Les défis des applications de mobilité intégrée
Pour encourager l’alternative à l’automobile, les projets d’applications centralisant plusieurs types de transports fleurissent. A Bruxelles, Floya est le premier service à destination des particuliers. Il est prometteur mais reste à améliorer.
Il ne suffit pas d’ajouter des trams et des bus pour proposer une alternative à la voiture. Depuis une décennie, les promoteurs des transports en commun misent sur le numérique et les applications intégrées pour simplifier l’accès à un éventail de transports ou de véhicules partagés, à les rendre plus attractifs, plus faciles à l’usage.
C’est l’objectif annoncé de Floya, une application souhaitée (et financée) par la Région de Bruxelles-Capitale, gérée par la Stib, lancée en septembre dernier. Elle donne accès aux trajets de la Stib, du Tec, de De Lijn, de la SNCB, à des voitures, trottinettes et vélos partagés. En attendant les Taxis Verts et l’accès à des parkings publics et privés.
Floya fournit les informations en temps réel sur les différents moyens de transports, selon le trajet souhaité, et, point essentiel, permet ou devrait permettre l’achat des tickets ou le paiement de chacun de ces transports.
A l’usage, il apparaît que cette première version n’est pas encore vraiment complète.
Pour l’heure, hélas, on est loin du compte. A l’usage, il apparaît que la première version de Floya n’est pas encore vraiment complète. “Nous avons clairement indiqué que cette première version de l’app Floya allait encore évoluer dans les prochains mois (services, opérateurs)”, indique Cindy Arents, press stakeholders officer à la Stib. L’application a été téléchargée par environ 100.000 personnes, mais il n’y a pas encore d’indication sur son usage réel.
Cette approche est le graal du monde des transports publics. Il est développé en Finlande, à Berlin. ” L’idée derrière les services appelé MaaS (mobility as a service, mobilité comme service) est de faire en sorte que la multimodalité soit aussi simple que d’utiliser une voiture personnelle”, explique Louis Duvigneaud, administrateur délégué de Stratec, un bureau d’étude international de conseil en mobilité basé à Bruxelles. “Elle permet de développer la carte mentale de l’offre de transport. Mais ce service n’est pas simple à mettre en œuvre.” La Stib et la Région bruxelloise présentent Floya comme le premier service MaaS grand public en Belgique. Il en existe d’autres, par exemple les offres Olympus Mobility ou Skipr, mais qui visent uniquement les entreprises, notamment dans le cadre de budgets mobilité.
Ça patine un peu, mais enfin cela reste le futur. On y va. ” – Louis Duvigneaud (Stractec)
Une fluidité à améliorer
L’application Floya reste encore compliquée, ou plutôt incomplète. Son usage ne correspond pas vraiment à la fluidité promise par son nom (Floya vient du mot “fløy”, qui signifie “aile” en norvégien). La fonction de routage est très attractive, proposant toutes les alternatives sur un parcours donné, avec une comparaison sur le temps du trajet en voiture. En revanche, elle est encore très imparfaite dès que l’on passe à l’acquisition des tickets, faute d’une intégration complète. Le plus surprenant : les tickets de la Stib n’y sont pas disponibles. Cela viendra cette année. Idem pour ceux du Tec. Ceux de la SNCB (où il est possible d’acheter des tickets pour toutes les destinations nationales) et de De Lijn sont en revanche bien intégrés, aisés à acquérir. Tout comme le service Poppy de voitures partagées. Quant à Cambio (voiture partagée), il est partiellement incorporé à Floya, qui indique les véhicules disponibles à la station la plus proche de l’utilisateur. Mais pour louer un véhicule, il faut d’abord s’inscrire sur le site de Cambio. Même chose pour Villo!. Cela rompt la fluidité de l’application.
Pour les trottinettes Dott et Tier, les informations affichées par l’appli Floya sont très détaillées (position, niveau de la batterie, autonomie, tarif) et la cartographie intègre la nouvelle réglementation qui impose des zones de parking très précises (à partir de février, seuls Dott et Bolt seront autorisés dans la capitale, et inclus dans Floya). Mais l’inscription sur l’appli ne suffira pas pour rouler en trottinette, il faut encore finaliser un paiement de 9 euros dont la raison n’apparaît pas clairement (sans doute une provision ou une réservation). Disons que l’appli exige un certain apprentissage et une préparation. Et de la patience, en attendant que les services proposés soient plus nombreux et mieux intégrés.
Un budget de 14 millions
Toutes ces complications font qu’il semble bien plus aisé, aujourd’hui, de recourir à Google Maps, un assistant très populaire, pour élaborer un trajet combinant plusieurs transports, en association avec les applications de chaque réseau ou opérateur (SNCB, De Lijn, Stib, Cambio, Poppy, Tier, etc.), ou d’applis bancaires proposant l’achat de tickets (KBC, CBC). Le défi de Floya étant de parvenir à devenir une alternative à ces formules.
