Le retour du “train de papa”: pourquoi la SNCB ressuscite-t-elle la liaison Bruxelles-Paris après 28 ans d’absence?
On l’avait annoncé, il est enfin là: le train à bas prix qui reliera Bruxelles-Paris en trois heures pourrait attirer les foules dès le 19 décembre prochain. La billetterie est d’ores et déjà ouverte, a indiqué la SNCB. Mais que cache la remise en service de cette liaison, alors qu’elle avait été supprimée en 1996? Pourquoi ce retour du “train de papa”? Réponse de Henri-Jean Gathon, spécialiste en économie des transports à l’ULiège.
Rejoindre la ville lumière à l’heure des fêtes de fin d’année, pour seulement 10 à 59 euros? La nouvelle offre proposée par la SNCB et SNCF a de quoi plaire aux plus parisiens d’entre nous. D’autant que ce train desservira également Mons, ainsi que les moins courues Aulnoye-Aymeries (Nord) et Creil (Oise) en France. La liaison Bruxelles-Paris n’a pourtant rien de neuf: elle existait déjà il y a plus de 30 ans, avant d’être finalement supprimée en 1996. Mais comment expliquer ce retour en arrière?
1996, la fin d’une liaison classique mythique
Juin 96, le premier TGV PBKA (pour Paris-Bruxelles-Cologne-Amsterdam) est officiellement lancé. Ce service à grande vitesse géré en commun par les chemins de fer français, belge, néerlandais et allemand signe la fin d’une liaison mythique. Les derniers TEE (Trans-Europ-Express), lancés en 1957, disparaissent alors peu à peu.
Les raisons? Un matériel obsolète, qui commençait doucement à s’essouffler. Mais aussi, un souci commercial. « Quand on a introduit le TGV entre Bruxelles et Paris, on a supprimé la liaison pour éviter précisément que le train classique ne fasse de la concurrence aux trains à grande vitesse », explique Henri-Jean Gathon.
28 ans plus tard, la liaison fait son grand retour. Durée prévue du trajet: 3h environ, contre 1h25 pour le TGV, autrefois appelé Thalys et désormais connu sous le nom d’Eurostar. Une bonne nouvelle pour les citoyens du Hainaut, qui ne devront plus faire le détour par Bruxelles pour se rendre dans la capitale française en train. Avec un arrêt à Mons, la SNCB en profite en effet pour combler un manque de liaison directe.
Nostalgie quand tu nous tiens?
Cette initiative, en apparence atypique, dissimule toutefois des objectifs commerciaux, selon le spécialiste en économie des transports. « L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire international pourrait ou aurait pu inciter des nouveaux entrants appartenant au secteur privé ou associés, par exemple aux chemins de fer italiens. En Allemagne, l’entreprise Flixtrain, à l’origine très connue pour ces bus Flixbus, aurait très bien pu proposer le même type de service. Et donc les compagnies publiques, en l’occurrence la SNCF et SNCB, anticipent cette arrivée de la concurrence en proposant déjà une offre ».
D’autre part, cette offre pourrait encourager un tourisme différent, en attirant des visiteurs avec un budget plus restreint. « Certaines personnes n’ont pas le pouvoir d’achat pour payer le train Eurostar, et décident dès lors d’aller en autocar ou voiture partagée à Paris », détaille Henri-Jean Gathon. « La SNCB et la SNCF cherchent à attirer cette clientèle qui n’est pas prête à payer le prix de l’Eurostar et qui n’est pas pressée au point de faire Bruxelles-Paris en 1h20. Elle a plus de temps mais moins d’argent. »
Dans l’économie des transports, il y a toujours un arbitrage prix/temps. Si l’on privilégie la rapidité, on est prêt à payer davantage. En revanche, si l’on dispose de temps, on préfère opter pour un trajet plus long, mais moins onéreux. « C’est vraiment une offre qui est complémentaire et qui peut engendrer des recettes commerciales pour eux », souligne l’expert.
Un autre élément à mentionner, c’est que ça permet de desservir la ville de Mons. « Dans la métropole carolo, vous avez des gens qui vont pouvoir aller jusque Mons pour prendre ce train classique », précise encore Henri-Jean Gathon. « Sinon, ils doivent remonter sur Bruxelles ou bien s’organiser parfois en voiture pour aller jusque Lille et prendre alors un train vers Paris. »
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Des retombées économiques à prendre avec des pincettes
La relance de cette liaison laisse entrevoir des opportunités économiques. Néanmoins, il ne faut pas s’attendre à de grands bouleversements. « Je pense qu’il y aura des retombées bénéfiques pour l’économie parisienne et pour l’économie bruxelloise. Mais il faut les envisager quand même avec un certain recul », tempère le spécialiste en économie des transports.
Premièrement, même si cette liaison attire de nouveaux clients, une grande partie de ces voyageurs utilisait déjà d’autres moyens de transport pour se rendre à Paris ou Bruxelles. « In fine, ça ne changera rien, ou en tous cas pas grand-chose, en termes de retombées économiques ».
Deuxièmement, le bénéfice principal devrait profiter à Paris, et non à Bruxelles. « De manière générale, c’est la Terre qui attire la Lune et non l’inverse. C’est le même principe ici. Vous avez une ville beaucoup plus grande que Bruxelles: Paris. C’est donc plutôt Paris, le pôle qui attire des Bruxellois. Je ne dis pas qu’aucun Français ne viendra à Bruxelles grâce à ce train, mais en termes de masse d’attraction, ce sera plutôt Paris qui va attirer le plus de monde », explique l’expert. Et de conclure: « Je serai donc quand même très prudent avant de dire que cela va dynamiser le tourisme parisien à Bruxelles. »
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