La mue de la micro-mobilité
Dott finalise sa candidature pour l’appel d’offres de Bruxelles qui va limiter le nombre d’opérateurs de trottinettes et de vélos partagés. Selon Maxime Romain, COO du groupe Dott, cela devrait améliorer la viabilité de l’activité.
A partir de janvier 2024, la Région de Bruxelles-Capitale va remettre de l’ordre dans les trottinettes et autres vélos partagés. Elle va choisir deux opérateurs, pas un de plus, pour couvrir son territoire. C’est la réponse à la situation parfois chaotique qui s’est développée avec les neuf opérateurs actuellement autorisés (Dott, Bolt, Voi, Tier, Lime, Poppy, Pony, Bodaz et Gliize). Au total, 8.000 trottinettes partagées seront autorisées à circuler, contre 20.000 actuellement.
Cette situation ne gêne pas Dott, important acteur sur la capitale. “C’était une recommandation de l’industrie de la micro-mobilité en libre-service de limiter le nombre d’intervenants pour que l’activité soit viable et ordonnée”, indique Maxime Romain, COO de Dott, société active depuis 2019 à Bruxelles. Celle-ci sera candidate, tant pour une licence trottinette (deux disponibles) que pour celle des vélos partagés (trois disponibles).
Moins d’opérateurs, plus de viabilité
“C’est une tendance générale des villes de limiter le nombre d’opérateurs. D’un point de vue économique, cela permet à ceux qui sont sélectionnés d’arriver à la rentabilité et d’éviter que l’espace public soit encombré de trottinettes”, poursuit cet ingénieur français, fondateur de Dott avec Henri Moissinac, ingénieur lui aussi.
Basé à Amsterdam, Dott (groupe emTransit B.V.) est présent dans 40 villes, en Europe surtout et à Tel-Aviv, avec une flotte totale de 35.000 trottinettes et 15.000 vélos. Dont 4.000 trottinettes et 2.000 vélos à Bruxelles. “Nous avons quasi doublé le nombre de trajets en 2022, avec 38 millions de parcours”, ajoute Maxime Romain. Citant l’agrégateur Fluctuo, Dott annonce une part de marché de 43% dans le total des trajets effectués à Bruxelles.
En Belgique, la société est aussi présente à Liège, Gand, Charleroi et Alost qui constituent une deuxième étape dans le développement de la micro-mobilité partagée. La première, qui a débuté en 2018 à Bruxelles, a permis d’expérimenter. La deuxième vise à pérenniser les choses et tirer les leçons de cette première phase. Le secteur connaît deux grands soucis: l’acceptation et la rentabilité. Les trottoirs encombrés de trottinettes ont écorné la réputation de ce type de véhicule, avec, peut-être un effet de génération. Les vélos et trottinettes sont en effet utilisées surtout par les moins de 35 ans. Les critiques portent principalement sur le stationnement anarchique des trottinettes et les comportements à risque.
“Concernant le stationnement, l’appel d’offres prévoit des drop zones obligatoires dans chaque commune. Notre engagement sera d’imposer le stationnement sur ces zones, une fois qu’elles seront mises en place. Concernant le comportement des conducteurs, nous relevons qu’il y a moins d’accidents avec les trottinettes en libre-service qu’avec celles de propriétaires car les premières sont plus réglementées. La vitesse est limitée à 20 km/h, et dans les zones piétonnes, nous la réduisons à 10 km/h.”
Fini, les levées de fonds
Pour la délicate question de la rentabilité, le secteur est largement déficitaire: il a juqu’ici été dopé par des levées de fonds qui ont permis d’installer trottinettes et vélos partagés dans un maximum de villes. Les temps ont changé.
“Quasi tous les acteurs de la micro-mobilité sont rationnels quant à la rentabilité des marchés, avance Maxime Romain. Jusqu’à l’été 2022, le secteur de la micro-mobilité en libre-service enregistrait encore de grosses levées de fonds. Depuis l’été 2022, elles se sont arrêtées. Tous les opérateurs doivent maintenant s’assurer que les marchés sont rentables. Si ce n’est pas le cas, ils se retirent. Ce qu’on a observé.”
Dott, qui a obtenu un total de 200 millions d’euros depuis sa naissance fin 2019, a effectivement levé du capital pour la dernière fois en 2022. “Même si le groupe n’est pas encore rentable à cause des investissements dans la R&D, l’activité belge l’est, assure Maxime Romain. Dott sera rentable l’an prochain.” Cela devrait ravir le groupe belge Sofina qui détient 17,51% du groupe emTransit qui opère les services Dott. La filiale belge d’emTransit affiche pour 2022 un bénéfice net de 165.447euros. Le concurrent Lime, pour sa part, a annoncé un Ebitda (bénéfice avant taxes, impôt, intérêt et amortissement) de 15 millions de dollars.
