En crise l’industrie automobile ? C’est indéniable. Mais cette lecture pessimiste n’est que partielle. La réalité, c’est aussi qu’elle n’a jamais été à ce point créative. La preuve en 10 innovations majeures sur le point d’aboutir, et qui vont profondément transformer la conduite.
Estafette, le retour. Soixante-cinq ans après son lancement par la Régie Renault, l’utilitaire qui a marqué des générations d’artisans revient sur le devant de la scène. Mais à part son nom, Renault n’a rien gardé de la fourgonnette un temps utilisée comme panier à salade.
Haute sur pattes, conçue pour qu’un livreur de 1,90 mètre puisse circuler facilement à l’intérieur, cette camionnette électrique, pour les livraisons urbaines du dernier kilomètre, est un ordinateur roulant. Elle fait partie des premiers modèles de Renault conçus selon la technologie révolutionnaire du SDV, le véhicule défini par logiciel. Celle-ci permet, entre autres, d’améliorer automatiquement et en continu les fonctions du véhicule… Eh oui, même dans le créneau des professionnels, l’innovation est le nerf de la guerre.

“Dans le contexte morose que connaît l’industrie automobile et alors que le marché menace de stagner, les constructeurs savent bien qu’elle est indispensable pour se différencier”, commente Sébastien Amichi, associé au cabinet Kearney. Malgré des budgets en baisse, les ingénieurs occidentaux doivent se mobiliser et tenter de contenir la montée en puissance des Chinois, parvenus à diviser par deux le cycle de l’innovation, selon Roland Berger.
Dossier: Voitures électriques
Que trouve-t-on dans les cartons ? Beaucoup de choses nouvelles. Et surprenantes ! Les voici.
1. Un plein de watts aussi rapide qu’un plein d’essence
L’un des principaux freins à l’achat de voitures électriques, la corvée de la recharge, ne sera peut-être bientôt qu’un vieux souvenir. En mars dernier, le chinois BYD a en effet présenté deux nouveaux modèles aux capacités jamais vues. La batterie de la Han L, une grande berline, et celle de l’imposant SUV Tang L peuvent récupérer deux kilomètres d’autonomie par seconde (ou 400 km en cinq minutes), lors d’un arrêt à la borne. Le précédent record était détenu par un autre chinois, Li Auto (500 km en 12 minutes). “Plus qu’un constructeur automobile, on est une marque de tech avec une grande expertise dans la batterie”, se félicite Emmanuel Bret, patron de BYD en France.
Les voitures ont été conçues sur une nouvelle base, la super e-platform, avec des accumulateurs LFP maison capables d’encaisser une puissance de charge de 1.000 volts. Hyundai, Porsche ou encore Audi se sont limités jusqu’ici à une architecture 800 volts pour la recharge ultrarapide. Pour alimenter ses bolides (le compteur de la Han L culmine à 300 km/h), BYD va déployer ses propres bornes de nouvelle génération, quatre fois plus puissantes que les européennes. L’installation d’un réseau de 4.000 points de charge est en cours en Chine, l’Europe viendra dans un second temps.
BYD est si confiant dans la capacité de ses accus qu’il propose aux acheteurs une option futuriste à placer sur le toit : un drone électrique rechargé par le véhicule pour surveiller la route !
2. Des moteurs logés dans les roues
Cette bombinette préfigure la sportive du futur. Avec sa R5 Turbo 3E 100% électrique prévue pour 2027, Renault a laissé libre cours à l’inventivité des ingénieurs. Le résultat ? Une voiture catapultée sur la route par deux moteurs électriques délivrant au total 540 chevaux et installés… dans les roues arrière. Avec la disparition de l’arbre de transmission, elles reçoivent directement la puissance délivrée. Le bolide passe de 0 à 100 km/h en moins de 3,5 secondes !
“La R5 Turbo est au niveau des meilleurs super cars du marché”, s’enthousiasme Philippe Varet, responsable des avant-projets et de l’innovation chez Alpine Cars.
La R5 Turbo sera catapultée sur la route par deux moteurs électriques délivrant au total 540 chevaux et installés… dans les roues arrière.
