Le graphite, le nouvel eldorado des constructeurs automobiles

graphite
© Getty

À force de se braquer sur le lithium, le graphite – une autre matière première indispensable aux batteries de voitures électriques – a été quelque peu oublié. Alors que la Chine domine le marché, la pénurie guette. De quoi plomber encore un peu plus l’Europe dans sa course aux batteries.

Dans une batterie il y a bien entendu du lithium, mais elle contient aussi du nickel, du cobalt, du manganèse et du graphite. Or ce dernier est même le composant le plus important en termes de poids des batteries. Soit entre 50 et 100 kilos de graphite par batterie de voiture. Il sert (souvent associé à du silicium), comme anode. Soit l’électrode négative d’une batterie. Aujourd’hui, le marché mondial consomme de 1,3 à 1,4 million de tonnes. La demande de graphite naturel devrait tripler au cours des quatre prochaines années en raison de l’explosion des ventes de véhicules électriques selon The Financial Times. D’ici 2030, près de 35 millions de voitures électriques seraient vendues par an. Problème, il y a un réel risque de pénurie selon le dernier rapport de Benchmark Minerals Intelligence (BMI). Et l’on estime qu’on devrait ouvrir pas moins de 97 nouvelles mines de graphite d’ici 2035 si l’on veut répondre à la demande.

Mainmise presque totale de la Chine

Pour l’instant, la Chine domine ce marché, comme celui du lithium par ailleurs. Selon Reuters, elle produit ainsi 65 % du graphite naturel mondial, en traite 85 % et abrite les six plus grands producteurs mondiaux de matériaux d’anode, selon l’Agence internationale de l’énergie. C’est en Chine qu’est produit 98 % du matériau final utilisé dans les batteries, précise encore Reuters. Dans ce domaine aussi, la dépendance du reste du monde envers la Chine est donc grande. D’autant plus que le marché serait pour le moins opaque, puisque rien ou presque ne se négocie en bourse. La nature centralisée du marché du graphite signifie en effet que les accords d’approvisionnement sont conclus bilatéralement par le biais de contrats à long terme entre les producteurs et les consommateurs. Or, selon Shaun Verner, directeur général de la société australienne Syrah Resources (le plus grand producteur de graphite naturel au monde en dehors de la Chine), cette opacité est le plus grand obstacle aux nouveaux investissements. La prévision des prix à long terme est rendue difficile par le manque de visibilité sur les projets futurs et le peu d’analyses sur le sujet.  Les prix du graphite ont ainsi augmenté d’un tiers par rapport à l’année dernière pour atteindre 740 dollars la tonne, selon Argus.

La concurrence américaine

Si Tesla, Stellantis, Renault et Mercedes ont déjà conclu de nombreux accords pour ouvrir des usines notamment à Madagascar ou au Mozambique, cela ne devrait pas suffire. Néanmoins l’adoption du US Inflation Reduction Act devrait motiver les troupes. Les entreprises américaines qui veulent bénéficier de subventions pour leurs batteries devront à partir de 2024 se fournir en dehors de la Chine. Adopté en août 2022 par l’administration Biden, l’IRA subventionne les batteries américaines à concurrence de 45 dollars par kWh et 10 % du coût de production de minéraux et matières critiques. Soit une dépense qui pourrait atteindre les 15,9 milliards de dollars entre 2022 et 2031.

L’Europe pourrait perdre la course aux batteries

    En Europe, l’avenir est encore plus incertain puisque selon la Cour des comptes européenne, « l’Europe pourrait perdre la course aux batteries ». Selon un audit, « elle n’a anticipé ni la concurrence américaine, ni la hausse des prix de l’énergie, ni l’approvisionnement en matières premières ». C’en est au point ou sans sursaut, l’Union risque d’être contrainte de repousser au-delà de 2035 l’interdiction des véhicules thermiques. Si l’accès aux matières premières est devenu une priorité de la Commission cette année, « l’UE n’a toujours pas conclu d’accord de libre-échange avec les plus gros producteurs mondiaux de matières premières ou raffinées destinées aux batteries, en particulier la Chine (pour le graphite naturel brut ainsi que le cobalt, le lithium, le nickel et le graphite naturel raffinés), la République démocratique du Congo (pour le cobalt brut) et l’Australie (pour le lithium brut) » selon les magistrats de la Cour des comptes européenne dans Le Monde. L’Europe n’a pas plus une vision claire de ses besoins et oublie la « fabrication de matières transformées (anodes et cathodes)».  

    On notera tout de même que le graphite peut aussi être créé synthétiquement à partir de coke de pétrole. Mais ce processus est gourmand en carbone et plus difficilement conciliable avec le silicium, ce qui entrave les performances de l’anode. Une alternative qui n’en est donc pas vraiment une si l’on vise une vraie transition énergétique.

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