Initiative de la Région de Bruxelles Capitale, qui a passé un appel d’offres pour la plateforme auprès de la société Trafi, basée en Lituanie, ce projet a été réalisé à Berlin (Jelbi) et à Vilnius (Trafi). C’est un élément du plan Good Move, qui vise une réduction des déplacements en automobile dans la ville, une ouverture à des moyens de transports alternatifs et une baisse de 47% des émissions de gaz à effet de serre entre 2005 et 2030. Le budget prévu est de 14 millions d’euros sur huit ans. Coût du lancement: 3,35 millions d’euros, selon une déclaration de la ministre régionale de la Mobilité, Elke Van den Brandt, au Parlement bruxellois.
La lenteur de la mise en place de solutions MaaS n’est pas spécifique à Bruxelles. L’idée d’une application qui gère toute la mobilité est séduisante mais complexe à réaliser, en Belgique comme ailleurs. ” Il y a dix ans, j’aurais dit que c’est l’avenir, et que ce service arrivera vite. Bon, ça patine un peu, mais enfin, cela reste le futur. On y va. » dit Louis Duvigneaud. On peut en fait identifier cinq raisons pour expliquer la lenteur de développement de ce type de services MaaS.
•1. La problématique des tickets digitaux. En Belgique, les tickets et abonnements (SNCB, Stib, De Lijn, Tec) sont généralement enregistrés sur une carte Mobib. Il faut passer à l’étape ultérieure où le titre de transport, numérique, peut être stocké sur un smartphone. De Lijn le propose, la Stib vient tout juste de lancer ce service, disponible sur son application, où l’on peut acheter un titre valable plusieurs mois: Brupas ou Brupas XL, respectivement pour la seule Région-capitale ou reprenant également les communes environnantes. Le Tec a aussi lancé son ticket digital, avec 318.000 utilisateurs, qui sera intégré dans Floya cette année.
•2. Des services pas encore totalement intégrés. Le dispositif Floya propose des intégrations à géométrie variable, importante pour la SNCB, moyenne pour la Stib… et très moyenne pour Cambio ou Villo! Pour que le service soit vraiment fluide et ne freine pas les utilisateurs, une inscription unique devrait suffire, avec intégration d’un moyen de paiement.
•3. L’absence d’un cadre commun public. ” Il faudrait un soutien des pouvoirs publics, avec une réglementation adaptée », estime Louis Duvigneaud. Le ministre Georges Gilkinet nous a indiqué qu’il y travaillait. Un cadre public pourrait permettre d’imaginer un service élargi à la Belgique.
“ Il faudra encore vaincre pas mal de résistance ”
Le ministre fédéral de la Mobilité Georges Gilkinet s’intéresse de près à la question des projets MaaS. Un accord a été conclu entre le fédéral et les Régions pour encourager ce type de service. Une discussion continue pour aboutir à un code de conduite. “ll s’agit par exemple de s’accorder sur des règles communes en matière de partage des données entre opérateurs publics et privés, ce qui est une des clés du déploiement de ce type de service”, explique le ministre.
“L’objectif, c’est une intégration globale des transports publics, continue-t-il. Nous devons nous placer encore davantage au service de l’utilisateur et viser, en collaboration étroite avec les Régions, un réseau de transports publics coordonnés pour une meilleure offre de transport, un horaire intégré, une information centralisée, une billetterie commune et une seule gamme tarifaire, telle celle que nous avons réussi à mettre en place dans la zone de 10 km autour de Bruxelles. C’est une des conditions du shift modal, qui nécessite un approfondissement de ce que nous avons mis en œuvre depuis trois ans, avec le renforcement des collaborations entre les ministres de la Mobilité et entre les entreprises publiques de mobilité. Mais pour cela, il faudra encore vaincre pas mal de résistance et de conservatisme.”
•4. Le manque de coaching des utilisateurs. Il existe du coaching pour encourager l’usage du vélo en entreprise. ” Il serait intéressant d’imaginer la même approche pour les services MaaS, pour faire mieux comprendre et connaître cette approche », avance Louis Duvigneaud.
•5. L’absence de modèle économique. Les services MaaS grand public sont quasi impossibles à rentabiliser, car il n’y a pas moyen d’obtenir une commission des opérateurs de transports, et les utilisateurs accepteraient difficilement de payer un abonnement ou une commission pour chaque transaction. Ce service n’est donc possible qu’avec un soutien des pouvoirs publics. Seuls les MaaS vers les entreprises, donc en B to B, peuvent construire un modèle basé sur un abonnement. Exemple, le service de facturation centralisé soutenant une offre de budget de mobilité tel que le pratique Olympus Mobility, service rentable depuis quatre ans.
Poppy bien intégré
Sur Floya, ce n’est pas encore la grande affluence pour Poppy, opérateur privé de voitures partagées, mais l’entreprise y croit. “Nous avons investi dans l’intégration de notre service dans Floya, dit Pierre de Schaetzen, chief marketing officer de Poppy. Nous estimons le concept de MaaS très porteur, c’est pour cette raison que nous y sommes. Mais nous n’attendons pas un retour sur ces dépenses dans les quelques mois.”
En effet, les voitures partagées ne sont a priori pas le principal moyen de locomotion qui sera utilisé sur Floya. “Ce seront sans doute surtout les transports en commun, reconnaît Pierre de Schaetzen, mais la voiture partagée sert beaucoup à sortir de la ville.”
Sur Floya, il est en tout cas possible de réserver des véhicules Poppy partout où l’opérateur est présent, y compris Anvers et Liège.
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