La bataille des camionnettes électriques

Bpost gère la plus grande flotte du pays avec 2.200 camionnettes électriques.
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

L’offre des utilitaires légers électriques s’élargit, mais la demande reste encore tiède, faute d’incitants. La technologie convient à des usages spécifiques, comme la livraison, beaucoup moins au monde de la construction.

Les e-camionnettes se multiplient dans les catalogues des marques, avec les arrivées, depuis plus d’un an, de l’ID Buzz Cargo chez VW, doté de plus de 400 km d’autonomie, ou du vaste Master E-Tech de Renault, et son autonomie allant jusqu’à 460 km. Mais les acheteurs sont plutôt réservés.

En 2024, le marché a même reculé en Belgique, comme dans l’Union européenne, respectivement de – 13,9% et – 9,1%. Chez nous, les immatriculations sont passées de 3.070 à 2.644 véhicules entre 2023 et 2024. Hormis le secteur de la livraison, avec bpost, qui gère la plus grande flotte du pays (2.200 camionnettes électriques), DHL ou certaines entités publiques, les entreprises sont encore réticentes. Il n’y a guère que 0,56% de camionnettes électriques dans le parc total en circulation, contre 2,6% pour les autos. Pourtant ces véhicules sont, comme les voitures, concernés par l’obligation européenne de ne vendre que des motorisations sans émission à partir de 2035.

Un manque d’incitants à la néerlandaise

Il suffit de discuter avec un artisan pour comprendre… Même l’installateur qui a placé une borne de recharge à mon domicile ne souhaitait pas rouler en camionnette électrique. Il craignait de perdre du temps à recharger, alors que son travail l’envoie aux quatre coins du pays. L’autonomie proposée lui paraissait encore trop réduite.

“Il y a également une question d’aides publiques. Les utilitaires légers ne bénéficient pas du même soutien fiscal que les voitures de société. Il y a peu d’incitants”, explique Luc Van Hoeydonck, conversion et training manager VW commercial vehicles chez D’Ieteren. C’est différent aux Pays-Bas, où les immatriculations ont augmenté de 17,4% en 2024, passant de 9.972 à 11.704 e-camionnettes. “Là-bas, acheter un utilitaire diesel ou un électrique vous coûtera la même chose. C’est la fiscalité qui équilibre la situation”, ajoute Zakaria Zeghari, global sales & marketing commercial vehicles au sein du groupe Renault. Une taxe décourage l’achat de camionnettes à carburant.

Sans prime ni incitation fiscale, un utilitaire électrique revient encore cher par rapport à un diesel. Un fourgon VW Transporter diesel est vendu à partir de 31.441 euros, un ID.Buzz Cargo revient à 41.850 euros avec une autonomie théorique de 330 km (parcours mixte WLTP). Même chose pour un fourgon Mercedes Sprinter, vendu à partir de 39.995 euros en version de base diesel (114 cv), format L2 H1, et à 52.890 euros en version eSprinter, avec 220 km d’autonomie, et au moins 10.000 euros de plus pour passer à 303 km de rayon d’action.

Maxus eDeliver 5

L’écart de prix

Dans l’automobile, le design, la séduction peuvent pousser un client à acheter plus cher. “Dans l’utilitaire, l’achat est purement rationnel. Il n’y a pas d’émotionnel comme c’est le cas pour une voiture”, poursuit Zakaria Zeghari.

Même une marque chinoise comme Maxus, qui propose des tarifs plus doux pour des utilitaires électriques, a du mal à convaincre. “Notre modèle le plus vendu est le Deliver 9, un diesel”, assure Anne Pottemans, head of communication d’Astara, l’importateur de Maxus. La marque fournit notamment bpost en camionnettes électriques. Elle propose actuellement une camionnette eDeliver 5 à 32.431 euros avec 335 km d’autonomie. La grande eDeliver 9 (format Mercedes Sprinter/Renault Master) se vend à partir de 39.992 euros avec 290 km d’autonomie, mais la version diesel est facturée à partir de 25.490 euros.

