qui ont le plus grand impact financier.
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Les conséquences du trafic sur l’économie
Une fois ce calcul réalisé, les chercheurs ont pu définir les conséquences de ces embouteillages sur une entreprise, à savoir : les coûts directs, le temps perdu, et le jeu de la concurrence.
Comme expliqué ci-dessus, les entreprises perdront en effet de l’argent si leurs employés sont coincés dans les bouchons. “On a des coûts distance qui augmentent avec la distance parcourue”, cite notamment le professeur. La première dépense évidente est le carburant : car même si la consommation de carburant baisse automatiquement à mesure que le véhicule ralentit, le temps passé sur la route augmente. La baisse du coût du carburant est donc compensée en partie ou en totalité par la prolongation de la durée durant laquelle le moteur tourne et consomme du carburant. “Il y a aussi le coût des pneus, le coût de l’amortissement… pour le capital impliqué, mais ce sont des coûts mineurs”, ajoute Thierry Vanelslander. Le second impact financier est l’augmentation du coût salarial. Pourquoi? L’employé mettra plus de temps à accomplir une mission, et le temps, c’est de l’argent.
On en arrive au temps perdu, qui est lui aussi une conséquence non négligeable des embouteillages. Pour la Flandre, le nombre annuel d’heures perdues est estimé à 82.832 heures en 2019. Cette perte effective d’heures génère d’importants coûts d’opportunité pour l’entreprise. L’employeur payera pour les heures non prestées du travailleur qui se retrouve coincé dans les bouchons pendant les heures de travail. S’il s’agit d’un travailleur qui transporte des marchandises, l’employeur payera également le retard de livraison (en plus du salaire du chauffeur). Enfin, si le travailleur ne parvient jamais à atteindre son lieu de travail en raison d’un embouteillage monstre (on parlera de force majeure), il perdra une journée de travail que l’employeur se doit de rémunérer.
Cette combinaison de coûts directs et de temps perdu entraîne des effets sur la concurrence. Difficile pour une entreprise de s’insérer efficacement sur le marché de la concurrence si elle n’est pas rentable en raison d’une perte d’argent et de temps.
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Pourquoi les entreprises doivent pouvoir calculer le coût réel d’un embouteillage
Selon les chercheurs de l’Université d’Anvers, les entreprises ont tout intérêt à calculer l’impact financier de la congestion sur leurs activités. Cela leur permettra de répercuter ce coût supplémentaire sur leurs clients, notamment via une surtaxe de congestion. Une donnée particulièrement utile aux sociétés de transport de marchandises, qui subissent de plein fouet ces embarras de circulation. “Les sociétés ont enfin des chiffres scientifiques qu’ils peuvent utiliser dans leurs négociations avec leurs clients. Les entreprises de transport coincées dans un embouteillage perdent en effet du temps mais n’ont rien d’officiel à montrer à leurs clients pour amortir ces coûts supplémentaires“, explique le professeur Thierry Vanelslander.
Autre atout: identifier les zones à problèmes. À l’origine, les zonings industriels ont été imaginés pour centraliser les activités des entreprises et ainsi réduire les frais de transport et les délais de livraison. Des avantages qui ont un impact positif sur la productivité d’une société. Néanmoins, la multiplication des entreprises au sein de ces zones a amplifié le problème d’engorgement des routes aux alentours. Or, de par leurs conséquences économiques, ces embouteillages viennent contrebalancer tous les effets positifs des agglomérations d’entreprises. Dans certains villes, les inconvénients peuvent parfois être supérieurs aux avantages.
“Grâce aux informations sur la congestion dans une zone ou le long d’une route particulière, les entreprises peuvent déterminer l’emplacement de leurs activités de manière plus ciblée ou examiner plus concrètement la compétitivité des autres modes de transport, tels que le transport par rail ou par voie navigable”, détaille le professeur Thierry Vanelslander. “Cela leur permet également de savoir quelle route il vaut mieux prendre pour essayer de réduire ces coûts-là”.
Dernier avantage: convaincre le gouvernement de prendre des mesures pour prévenir la congestion. “Chaque année, la société perd des millions d’euros à cause des congestions. Si on parvient à montrer cela aux autorités, on peut bien mieux convaincre le gouvernement d’agir”, selon le professeur. “On peut même comparer le coût total de la congestion avec le coût des potentielles mesures et ainsi montrer au gouvernement qu’il vaut mieux prendre ces mesures car cela coûte moins cher pour la société.”
Scanfor déménage à Gand… à cause des embouteillages!
Le spécialiste du transport vers la Scandinavie s’est récemment installé dans le port de Gand afin d’échapper aux bouchons. Jusqu’à présent, la société opérait depuis Wommelgem, mais le coût des embouteillages à Anvers était devenu trop lourd à assumer. “Le prix du temps perdu s’élevait déjà à 1 million d’euros par an en 2015, selon une étude de l’Université d’Anvers. Peut-être ces coûts ont-ils augmenté encore plus entre-temps. Cela faisait donc plusieurs années que nous cherchions un nouveau site de l’autre côté de l’Escaut”, explique le PDG Gino Van Leuven.
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