L’architecture choisie limite la perte d’énergie et permet d’optimiser la gestion des masses du véhicule, qu’une coque en carbone contribue à alléger. Du coup, sur le papier, la R5 offre 400 kilomètres d’autonomie. La voiture sera produite a seulement 1.980 exemplaires pour une niche de clients fans de vitesse sur circuit et aux moyens conséquents : le tarif démarrera en effet à 155.000 euros…
Renault est le premier constructeur à commercialiser une telle voiture en petite série. En 2028, BMW s’y mettra à son tour, mais avec quatre moteurs électriques dans les roues de la IM3, qui affichera alors une puissance de plus de 1.000 chevaux…

3. La voiture conduite à distance
L’avènement des voitures autonomes pourrait être précédé d’une autre étape : celle des véhicules pilotés à distance par des “téléconducteurs”. Science-fiction ? Pas du tout. Vay, une start-up allemande, a lancé une expérience l’an dernier à Las Vegas. Sa technologie a été installée sur une flotte de Kia Niro électriques qui sillonnent une partie de la cité du jeu. À la manière d’un Uber, Vay propose un service de trajets commandés en ligne. La voiture, connectée et bardée de caméras, se rend toute seule à l’adresse indiquée par le client, mais pas en mode autonome. Un conducteur installé dans les locaux de la société la pilote à distance comme s’il était au volant ! Sur le pare-brise virtuel placé devant lui, il voit parfaitement la route, l’environnement du véhicule et perçoit même les sons alentour. Il profite aussi du guidage en réalité augmentée et des autres aides à la conduite, peut actionner les clignotants, les freins ou l’avertisseur…
Une fois à bon port, il laisse les commandes au client qui prend le volant. Arrivé à sa destination, celui-ci repasse la main au téléconducteur, soit pour garer le véhicule soit pour le conduire vers la course suivante… Selon Vay, la prestation est deux fois moins chère qu’un trajet en VTC. La start-up compte décliner le modèle dans la location ou l’autopartage. Elle a d’ailleurs engagé un partenariat avec Peugeot pour équiper sa flotte de véhicules en libre-service Free2move et tester des solutions de livraisons en ville avec des utilitaires.

4. Piloter son véhicule comme un avion
Avec les systèmes steer-by-wire, ou direction par câble électrique, l’industrie automobile va s’approprier une technologie longtemps réservée à l’aéronautique et la F1. “Il s’agit de remplacer des commandes électromécaniques ou hydrauliques par de l’électrique”, résume Stéphane Cassar, vice president steer-by-wire chez l’équipementier allemand ZF, l’un des plus avancés en la matière. De quoi transformer l’expérience de conduite. En effet, la liaison mécanique entre le volant et les roues disparaît. Adieu, colonne de direction ! À la place, un actionneur à capteur d’angle est connecté au volant et convertit les mouvements du conducteur en signaux électriques.
Ces derniers sont transmis par fil à un moteur à crémaillère situé sur l’essieu, pour orienter les roues dans la direction voulue. Le tout est piloté par logiciel. Avantages du système ? Il décuple d’abord la maniabilité de la voiture et rend la conduite plus précise. Une manœuvre qui s’effectuait en trois ou quatre tours de volant n’en demandera plus qu’un et demi.
Autre intérêt : le gain de place dû à la disparition des pièces mécaniques. “On ouvre la voie à de nouveaux tableaux de bord, à des volants aux formes inédites”, explique Stéphane Cassar. Le steer-by-wire de ZF, qui agit sur les quatre roues, a été produit pour la première fois en série au profit du chinois Nio et son SUV haut de gamme ET9, lancé cette année. Ce n’est qu’un début.

5. Le volant transformé en manette de jeu
Peugeot le promet pour fin 2026, en même temps que sa nouvelle génération de i-Cockpit, cet habitacle high-tech devenu la marque de fabrique de l’enseigne au lion. Mais les clients seront-ils prêts à accepter l’Hypersquare ? Ce volant du troisième type, présenté sur le concept car électrique Inception, a en effet de quoi dérouter les conducteurs de la vieille école. De forme rectangulaire, inspiré selon Peugeot du monde du jeu vidéo, l’objet est composé d’un écran central où s’affichent des informations de contrôle du véhicule.
