Des débuts laborieux pour le camion électrique

Le camion électrique est en croissance, mais reste peu présent sur les routes belges. Le parc n’atteint pas les 200 camions, sur un total de plus de 90.000 poids lourds.
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Les fabricants de camions mettent les bouchées doubles pour sortir des camions électriques. Ils coûtent trois fois plus cher que les véhicules diesels, leur équation économique est encore incertaine. Seuls quelques grands opérateurs s’y risquent, tels Ninatrans ou Colruyt.

Le camion électrique ? Il existe, mais les chances d’en croiser en Belgique sont encore rares. Sauf parfois des Volvo ou des Scania de Colruyt, des Volvo de Ninatrans, ou un 16 tonnes Renault de bpost. Le parc national actuel en compte moins de 200, alors qu’il y a plus de 200.000 voitures électriques. Pourtant tous les constructeurs de camions – Volvo, Mercedes, Renault, Scania, Daf ou Man – en proposent, avec plusieurs tonnes de batteries et des autonomies théoriques en croissance, dépassant parfois les 400 km. Ils ne sont plus limités à de courtes distances.

“Nous ne sommes pas mariés au pétrole”

“Les transporteurs sont poussés dans le dos par les fabricants de camions, eux-mêmes soumis à une pression réglementaire pour réduire les émissions de 45% d’ici 2030 (vs niveau 2019) dans l’UE, une mission impossible, avance Michaël Reul, secrétaire général de l’UPTR, une fédération de transporteurs routiers. Nous ne sommes pas mariés au pétrole, mais il y a encore beaucoup de problèmes et d’incertitudes sur l’électrique, sur la recharge, la rentabilité de ce type de véhicule, la valeur de revente. Leur tarif est actuellement trois fois plus élevé qu’un diesel et on arrive aisément à 300.000 euros pour un tracteur routier contre environ 110.000 euros pour un diesel.”

C’est pire pour un camion à hydrogène, dont on entend moins parler aujourd’hui : jusqu’à six fois le prix d’un diesel selon Colruyt, qui teste aussi ce type de véhicule zéro émission avec de l’hydrogène vert produit au départ d’éoliennes du groupe.

Ces éléments expliquent la timidité des entreprises pour l’électrification, alors que les constructeurs proposent des gammes étoffées de camions électriques et de la consultance. Mercedes sort bientôt un modèle très long courrier, l’eActros 600, qui annonce 500 km d’autonomie avec 100% de charge pour un camion de 40 tonnes. La marque allemande promet une durée de vie de batterie jusqu’à 1,2 million de km. Les concurrents ne sont pas en reste. Tesla pourrait se profiler en Europe avec son Semi, toujours en test aux Etats-Unis, avec une autonomie annoncée jusqu’à 800 km. Aucune annonce officielle n’a été faite, mais Tesla recrute pour ce véhicule.

Un coût au km discuté

L’argumentation numéro un des constructeurs est le coût d’utilisation total (TCO, total cost of ownership). Le pari est que le prix d’achat actuel élevé pourrait être quasi compensé par le coût moindre de l’énergie et de la maintenance. Les camions électriques sont aussi une réponse aux zones de basses émissions de certaines villes, et aux souhaits de certains clients qui entendent intégrer le transport dans leurs projets de réduction d’émissions carbone.

Pour l’ONG Transport&Environment, la “décarbonation totale de la flotte des camions de l’EU est cruciale pour arriver à la neutralité en 2050, et ce n’est possible qu’en passant aux camions zéro émission”, indique le site de l’organisation. Elle publie des études démontrant que les camions électriques seront meilleur marché et aussi opérationnels que des diesels d’ici 2035.

Les transporteurs ne demandent qu’à croire toutes ces affirmations. “Quand je fais les calculs, le TCO (coût au km, ndlr) d’un électrique reste encore plus élevé que celui d’un diesel”, avance Benny Smets, CEO de Ninatrans, un transporteur basé à Louvain et qui gère une flotte de 300 camions, dont 25 en LNG (gaz naturel), et 25 en HVO (diesel à base d’huiles végétales). “La difficulté, c’est d’obtenir un tarif qui compense le surcoût auprès des clients. J’y arrive avec les camions utilisant le carburant HVO (diesel biocarburant), mais en électrique c’est plus compliqué”, précise notre interlocuteur.

Surtout en Flandre, chez les grands transporteurs

Si beaucoup de clients souhaitent un transport à émissions réduites, peu acceptent en revanche de payer un surcoût, surtout quand ils lisent dans la communication des fabricants de camions que le TCO est favorable. Volvo parle ainsi d’à peine 1% de surcoût.

En conséquence, les achats sont encore très réduits. “Les marques d’intérêt proviennent surtout de la Flandre”, indique Veerle Capiaux, porte-parole de Daimler Trucks Belgique. Les achats actuels sont plutôt effectués par des transporteurs d’une certaine taille, dans le cadre de tests pilotes. Les entreprises en Flandre bénéficient en outre d’une aide à l’achat des camions électriques qui est inexistante dans les autres Régions. Le péage kilométrique est nul en Flandre et à Bruxelles.

“Sans ces aides, il serait impossible de se lancer dans l’électrique, affirme Benny Smets. Je crois dans l’électrique, pour couvrir la Belgique, moins pour l’international. J’ai attendu le dernier moment pour en commander.” L’entreprise utilise deux camions Volvo affectés à DHL, un partenaire de longue date, pour des tournées en Belgique. Deux autres poids lourds d’une nouvelle marque devraient entrer dans la flotte.