L’arrêt complet de trottinettes partagées à Paris, suite à un référendum, n’inquiète pas davantage Maxime Romain. “Ce n’est pas représentatif de ce qui se fait dans les autres villes, estime-t-il. Toutes les autres ont confirmé qu’elles voulaient développer la micro-mobilité en libre-service. Au final, 7% des Parisiens ont voté, surtout des personnes plus âgées, ce qui a conduit à une interdiction à contre-courant de ce qui se passe ailleurs.” Ce fut un coup dur pour Dott, qui a partiellement compensé l’impact en augmentant son parc de vélos partagés de 3.000 à 6.000.
Les villes s’orientent plutôt vers une approche de marché fermé, comme Madrid, Vienne, Rome, Marseille ou Lille. L’intérêt des trottinettes et des vélos partagés n’est pas remis en cause. Ils sont très complémentaires aux transports en commun que les autorités souhaitent encourager partout. “La plupart des appels d’offres sur les grandes villes sont derrière nous, dit Maxime Romain. Nous avons gagné Rome, Madrid, Londres, Lyon, Tel-Aviv. Les deux appels d’offres importants à venir pour nous sont Bruxelles et Milan.”
Chacun fourbit ses arguments. Dott met en avant la continuité et l’approche intégrée. “Nous sommes présents à Bruxelles depuis cinq ans et nous étions les seuls à rester actifs au plus fort du covid, car nous nous considérons comme un transporteur public, avance Maxime Romain. Nos opérations sont assurées par nos propres équipes.” A Bruxelles, l’entreprise occupe 60 personnes en CDI et CDD, et 10 à 40 intérimaires dans les périodes de pointe, surtout l’été. Elles assurent le repositionnement des véhicules, la recharge des batteries, la réparation des trottinettes et des vélos. Au total, le groupe occupe 800 personnes.
Coûts divisés par deux ou trois
Bien sûr, Dott met en avant des arguments de durabilité. A la fois pour des questions environnementales et de rentabilité. L’entreprise a fait de grands efforts pour réduire les coûts. “Cela passait par une augmentation de la durée de vie des engins, qui sont aujourd’hui plus robustes, et l’utilisation de batteries amovibles identiques pour les vélos et les trottinettes. Nous avons divisé par deux ou trois les coûts”, affirme Maxime Romain, qui est l’artisan de ce fine tuning.
Le groupe a rénové 10.000 de ses trottinettes pour les rendre plus robustes et plus stables et doubler leur durée de vie, qui est passée de trois à six ou sept ans. L’utilisation de batteries amovibles a réduit le coût de la recharge des véhicules. Une armada de vélos cargos font le tour de la ville pour remplacer les batteries vides par celles rechargées dans des armoires sécurisées dans les bases d’Anderlecht et de Tour & Taxis.
L’appel d’offres bruxellois, dont le résultat sera connu début décembre, inclut une série de critères, dont l’exemplarité socio-économique et environnementale, le respect des règles de stationnement, l’emploi généré, les actions de formation et la diversité.
Actuellement, la capitale compte une offre de 20.000 trottinettes et de 3.000 vélos. Les licences, d’une durée de trois ans, prévoient de plafonner ces parcs à 8.000 trottinettes (deux licences de maximum 4.000 véhicules), 7.500 vélos (trois licences de 2.500), 600 scooters (deux licences) et 300 vélos-cargos (deux licences). La décision sera annoncée en décembre, pour une mise en œuvre en janvier 2024.
L’usage
Dott est à la fois active sur les trottinettes et les vélos à assistance électrique partagés (“en libre service” préfère dire Maxime Romain). C’est une manière de couvrir un large spectre d’utilisateurs, car les premiers véhicules touchent surtout les 18 à 35 ans, en majorité des hommes (environ deux tiers). Ces derniers font partie de l’offre de Dott, notamment pour élargir la base du public, pour les femmes et aussi les usagers plus âgés, moins intéressés par les trottinettes.
“Le service rendu est le même”, dit Maxime Romain. Le tarif est de 0,25 euro la minute et 1 euro pour débloquer la trottinette ou le vélo. Mais la majorité des utilisateurs (65%) utilise un pass mensuel. La moitié des utilisateurs sont abonnés aux transports publics, ce qui suggère un usage multimodal. “Le coût est comparable aux transports publics, qui coûtent en moyenne, en Europe, 2 euros, déclare Maxime Romain. L’utilisateur occasionnel paiera 3 ou 4 euros, le régulier, un peu plus d’un euro.” Trajet moyen: 2,8 km à Bruxelles.
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