Les constructeurs automobiles européens subissent de lourds revers: une crise made in China
La crise dans l’industrie automobile européenne s’intensifie, culminant avec une baisse de 64 % des bénéfices trimestriels de Volkswagen. La situation reviendra-t-elle un jour à l a normale ?
Volkswagen, pilier de l’économie allemande, ferme pour la première fois des usines dans son propre pays. Et même trois d’un coup. D’autres constructeurs européens envisagent aussi des réductions drastiques. Stellantis, qui possède Opel, Fiat, Citroën et Peugeot en Europe, fait face à des pressions des politiques italiens et des syndicats pour maintenir ouverte son ancienne usine Fiat de Turin malgré une baisse des ventes. Des chaînes de production en France sont déjà déplacées vers des pays moins coûteux, comme le Maroc et la Turquie.
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Lutter ou disparaître
L’industrie automobile européenne, qui emploie près de 14 millions de personnes et représente 7 % du PIB de l’UE, est au cœur d’une tempête. La demande de véhicules diminue au moment où les constructeurs se concentrent sur la transition coûteuse et risquée des moteurs à combustion vers l’électrique. En parallèle, la Chine accentue la pression en exportant massivement des véhicules électriques (VE) de haute qualité à des prix inférieurs vers l’Europe, tandis que la concurrence sur son marché intérieur, autrefois lucratif, s’intensifie.
Il n’existe pas de solution simple pour sortir de l’ornière. L’Union européenne, suivant l’exemple des États-Unis, a relevé les droits de douane sur les voitures importées de Chine. Cependant, des dirigeants comme Carlos Tavares, PDG de Stellantis, et Oliver Zipse, son homologue de BMW, affirment que ce protectionnisme ne fera qu’augmenter les coûts pour les consommateurs et précipiter la fermeture d’usines en Europe.
« Nous n’avons pas besoin de protection », a déclaré Zipse lors du Salon de l’Automobile de Paris. Selon lui, les constructeurs européens ne devraient « pas trop s’inquiéter » de la concurrence chinoise. Cependant, ils demandent aux autorités d’accélérer le déploiement de bornes de recharge et d’incitations financières pour les véhicules électriques, bien que cela n’ait que peu d’impact la baisse des exportations hors d’Europe.
Carlos Tavares pose une question simple aux constructeurs européens et aux décideurs politiques : « Voulez-vous vous battre ou non ? » Ceux qui choisissent de ne pas participer, prévient-il, « disparaîtront ».
De 64 à 37 %
Les problèmes des constructeurs européens ont commencé sur leur propre marché. Les ventes de voitures en Europe n’ont toujours pas rebondi après la pandémie et la hausse des taux d’intérêt freine la demande. A cela s’ajoute la transition verte. Produire des véhicules électriques reste coûteux en Europe, surtout en raison des prix élevés des batteries. Les consommateurs veulent des VE moins chers et davantage de bornes de recharge. Beaucoup repoussent leur achat en attendant ces évolutions. D’autant plus que les nouvelles normes d’émissions de l’UE accélèrent dès l’année prochaine la transition vers des véhicules plus propres.
La Chine pose aussi problème aux constructeurs européens d’une autre manière. Des marques chinoises comme BYD, Nio, SAIC, Great Wall et Chery produisent des véhicules électriques de pointe avec des coûts 30 % inférieurs à ceux de leurs homologues européens, selon Tavares. L’essor des marques locales a entraîné un recul des ventes de voitures européennes, américaines et japonaises en Chine, une des plus grandes et lucratives parts de marché pour des marques comme Volkswagen, Mercedes-Benz et BMW. Au cours des huit premiers mois de 2024, la part de marché des marques étrangères en Chine a atteint un creux record de 37 %, contre 64 % en 2020, d’après le cabinet chinois Automobility.
Si les constructeurs chinois choisissent d’installer des usines en Europe pour éviter les droits de douane, comme leurs homologues japonais l’ont fait dans les années 80 et 90, la surcapacité de production européenne augmentera. Les nouveaux venus pourraient également préférer des sites à faible coût en Europe de l’Est, surtout dans des pays comme la Hongrie, où le gouvernement est relativement favorable à la Chine. Cela intensifierait la pression sur les fabricants dans les pays où les coûts sont élevés et réduirait l’efficacité des droits de douane pour les constructeurs allemands et français.
Vers plus de collaboration
Face aux avancées chinoises dans le domaine des VE, de la technologie des batteries et des logiciels, certains constructeurs européens adoptent une stratégie différente pour survivre : devenir plus « chinois ». « Que faisaient les Chinois, les Japonais et les Coréens lorsqu’ils étaient en retard sur le plan technologique ? Ils collaboraient », affirme Andy Palmer, consultant et ancien PDG d’Aston Martin et de Nissan. « L’industrie européenne doit permettre aux Chinois de construire des usines en Europe et de collaborer avec eux, notamment sur la technologie des batteries. »
Volkswagen collabore déjà avec la start-up chinoise Xpeng pour développer des VE plus rapidement et à moindre coût. Renault, qui s’est en grande partie retiré du marché chinois, s’associe avec Geely, propriétaire de Volvo Cars, pour développer des moteurs à combustion avancés.
Stellantis mise sur une autre approche : introduire une marque chinoise en Europe. En 2023, il a investi 1,5 milliard d’euros pour acquérir 20 % de la start-up chinoise Leapmotor, obtenant les droits exclusifs de produire et de vendre ses véhicules en dehors de la Chine. Le modèle compact VE T03 devrait coûter moins de 19 000 euros en Belgique. Cette collaboration offre à Stellantis une alternative abordable pour son offre de VE et lui permet de mieux concurrencer les importations chinoises.