Le groupe Colruyt, très engagé dans la transition énergétique, recourt à des camions électriques Volvo FM electric et des Scania réfrigérés électriques. Le service de course en ligne Collecte&Go est en train de convertir sa flotte de camionnettes CNG (gaz naturel) à l’électrique. Le groupe vise un transport zéro émission d’ici 2035.

“Si beaucoup de clients souhaitent un transport à émissions réduites, peu acceptent en revanche de payer un surcoût” – Michaël Reul

L’expérience de Colruyt

Colruyt ne cesse de prendre de l’expérience dans ce domaine. Un camion électrique de 44 tonnes de première génération approche les 100.000 km. “Il a cependant fallu adapter nos processus opérationnels en fonction des différentes contraintes (autonomie, poids, recharge, finances)”, indique Frederik Muylaert, manager de division transport de Colruyt, qui se déclare néanmoins “satisfait de ses compétences.”

“Avec une autonomie jusqu’à 300 km, nous couvrons une grande partie de nos magasins”, estime Frederik Muylaert. La recharge actuelle, à 250 kW, permet de récupérer 100 km durant la pause légale de 45 minutes.

“Il y a toujours quelques contraintes financières et opérationnelles”, continue Frederik Muylaert. Les camions électriques et à hydrogène pèsent jusqu’à trois tonnes supplémentaires, “ce qui demande davantage d’attention pour la répartition du poids sur les différents axes du camion.” Colruyt observe que l’autonomie et la vitesse de recharge s’améliorent sur les derniers camions adoptés, et continue à en acquérir.

Ces expériences ne concernent guère les petits transporteurs. “La moyenne en Belgique est estimée à sept camions par entreprise”, souligne Michaël Reul. Pour les petites sociétés, l’achat d’un camion électrique reste un pari très risqué, surtout au vu du prix d’acquisition. “Cet engin présente un souci de préfinancement”, relève Michaël Reul. L’entreprise doit avancer un premier montant plus élevé pour lancer un contrat de leasing, “or nous cherchons précisément à l’UPTR à trouver des moyens d’améliorer les liquidités des transporteurs”.

Manque de bornes dans les dépôts

Enfin, il reste l’aspect opérationnel. Les bornes de recharge sont encore rares. Il y a des initiatives comme les stations Milence, pour équiper des couloirs routiers à travers l’Europe avec des stations adaptées, car les stations pour autos ne sont pas configurées pour accueillir des camions. Mais la recharge en route ne concerne qu’une partie du marché du transport. “Le travail d’un transporteur belge consiste surtout à livrer ici et là sur le territoire du pays, la recharge ne se fait pas en route dans une station, mais plutôt dans les dépôts, pendant le chargement ou la livraison. C’est là que les bornes, surtout rapides, manquent. C’est une infrastructure à installer.”

L’utilisation dépendra des relations avec les clients. “Nous avons un accord avec notre client dans le dépôt duquel nous laissons recharger le camion la nuit”, indique Benny Smets, de Ninatrans. Mais cela n’est pas encore possible partout. “Nous équipons notre site central, mais ce sont des investissements substantiels, avec une nouvelle cabine électrique”, précise-t-il encore.

“Je ne pense pas que nos 300 camions seront tous un jour électriques. Il y aura sans doute plusieurs solutions : LNG, HVO, hybride diesel, sans doute l’électrique”, conclut Benny Smets. Qui précise : “je suis pourtant un adepte de la voiture électrique, je roule en Mercedes EQS, avec une autonomie de 700 km”.

Il espère que les nouvelles générations de modèles apporteront une réponse plus claire en autonomie et en coût d’utilisation. Le jeu des incitants pourrait donner un coup de pouce : aide à l’achat, à l’usage avec un tarif favorable de péage kilométrique. Mais là aussi, déjà, les régimes varient selon les régions et les pays.

Milence, réseau de bornes pour camion
Pour les trajets au long cours, un réseau de hub de recharge est en construction: Milence. Il compte actuellement trois stations, à Venlo (Pays-Bas), dans le port d’Anvers et en Normandie et 10 autres s’ajouteront à la liste d’ici la fin 2024. Milence a été fondé par des fabricants de camions (1), qui investissent 500 millions d’euros pour équiper des stations en Europe, le long de couloirs forts fréquentés, avec 1.700 prises d’ici 2027.
L’objectif de ce réseau est de mettre en place, outre des bornes de 400 kW (actuellement, les autos acceptent rarement plus de 250 kW), des bornes d’une puissance encore inconnue, de l’ordre de 1.000 kW (norme MCS), pour faire le plein d’électrons en 45 minutes durant la pause réglementaire (qui intervient toutes les 4h30 de routes) et gagner 300 à 400 km. Le tarif est de 0,399 cents par kWh HTVA.
Milence éprouve des difficultés à développer son réseau car l’alimentation électrique n’est pas toujours suffisante. “Dans certains pays, nous avons du mal à trouver des emplacements, car nous n’avons pas la garantie que la capacité électrique sera disponible et évoluera selon nos besoins”, nous explique Koen Noyens, head of public affairs pour Milence. Le souci se pose notamment aux Pays-Bas et dans les pays nordiques. Milence cherche à convaincre les distributeurs de courant de mieux prendre en compte le camion dans leurs plans d’investissement. L’entreprise cherche aussi à obtenir que les tarifications ne soient pas dopées par les pointes de consommation, comme c’est de plus en plus le cas.
(1) Volvo, Daimler Truck, Traton (groupe VW, regroupant Man, Scania et Navistar).


Retrouvez l’ensemble des articles de notre dossier voitures électriques

Partner Content