La course des réseaux de charge rapide

LE DÉVELOPPEMENT de la charge rapide en est encore à ses débuts.
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

C’est un nouveau secteur qui se développe avec les ventes de voitures électriques. Plusieurs start-up s’affrontent sur ce marché, à 
la recherche d’une croissance qui paraît inéluctable. Tesla et Ionity dominent, mais il y a Fastned, Electra, Powerdot et d’autres.

Qui sont derrière les réseaux de charge rapide et ultra-rapide, qui se développent un peu partout en Europe, sur les autoroutes, les parkings des magasins et des hôtels? Les pétroliers sont peu présents, hormis Total­Energies sur ses stations autoroutières, ou Shell sur des parkings de magasins. Les enseignes qui fleurissent le long des autoroutes et sur les parkings sont généralement nouvelles : Tesla, Fastned, Ionity, ou sont-ce encore des start-up comme le français Electra, très actif en Belgique. Quasi tous proposent de l’électricité verte.

Nous parlons ici de charge rapide ou ultra-rapide, à courant continu (DC), qui permet à un véhicule électrique de passer de 20% à 80% de charge en une demi-heure, sur une aire d’autoroute, ou pendant les courses au supermarché, et de gagner 200 à 300 km. Nous ne pointons pas ici les bornes dans les rues ou à domicile, à courant alternatif, qui peuvent demander plus de 5 heures pour charger une voiture, et sont inadaptées aux trajets des vacances.

Une série de start-up déboulent actuellement, flairant une activité à forte croissance, d’ici 10 ans.

Les constructeurs investissent dans la charge

A l’origine, ce sont surtout les constructeurs automobiles qui ont développé de vastes réseaux de bornes rapides, pour convaincre les clients potentiels qu’ils pourront voyager loin. D’abord Tesla, en 2012, pour vendre ses voitures, avec ses stations de Superchargeurs. Ensuite Ionity, créé en Europe en 2017 par VW, Audi, Porsche, Mercedes, Ford et Hyundai, rejoints ensuite par BlackRock. Ce sont les plus grands réseaux du Vieux Continent. En Europe, Ionity gère 635 stations avec 3.848 points de charge (prises), et Tesla gère 1.223 stations. Quelques énergéticiens se sont ajoutés, comme Engie, très actif sur les autoroutes françaises, ou EnBW en Allemagne, sur l’Autobahn.

Une série de start-up déboulent actuellement, reniflant une activité à forte croissance, avec un parc automobile qui comptera plus de 40% de véhicules électriques d’ici 10 ans. L’une des premières est la néerlandaise Fastned, très présente en Belgique sur ou près des autoroutes, reconnaissable à ses toits et sa signalétique jaune. Elle a été fondée en 2012, et est l’un des rares réseaux cotés en Bourse. Il y a aussi un autre acteur néerlandais, à savoir Allego, fondé en 2013, qui gère à la fois des réseaux de bornes rapides/ultra-rapides et aussi des réseaux de rue à courant alternatif, également coté en Bourse (à New York).

Les positionnements varient. Si Telsa, Ionity ou Fastned visent surtout les recharges sur de longs trajets, des start-up comme Electra ou Powerdot donnent la priorité aux parkings de centres commerciaux ou d’hôtels visant à la fois la charge en route, à destination, et aussi celle de tous les jours, la charge rapide locale. “Nous offrons un service pour le voyageur, le vacancier sur de longs trajets, en installant les bornes sur des parkings de magasins ou d’hôtels”, explique Louis-Charles Mosseray, CEO d’Electra Benelux. Le groupe est actif dans sept pays, la France et la Belgique constituant les marchés les plus importants. “Notre objectif premier est de gommer les frottements qui freinent l’adoption d’une voiture électrique, et cela grâce à la charge rapide, qui évite de passer des heures à charger. Cela concerne bien sûr la route des vacances, mais aussi la recharge régulière des automobilistes qui n’ont pas la possibilité de recharger chez eux ou au travail.”

Charge rapide ou lente ?
Les bornes ne naissent pas égales. D’un côté, il y a des bornes lentes ou moyennes, à courant alternatif, qui envahissent les trottoirs et les garages. Elles chargent les autos en quelques heures, gagnant 35, 40 ou 70 km par heure.
D’un autre, il y a les bornes rapides ou ultra-rapides, qui ajoutent 200 ou 300 km d’autonomie en 30 minutes. Les opérateurs de bornes rapides (Tesla, Ionity, Electra, Fastned) ne s’intéressent qu’au second marché, le favori des start-up, jugé plus propice à devenir rentable, avec le meilleur marché potentiel.

La charge rapide 
pour tous ?

“Nous pensons qu’à mesure que le marché de la voiture électrique va se développer, il y aura de plus en plus de personnes pour qui la charge rapide sera la solution la plus pratique, continue Louis-Charles Mosseray. En particulier dans les zones urbaines pour les particuliers qui n’ont pas la possibilité de charger à domicile, et n’ont pas de bornes dans la rue près de chez eux.”

Encourager la charge rapide tout le temps peut sembler contradictoire avec les recommandations des constructeurs eux-mêmes, qui conseillent souvent de ne pas charger trop souvent sur des bornes rapides ou ultra-rapides, pour préserver les batteries.

“Certaines études indiquent que l’impact d’une charge rapide régulière n’est pas très important”, souligne Louis-Charles Mosseray, qui fait référence notamment à une recherche publiée en 2023 par Reccurent, basée sur le monitoring de 6.300 Tesla Model 3 sur plus de cinq ans. “Le résultat ne montre pas de différence significative sur la dégradation entre des Tesla chargées 90% du temps en charge rapide et celles qui ont utilisé 10% du temps ce type de charge”, dit l’étude, qui estime que les systèmes de gestion et de conditionnement des batteries expliquent ce bon résultat.