Il y a pourtant des pressions fortes à l’électrification. Les zones à basses émissions (Bruxelles, Anvers, Gand) peuvent interdire certaines camionnettes diesel à mesure que passent les années, comme c’est le cas pour les autos un peu âgées. Or, contrairement aux voitures, les camionnettes sont disponibles quasi uniquement avec des moteurs diesel. Les hybrides y sont rarissimes. Même si Ford vient de sortir un Transit hybride rechargeable essence qui roule une cinquantaine de kilomètres sur batterie.

Autre motivation : les grandes entreprises sont encouragées à verdir leurs flottes, dans le cadre des réglementations RSE, afin d’améliorer leur bilan carbone.

“Au stade où en était l’auto électrique voici 10 ans”

“On peut considérer que les utilitaires légers électriques en sont au stade de l’auto électrique voici 10 ans, observe Frédéric Bastin, mobility manager chez Eiffage Construction Belgique. On ne parle pas des mêmes critères que pour une voiture, on parle aussi charge utile. Plus le véhicule est chargé, plus l’autonomie se réduit, on est content si on arrive à faire 200 km avec des camionnettes qui promettent 300 ou 400 km WLTP.” Surtout que ces camionnettes ont aussi souvent des remorques…

Le contexte d’utilisation varie d’un métier, d’un secteur à l’autre, d’un cas à l’autre. Certains artisans ont une activité très locale, aisée à électrifier. Le secteur de la construction est sans doute le plus compliqué à adapter. Frédéric Bastin : “Les camionnettes ne reviennent pas au dépôt, mais plutôt dans le quartier de son conducteur, qui n’a pas nécessairement une borne chez lui ou dans sa rue. Et sur un chantier, il n’y a pas forcément le courant nécessaire pour la recharge. Opérer une camionnette électrique qui fait 40.000 km par an, souvent avec une remorque, ce n’est pas évident. On y réfléchit, mais c’est encore quasi impossible avec la technologie actuelle.”

La question de l’autonomie est, en effet, plus sensible pour les camionnettes que pour les voitures électriques. “La charge utile est moindre que pour une camionnette à carburant équivalente, à cause du poids des batteries, 300 à 500 kg, pointe Luc Van Hoeydonck. Elle arrive à 600/700 kg. Déjà que le poids des véhicules a été alourdi de 300 à 400 kg depuis les années 1990 pour répondre aux normes de sécurité.” Et ce n’est pas seulement un problème d’autonomie, mais aussi de permis de conduire. “Le permis B est limité à des véhicules de 3,5 tonnes maximum. L’Union européenne a mis en place un recul de la limite à 4,2 tonnes, mais la Belgique ne l’autorise pas encore. C’est un gros souci.

L’imbroglio du permis B

La barrière du poids fait partie des freins au déploiement des utilitaires électriques légers. La batterie alourdit ces véhicules et, idéalement, il faudrait repousser le plafond de poids du permis B de 3,5 à 4,25 tonnes. Le ministre sortant de la Mobilité, Georges Gilkinet, souhaitait lancer une phase test, mais c’est un chantier complexe.

Pour l’heure, cette évolution n’est pas encore en place. Changer les règles du permis ne suffit pas. “Une fois que vous dépassez les 3,5 tonnes, le véhicule est soumis à d’autres obligations : installation d’un tachygraphe, d’un limiteur de vitesse à 90 km/h, paiement de la redevance kilométrique, et dans certaines communes, interdiction d’accéder à certaines rues défendues aux plus de 3,5 tonnes”, relève Michaël Reul, secrétaire général de l’UPTR, une fédération de transporteurs routiers.