Les télécoms deviennent des constructeurs automobiles
Le leadership de la Chine en matière de propulsion électrique n’est pas seulement une question de coût. Un autre fossé se creuse au niveau de la technologie. Christoph Weber, qui dirige les opérations chinoises du groupe suisse de logiciels AutoForm, estime que les constructeurs automobiles européens et américains traditionnels doivent radicalement changer leurs méthodes s’ils veulent atteindre la vitesse à laquelle leurs rivaux chinois adoptent les innovations. Il souligne que William Li, le fondateur de Nio, et Joe Xia, le PDG de Jidu Auto, la coentreprise de Geely et Baidu, assistent tous deux à des réunions de conception hebdomadaires et prennent des décisions immédiatement. Selon M. Weber, le résultat est que les entreprises chinoises développent une nouvelle voiture en un an, contre quatre ans pour les constructeurs européens.
Une nouvelle menace émerge : l’entrée des géants des télécommunications et de la technologie Xiaomi et Huawei dans le secteur automobile, ajoute M. Weber. « Lorsque les consommateurs voient ce qu’ils offrent, ils s’attendent bientôt à ce que tout le monde le fasse, ce qui signifie une nouvelle pression temporelle », explique-t-il. Huawei est à la recherche de nouveaux moteurs de croissance après que le groupe a été exclu de nombreux marchés des télécommunications. Avec Seres, Chery, BAIC, JAC et Changan, il développe des véhicules et fabrique des pièces pour d’autres groupes.
Cela montre comment les marques technologiques chinoises prennent rapidement pied dans l’industrie automobile. Tang Jin, chargé de recherche principal à la Mizuho Bank à Tokyo, affirme que les constructeurs automobiles comme Toyota anticipent déjà en coopérant avec Huawei en Chine : « En raison de questions politiques, il y a des zones où les voitures chinoises ne peuvent pas aller. En coopérant avec Huawei en Chine, les entreprises peuvent acquérir le savoir-faire technologique et l’utiliser dans d’autres parties du monde, comme les États-Unis. » C’est donc l’inverse de ce qui s’est passé lorsque les constructeurs automobiles occidentaux sont entrés en Chine.
Le prochain champ de bataille : l’automatisation
L’automatisation et la technologie des voitures autonomes pourraient être le prochain domaine de concurrence, dans lequel même Tesla pourrait avoir du mal face à des acteurs chinois comme BYD et Huawei. Bill Russo, ancien responsable de Chrysler en Chine, considère que le secteur entre dans une nouvelle ère d’automatisation croissante de la mobilité.
Il n’est pas certain que cette technologie trouve sa place en Europe, où les comportements des consommateurs et la réglementation sur la confidentialité et les assurances diffèrent. Brian Gu, co-président de Xpeng, espère introduire sur le marché mondial les dernières technologies chinoises. « Le monde doit pouvoir profiter de la meilleure technologie disponible », affirme-t-il, bien qu’il reconnaisse que se conformer aux normes européennes représente un défi.
Vers un nouveau cadre industriel
Luca De Meo, directeur général de Renault, admet que l’industrie automobile européenne « a besoin d’un coup de main » de la part des Chinois, notamment dans la chaîne d’approvisionnement des batteries. « Le centre de gravité du système automobile s’est déplacé vers la Chine », déclare-t-il. « Cela ne signifie pas que les Chinois vont nous écraser. Nous pouvons nous battre. Nous acceptons la concurrence. » Cependant, d’autres ne sont pas aussi optimistes. Dans un récent rapport, l’ancien président de la BCE Mario Draghi a appelé à une « nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe » et à des investissements accrus pour préserver sa compétitivité face aux États-Unis et à la Chine.
De nombreux dirigeants de l’industrie automobile espèrent encore qu’il ne sera pas si facile pour les constructeurs automobiles chinois de reproduire leur succès national en Europe. Les consommateurs ont tendance à être plus âgés – l’acheteur d’une nouvelle voiture a en moyenne plus de 50 ans en Europe, contre une trentaine en Chine – et ont développé une certaine fidélité à l’égard de certaines marques. Avec autant de nouveaux acteurs entrant sur le marché, l’expansion agressive initiale pourrait être suivie d’une période de consolidation.
« Les plus grands obstacles pour les constructeurs automobiles chinois ne sont pas leurs produits, mais le réseau de distribution et la notoriété de la marque », déclare José Asumendi, responsable de la recherche automobile européenne chez JPMorgan. Matthias Schmidt, analyste indépendant, estime que la part des constructeurs automobiles chinois sur les marchés d’Europe occidentale ne devrait pas dépasser 12 % en raison de l’introduction de droits de douane et des nouvelles offres européennes de véhicules électriques. En août, les constructeurs chinois détenaient une part de 8,3 %.
Andy Palmer met toutefois en garde contre l’autosatisfaction et les vœux pieux. Selon lui, les constructeurs automobiles tels que Nissan, Renault et BMW ont été des pionniers de la technologie des VE, mais n’ont pas réussi à maintenir leur leadership initial en raison d’une mauvaise planification stratégique. « L’industrie européenne n’a pas été vaincue par les Chinois », affirme-t-il. « L’industrie européenne s’est tiré elle-même une balle dans le pied ».
Financial Times
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