Les pictogrammes de fonctions comme la climatisation, les aides à la conduite, etc., apparaissent sur les côtés et peuvent s’activer d’un simple mouvement du pouce comme sur un smartphone. L’apparition d’une telle espièglerie n’aurait pas été possible sans le remplacement de la direction mécanique de la voiture par un système de gestion électrique by wire.

6. Un pare-brise pour écran géant
Les écrans aux allures de tablette popularisés par Tesla vont être progressivement remplacés par un autre support : le pare-brise. Un bandeau d’affichage situé à sa base et étiré de gauche à droite de l’habitacle fera apparaître des widgets personnalisables et des informations (température, vitesse, distances, etc.), visibles par tous les passagers. Le conducteur aura en plus accès à un système d’affichage tête haute en réalité augmentée, les données projetées apparaissant au niveau de son champ de vision.
Pour faciliter les virages ou les changements de direction, le système de navigation affichera des flèches qui se superposeront directement sur la route jusqu’à 50 mètres devant le véhicule. Les éventuels dangers (piétons, véhicules à proximité), même éloignés, seront mis en évidence par surbrillance. C’est un projecteur miniaturisé caché dans le tableau de bord qui enverra l’image sur le pare-brise.
“Les interfaces actuelles posent un problème de sécurité : le conducteur doit baisser les yeux ou les détourner brièvement de la route s’il consulte un écran. Ce ne sera plus le cas”, promet Romain Duflot, patron fondateur de EyeLights, une start-up toulousaine spécialisée dans les technologies de réalité augmentée.
Son système a été adopté par BMW pour sa prochaine gamme de modèles électriques Neue Klasse, lancée à partir de 2026. D’autres constructeurs, comme Ferrari et Toyota, vont aussi s’équiper. Hyundai devrait suivre le mouvement, mais avec une technologie différente, l’holographie, développée par le spécialiste de l’optique Zeiss. Là, un film transparent aussi fin qu’un cheveu et inséré dans le pare-brise restitue des contenus diffusés par projecteur.
7 Le smartphone sur roues, bientôt une réalité
Une nouvelle ère va s’ouvrir avec le SDV pour Software Defined Vehicle, ou véhicule défini par logiciel. “Aujourd’hui, vous achetez une voiture dont le nombre de fonctions est défini une fois pour toutes. Demain, il sera possible de la mettre à jour selon ses besoins, en rajoutant des prestations qui n’étaient pas choisies au départ”, indique Derek de Bono, vice-président SDV chez l’équipementier Valeo.
Plus de puissance moteur à l’occasion d’un départ en vacances ? En trois clics, l’affaire est conclue. Une nouvelle aide à la conduite disponible sur le marché ? Idem. Le modèle ressemblera à celui des fabricants de smartphone, avec des magasins d’applications alimentés par des développeurs. De lucratifs systèmes d’abonnement se mettront en place.
“En Chine, qui est en avance sur cette technologie, les voitures sont livrées avec une quantité de mémoire et de capteurs qui ne servent pas tout de suite, en prévision du futur”, illustre l’expert en innovation automobile Christophe Cazes. Avant de se généraliser en Occident, cette révolution déjà entamée chez Tesla et quelques marques premium va exiger d’énormes efforts de la part des constructeurs. Il faut en effet revoir totalement l’architecture classique des véhicules où chaque fonction, du lève-vitre à la climatisation, est reliée à un calculateur.
Dans les voitures SDV, les ordinateurs seront en nombre très réduit, ils seront centralisés mais leur puissance de calcul sera décuplée. “C’est simple, en 2030, il y aura 100 millions de lignes de code dans une voiture, plus que dans un avion de chasse aujourd’hui”, annonce Antoine Vuillaume, chargé du projet SDV chez Renault.