Certaines compétences sont fédérales, comme le permis, d’autres régionales ou locales. Un vrai permis B à 4,25 tonnes pour conduire avec un véhicule électrique (ou à l’hydrogène) supposerait d’exempter les véhicules de toutes les contraintes mentionnées plus haut, sans quoi il ne servirait à rien. Il limitera le poids transportable des utilitaires.

La poussée des politiques RSE

Les constructeurs sont conscients du problème. “Le marché de l’électrique a reculé, en Europe, d’une dizaine de pour cent. Notamment à cause du débranchement d’incitants à l’achat d’utilitaires électriques, dit Zakaria Zeghari. Nous avons de grands clients qui aimeraient électrifier, dans le cadre d’une politique RSE. Mais ils ont du mal sur l’utilitaire pour certaines opérations peu adaptées à ces véhicules. Il y a encore un plafond de verre.”

Zakaria Zeghari (Renault) © PG
“Nous avons de grands clients qui aimeraient électrifier, mais ils ont du mal sur l’utilitaire pour certaines opérations peu adaptées à ces véhicules.”

“Cela ne veut pas dire qu’on ne va pas y arriver, ajoute-t-il néanmoins. Nous formons nos corps de vente à comprendre les activités d’une entreprise. Etce afin de déterminer les transports qui sont les plus aisément électrifiables. Dans un groupe actif dans la construction, on pourrait avoir 15% du parc dont l’usage se prête, aujourd’hui, à l’électrification, par exemple.” Un vrai travail de consultance.

“Les personnes les plus perdues sont les managers de flotte. Notre rôle est de leur expliquer qu’on ne peut pas tout électrifier aujourd’hui. Et puis, d’accompagner les entreprises et les aider à analyser les usages pour définir ceux qui conviennent”, continue Zakaria Zeghari. Il faut aussi convaincre les chauffeurs, qui ne sont pas toujours enthousiastes.

Les obstacles sont posés par l’autonomie des véhicules, mais celle-ci évolue lentement. “Un Master E-Tech propose 460 km, ça commence à être conséquent, enchaîne le responsable de chez Renault. On a travaillé ici avec une plateforme qui consomme 27% de moins que son prédécesseur.” Ce modèle est vendu à partir de 48.850 euros.

De nouvelles plateformes prometteuses

Le Master est basé sur une plateforme adaptée à la motorisation électrique. Bon nombre d’utilitaires électriques sont des plateformes à carburant adaptées à l’électrique. Ce qui n’est pas optimal pour accueillir une grande batterie. Les nouvelles générations se basent sur les plateformes adaptées, soit pure électrique, soit à usage mixte, comme l’a annoncé notamment Mercedes. Volvo Trucks et CMA CGM ont mis en place l’an dernier une joint-venture, Flexis. Celle-ci annonce des utilitaires basés sur une plateforme pure électrique.

Cette joint-venture devrait lancer, à la fin de l’année, trois véhicules, mais ne cherchera pas à viser tous les marchés des utilitaires. Flexis se limitera au monde de la logistique urbaine, promettant 450 km d’autonomie WLTP, avec une charge en 18 minutes. Les modèles annoncés sont l’Estafette, un haut véhicule de livraison, le Trafic électrique, au format du Renault Trafic actuel, et la Goélette, un véhicule à plusieurs carrosseries, châssis cabine, box et benne.

Pour élargir les usages, il faudra nécessairement augmenter la capacité des batteries sans obérer le poids, ni faire trop grimper les prix.

Ces nouvelles plateformes offrent plus d’autonomie, plus de flexibilité et une meilleure base software, parfois intégrable aux systèmes de l’entreprise cliente.

Pour élargir les usages, il faudra nécessairement augmenter la capacité des batteries sans obérer le poids, ni faire trop grimper les prix. Cela prendra des années, mais les recherches technologiques en vue d’améliorer les autos électriques auront un impact sur les utilitaires.

Les tarifs mentionnés sont hors TVA, proviennent des sites des différents importateurs, ont été collectés à la mi-mars, et sont publiés à titre indicatif.

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