Jeff Bezos prépare en toute discrétion une offensive contre Tesla

Le fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, finance par le biais de sa société d’investissement familiale, Bezos Expeditions, une nouvelle start-up spécialisée dans la production de véhicules électriques. Basée dans le Michigan, Slate Auto a de quoi inquiéter Tesla, mais aussi tous les autres constructeurs automobiles.
Issu de Re:Build Manufacturing, un conglomérat industriel soutenu par Bezos, Slate Auto développe depuis 2022, en toute discrétion, un pick-up électrique compact dont le prix avoisinerait les 25 000 dollars. Le lancement de la production est prévu pour fin 2026, possiblement dans la région d’Indianapolis.
Des millions et des anciens d’Amazon
En 2023, Slate aurait levé au moins 100 millions d’euros lors d’un premier tour de table. Un second tour a eu lieu fin 2023, sans qu’une documentation officielle ait encore été déposée auprès du régulateur américain.
Selon TechCrunch, Slate aurait déjà recruté plusieurs centaines d’employés issus de groupes comme Ford, General Motors, Stellantis et Harley-Davidson.
L’entreprise est aussi étroitement liée à Amazon puisque plusieurs anciens hauts dirigeants des divisions retail et technologiques du géant sont impliqués dans la start-up. Soit des personnes qui savent faire grandir un projet étape par étape. Des profils capables de penser en grand, tout en démarrant petit. À l’image de Jeff Wilke, ex-PDG d’Amazon Consumer et cofondateur de Re:Build. Sa présence suggère que Slate n’envisage pas qu’un simple atelier d’assemblage. Elle vise une réinvention complète de la chaîne de production.
Une anagramme révélatrice
L’annonce de cette nouvelle start-up a sûrement dû provoquer un frisson d’angoisse dans les salles de réunion de Rivian, Lucid, et même chez Tesla. Pourtant, il n’y a eu ici aucune annonce tapageuse à la Elon Musk. Seulement des fuites stratégiques, des investissements discrets et une équipe de personnes expérimentées qui ne cesse de croître. Slate Auto est donc enrobé d’un certain mystère. D’autant plus que son nom intrigue presque tout autant. “Slate” est en effet l’anagramme de “Tesla”.
Quand Bezos mobilise ses troupes, c’est rarement pour rien
Si l’implication de Bezos ne garantit pas le succès, pensons à l’épisode Fire Phone, son historique parle pour lui. Il a su, par le passé, détecter le potentiel de Google, Uber ou encore de la start-up en IA Perplexity. Il a investi dans Anduril, une entreprise de défense, a fait d’Amazon Web Services le leader mondial du cloud, et a transformé Amazon.com en un écosystème complet de logistique, de données et de comportement client. Tout cela pour dire que quand Jeff Bezos mobilise ses capitaux et ses équipes sur un projet, il ne se passe rarement rien. Cela peut être lent, discret, mais l’impact est souvent durable.
La confidentialité comme stratégie
Il est révélateur que cette entreprise ait déjà levé des dizaines de millions et recruté des centaines d’experts depuis 2022 sans attirer l’attention du grand public. La confidentialité n’est pas une coïncidence chez Bezos, mais un principe stratégique. Blue Origin, son entreprise spatiale, est ainsi restée invisible pendant des années.
L’ADN d’Amazon, c’est une obsession du client, une culture de l’expérimentation, et un stoïcisme stratégique lorsqu’il s’agit de projet sur long terme. Chez Amazon, on n’attend pas de résultats immédiats. L’entreprise progresse lentement, en silence, et parfois, le succès n’émerge qu’après des années. L’e-reader Kindle, Amazon Web Services ou l’assistant virtuel Alexa sont autant de projets qui ont commencé dans l’indifférence, voire la moquerie, pour devenir inévitables. Slate semble suivre ce même modèle. Amazon a conçu le Kindle dans le plus grand secret. Et maintenant, Slate émerge, juste au moment où elle semble prête à révéler quelque chose de tangible.
Une ambition internationale et multi-produit
Si les contours du projet semblent encore un peu flous, deux certitudes se dégagent néanmoins.
La première est le véhicule lui-même, soit un pick-up électrique à 25 000 dollars. Si cela marche, Bezos s’attaque à un marché colossal. En associant prix abordable et format le plus populaire aux États-Unis, il risque de réussir là où Tesla a échoué avec son Cybertruck. Et contrairement à ce dernier, un pick-up électrique bon marché pourrait aussi connaître un bon accueil à l’international. D’autant plus qu’il n’a pas pour vocation d’être un produit de luxe, mais une voiture de base : un véhicule sobre, évolutif, conçu comme un point de départ. Une base pouvant être enrichie d’accessoires, de logiciels, d’une identité en fonction des envies ou du budget de son propriétaire. Fin mars, Slate a déposé un brevet sur le slogan : “We built it. You make it.” – une accroche tout droit sortie de l’univers marketing d’Amazon.
La seconde certitude c’est qu’à la voiture même s’ajouterait aussi une approche multi-produits. Slate ne prévoit pas seulement de vendre des voitures, mais aussi des vêtements et accessoires, en recrutant pour cela des vétérans d’Harley-Davidson et d’Amazon.
Pas seulement un véhicule
Les constructeurs traditionnels savent depuis longtemps que le véhicule électrique n’est pas seulement intéressant en tant que véhicule, mais aussi voire surtout comme base pour vendre logiciels, services et abonnements. En 2021, McKinsey estimait que ces services pourraient générer jusqu’à 1 500 milliards d’euros de revenus supplémentaires. Stellantis (Citroën, Peugeot, Opel, Jeep, Fiat,…) prévoit que ce segment des services numériques devrait à lui seul rapporter 20 milliards d’euros d’ici 2030. Or Amazon est le premier fournisseur mondial de cloud, soit là où l’on trouve toutes ces datas.
Enfin, le canal de distribution sera crucial. Tesla a bouleversé le secteur en vendant directement au consommateur, sans passer par un réseau de concessions. Ce modèle réduit considérablement les coûts dans un secteur où les marges sont faibles. Amazon, leader mondial de la vente en ligne, excelle dans ce domaine : distribuer des produits via le web. Cette expertise pourrait s’avérer déterminante pour Slate.
Autant de points qui font dire que si la réussite de Slate Auto n’est pas garantie, l’industrie automobile ne peut tout simplement pas se permettre de l’ignorer.
Un véhicule abordable conçu comme une plateforme pour promouvoir des logiciels à forte rentabilité, soutenu par une infrastructure et une maîtrise technologique taillées sur mesure pour répondre aux besoins des clients: voilà de quoi donner quelques sueurs froides à tous les constructeurs automobiles, de Tesla à Volkswagen.
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