“En 2030, il y aura 100 millions de lignes de code dans une voiture, plus que dans un avion de chasse aujourd’hui.” – Antoine Vuillaume (Renault)
8. L’hydrogène, carburant de demain ?
Toyota, Hyundai, BMW y croient dur comme fer : la voiture à hydrogène reste très crédible pour développer la mobilité décarbonée de demain. Hyundai, par exemple, lancera cette année la seconde génération de son luxueux SUV Nexo à pile à combustible, plus puissant (209 chevaux) et doté de plus d’autonomie que la version précédente (700 km contre 666). Argument choc : le réservoir se remplit en cinq minutes comme à la pompe à essence. Et l’hydrogène est bon marché : 12 euros le kilo, une quantité suffisante pour parcourir 100 kilomètres selon le coréen.
Mais le tout hydrogène rencontre encore des obstacles. Notamment le prix (plus de 80.000 euros pour le Nexo) et le manque d’infrastructures de recharge (pour l’heure, 40 stations en France).
Cela n’empêche pas certains de phosphorer, à l’image de Renault. Emblème, son étonnant démo-car chargé d’incarner le futur de la marque, est ainsi équipé d’une motorisation “bi-énergie”. “C’est une voiture électrique à batterie qui fait appel à une pile à combustible”, détaille Pascal Tribotte, innovation project manager chez Renault. La familiale est équipée d’un petit accu de 40 kWh offrant une autonomie de 300 kilomètres, suffisant pour les trajets du quotidien. Pour les voyages au long cours, la pile à combustible, qui produit de l’électricité par réaction chimique entre l’hydrogène et l’oxygène de l’air, épaule la batterie en permanence pour prolonger son autonomie. D’après Renault, un tel système permettra de parcourir 1.000 kilomètres en ne s’arrêtant que deux fois. Et uniquement pour faire le plein d’hydrogène. Des stations, vite !
9. Le cockpit activé par le regard
Les équipementiers s’en donnent à cœur joie pour imaginer le cockpit du futur. Forvia parie notamment sur l’activation des surfaces : les portières ou la console centrale se transformeront par exemple en sources de chaleur. Le procédé fait appel à une technologie de panneaux radiants intégrés dans les pièces de l’habitacle qui créent un effet cocon à l’intérieur de la voiture.
Pour le confort et la sécurité, le conducteur pourra choisir certaines fonctions par le regard et les activer en effleurant une touche, sans quitter la route des yeux. Une caméra discrète ira jusqu’à identifier l’iris du chauffeur pour valider l’achat de nouvelles options téléchargées pour le véhicule. Plus globalement, elle surveillera en continu la position des occupants pour que, en cas d’accident, les airbags soient le plus efficaces possible en ajustant la quantité de gaz insufflée dans le ballon. Autant d’anticipations, espèrent les ingénieurs, qui contribueront à réduire le nombre des victimes sur la route.
Une caméra discrète ira jusqu’à identifier l’iris du chauffeur pour valider l’achat de nouvelles options téléchargées pour le véhicule.
10. Voler au-dessus de la route
Pour vanter l’efficacité de son nouveau système de suspension révolutionnaire, le chinois Nio s’est fendu d’une vidéo qui a fait un tabac sur internet. On y voit le dernier modèle de la marque, la berline haut de gamme ET9, avec une pyramide de 14 coupes de champagnes posée sur le capot. Alors que l’imposante voiture de 5,32 mètres de long avance sur une route parsemée de dos-d’âne, aucun verre ne valse, pas une goutte ne déborde… Ce tour de force est dû à une technologie baptisée SkyRide, conçue par l’équipementier américain ClearMotion.
Chaque roue est équipée d’un amortisseur hydraulique doté d’un moteur électrique qui comprime le fluide de la chambre pneumatique. Le système de suspension active piloté par ordinateur réagit à la milliseconde et soulève ou abaisse la carrosserie en fonction des défauts de la route. Résultat : ces derniers sont gommés comme par magie et les occupants de la berline ont la sensation de se déplacer sur un tapis volant ! Selon les experts, la Nio ET9 remplit mieux la mission que la Porsche Panamera, jusqu’à présent “la” référence en matière de confort de suspension.

Jean Botella (Les échos du 1/5/2025)