“Il y aura de plus en plus de gens pour qui la charge rapide sera la solution la plus pratique.” – Louis-Charles Mosseray (Electra Benelux)

Louis-Charles Mosseray ajoute que la recharge rapide est bonne pour les réseaux électriques, car elle se fait souvent hors des pointes de consommation.

D’autres start-up comme la portugaise Powerdot, installée dans six pays dont la Belgique, ont une stratégie identique, avec l’objectif affiché de devenir un leader européen. Electra vise 14.500 points de charge européens en 2030, Powerdot, 19.000 ; ils en ont installé aujourd’hui respectivement 1.475 et 3.500. Electra dispose actuellement de 47 stations et 274 points de charge en Belgique. Le 25 juin dernier, un partenariat entre Electra et la chaîne de restauration rapide Quick a par ailleurs été annoncé. Au cours des deux prochaines années, cet expert en stations de recharge rapide a prévu d’exploiter près de 23 stations dans les restaurants spécialisés en fast-food. Ils auront une capacité de charge rapide de 400 kW. La toute première station devrait s’ouvrir cet été au Quick de Namur-­Champion.

Un modèle d’affaire 
encore déficitaire

Le business model de la charge rapide doit encore faire ses preuves. A notre connaissance, aucun grand réseau de bornes n’est encore rentable.

Forte croissance, pas encore de rentabilité
Le business de la charge rapide est encore loin d’être profitable, car les opérateurs sont encore en phase d’investissement pour installer le plus possible de stations, en attendant que le parc automobile électrique se développe.

Cela tient aux gros investissements à consentir pour signer des concessions, installer des parcs de bornes, avant que les automobilistes s’équipent et viennent charger, un peu comme les débuts des réseaux de téléphonie mobile. Des subsides européens ou nationaux ont donné un coup de pouce, mais ne seront sans doute pas éternels. La pose d’une borne rapide coûte 150.000 euros, tout compris (borne, raccordement au réseau, génie civil).

Les chiffres sont rares, mais on peut lire dans le dernier rapport trimestriel de Fastned (Q1) que le revenu moyen de ses stations, annualisé, atteint les 252.000 euros (vs 214.000 au Q1 2023), avec un taux d’utilisation de 13,5%. Pour KBC Securities, la société devrait arriver à un bénéfice net en 2026.

Le marché le plus délicat est celui des autoroutes en France. “Le marché est beaucoup plus saisonnier qu’en Belgique”, relève Brieuc de Tonquédec, manager d’Ionity pour la France et le Benelux. Les pointes y sont très fortes, il faut donc installer un grand nombre de bornes en sachant qu’une partie d’entre elles ne serviront pas la plupart du temps. Sur les parkings d’hypermarchés, d’hôtels ou de centres commerciaux, la charge rapide a sans doute une perspective d’utilisation plus régulière.

Le cas des autoroutes

“Sur les autoroutes, le business model de la charge rapide est complexe”, reconnaît Louis du Pasquier, directeur des mobilités décarbonées chez Vinci Autoroutes. C’est encore un sujet mal compris des pouvoirs publics en France. Dans un premier temps, des subsides ont aidé l’installation des parcs de bornes, mais à présent c’est fini. Il faudra sans doute développer un cadre pour assurer la croissance du parc, et sans doute revoir la durée des concessions en France.

Les opérateurs de bornes tendent à diversifier la localisation de leurs installations pour viser tous les publics, le voyageur au long cours ou le local, et construire une offre susceptible d’amener des revenus réguliers. Le secteur semble trouver des fonds.

Le problème de la durée des concessions
En France comme en Belgique, le mécanisme des concessions est vital pour le développement des réseaux de bornes rapides. Il y a deux soucis. L’accès aux aires de service et la durée des contrats.
En Belgique, les pétroliers qui obtiennent une concession ont la main, et il faut s’accorder avec eux pour installer des bornes sur le site d’une station-service, et partager la recette.
Fastned refuse cette perspective et s’installe, chez nous, sur des parkings d’autoroutes, sans station-service. Alors qu’en France ou aux Pays-Bas, le régime des concessions est distinct pour le carburant et les bornes, ce qui favorise partout le développement des points de charge.
Un obstacle à la croissance du nombre de bornes est la durée des concessions. Elle est limitée à 15 ans en France, ce qui est peu pour amortir des bornes installées peu de temps avant l’échéance. Les concessions belges peuvent durer jusqu’à 25 ans.

Fastned lance régulièrement des emprunts obligataires. Electra a levé début 2024 un montant de 304 millions d’euros, ce qui porte à 600 millions d’euros la somme levée pour financer son développement. Tesla suit la même stratégie et s’installe davantage hors des autoroutes plutôt que sur les aires de service.

Le développement de la charge rapide en est encore à ses débuts. Pour Louis du Pasquier, il devrait connaître une évolution. “Il y a un tel niveau de concurrence dans le marché qu’il y a de fortes chances d’avoir bientôt des consolidations.” Tout le monde n’arrivera pas à survivre, les investisseurs des opérateurs de bornes pousseront sans doute à des rapprochements. Prudent, Vinci Autoroutes a préféré attribuer ses concessions à un grand nombre d’acteurs, 15 au total, dont Engie, Ionity, TotalEnergies, Fastned et Electra. On ne sait jamais…

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