Bientôt l’ère des utilitaires électriques?
Les voitures électriques sont en forte hausse au sein des flottes d’entreprises, mais qu’en est-il des véhicules utilitaires? On fait le point sur ce marché.
Les utilitaires sont partout dans nos villes. Mais qu’il s’agisse du petit camion de livraison ou de la fourgonnette du plombier, la plupart d’entre eux carburent encore au gazole, répandant CO2, particules fines, oxydes d’azote et autres polluants dans l’air ambiant de nos cités. Pour dépolluer l’atmosphère urbaine et réduire les émissions de carbone du secteur du transport, des solutions existent. Notamment les véhicules utilitaires électrifiés. Mais ils sont loin d’avoir percé…
Les utilitaires (légers et lourds) représentent environ 12,5% du parc routier en Belgique: sur un peu moins de 8 millions de véhicules motorisés en circulation, dont près de 6 millions de voitures, on comptait l’an dernier 868.994 utilitaires légers (masse maximale autorisée de 3,5 tonnes, donc essentiellement les camionnettes et petits camions accessibles avec le permis de conduire B ) et 147.537 utilitaires lourds (plus de 3,5 tonnes).
Sur le marché des gros camions, 98% des véhicules roulent au diesel, 1,8% au gaz naturel et 0,2% sont électriques. Parmi les utilitaires légers, on dénombre 90% de modèles diesel, 6% à essence et seulement 4% d’électriques. Mais pour Christophe Dubon, porte-parole de la Febiac, fédération représentant notamment les importateurs belges de véhicules utilitaires, “l’électrification va s’accélérer car l’Europe a décidé que le marché neuf des utilitaires légers doit réduire ses rejets de CO2 de 15% en 2025 et de 50% en 2030, par rapport à la situation de 2021. Même tendance attendue pour les utilitaires lourds, mais avec un peu de délai par rapport aux légers.” Le zéro émission devra être atteint en 2035 pour les utliltaires légers neufs.
Image verte et crainte des LEZ
L’électrification est aussi poussée par la crainte des futures zones de basse émission (LEZ) dans les grandes villes: on compte déjà des LEZ à Bruxelles, Anvers et Gand. D’autres cités devraient être concernées à l’avenir, notamment en Wallonie. Et à terme, seuls les véhicules électriques pourront circuler dans les LEZ. “Malheureusement, il existe trois cadres législatifs LEZ en Belgique: un dans chaque Région. Et les règles et calendriers ne sont pas identiques. Difficile de s’y retrouver dans ce labyrinthe”, déplore la Febiac qui plaide pour une harmonisation des règles.
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Pour ne pas être prises de court, certaines grandes entreprises électrifient déjà leur parc d’utilitaires. Cette démarche s’inscrit aussi dans leur politique globale de réduction de CO2 et dans leur volonté de se donner une image plus “verte”. C’est notamment le cas chez bpost, qui compte l’un des plus grands parcs d’utilitaires du pays, avec près de 20.000 véhicules, dont 10.000 pour livrer le courrier et les colis à domicile.
“La stratégie de bpost est de remplacer tous les véhicules de livraison du ‘dernier kilomètre’ par des modèles ‘verts’ d’ici à 2030. Cela passe par des camionnettes électriques ou à carburant alternatif, mais aussi par des vélos électriques avec remorque. Pour les véhicules longue distance du ‘premier kilomètre’, l’objectif est de remplacer la flotte par des camions à énergie alternative d’ici à 2030 également”, explique Laura Cerrada Crespo, porte-parole de bpostgroup.
L’an dernier, l’entreprise a acquis plus de 500 nouvelles camionnettes électriques, 46 camions GNL (gaz naturel liquéfié) et 275 vélos et remorques électriques. Les commandes massives de véhicules électriques se poursuivent cette année.
Coûteux à l’achat, économes à l’usage
Un utilitaire électrique est-il financièrement intéressant? Pas à l’achat: le prix reste nettement plus élevé que celui d’un modèle thermique. Il n’y a pas non plus d’avantage fiscal particulier, puisque les véhicules utilitaires thermiques classiques sont eux aussi déductibles à 100%. Par ailleurs, pour faciliter les recharges électriques et réduire leur coût, il faut investir dans des bornes, comme l’a fait bpost: “les plus grandes adaptations pour rouler en électrique concernent l’infrastructure de recharge: nous rechargeons sur nos propres sites et devons donc investir dans des cabines à haute tension et bornes de recharge. Mais ces investissements et le coût de leasing plus élevé des véhicules électriques sont compensés par des coûts de carburant et d’entretien plus faibles”, assure la société.
Comme les véhicules électriques sont plus lourds que les autres, la suspension et les pneus souffrent davantage.
La maintenance d’un véhicule électrique est en effet moins coûteuse que celle d’un modèle à moteur thermique (pas d’huile, de filtres, de courroie, d’embrayage, de boîte de vitesses, etc.). Et le moteur électrique est très fiable car il y a peu de pièces en mouvement (pas de pistons, de soupapes, de turbo, etc.). Par contre, comme les véhicules électriques sont plus lourds que les autres, la suspension et les pneus souffrent davantage, surtout en conduite musclée (or, on le sait, les livreurs sont toujours pressés…).
On ne connaît pas non plus la durée de vie exacte de la batterie. Mais la plupart des constructeurs la garantissent sur une période de huit ans ou 160.000 km. Si, durant cette période, la capacité de la batterie descend sous un certain niveau (souvent fixé à 70%), elle sera remplacée gratuitement. Au bout du compte, si l’on roule intensivement, le coût total (TCO) d’un utilitaire électrique peut en effet être moins élevé que celui d’un véhicule thermique. Mais ce n’est pas systématique…
De plus en plus de modèles
Quels sont les utilitaires électriques disponibles en Belgique? Mettons ici de côté le marché spécifique des gros camions, où l’offre électrique reste marginale, pour nous concentrer sur les utilitaires légers. Là, les modèles à pile sont de plus en plus nombreux.
On en trouve de différentes tailles et de presque toutes les marques. Il y en a chez des grands acteurs comme Renault (Kangoo, Master et bientôt Trafic), Ford (Transit et bientôt d’autres modèles plus compacts), Mercedes (Vito, Sprinter), Volkswagen (ID. Buzz, Crafter), Fiat (Doblo, Scudo, Ducato), Citroën (Berlingo, Jumpy, Jumper), Peugeot (Partner, Expert, Boxer), Opel (Combo, Vivaro, Movano), Toyota (Proace), Nissan (Townstar), mais aussi chez une marque chinoise plus confidentielle comme Maxus (eDeliver 3 & 9, pick-up T90).
Chez Renault, leader du marché belge des véhicules utilitaires, Karl Schuybroek, directeur de la communication, remarque que “le mix de ventes des versions électriques reste encore assez faible. Surtout sur des gros modèles comme le Master. Sur les petits utilitaires, l’électrique prend mieux: pour le Kangoo Van, nous avons vendu l’an dernier 144 exemplaires électriques contre 800 thermiques. Et depuis le début de cette année, la part de Kangoo électriques est en hausse, avec 68 exemplaires contre 166 thermiques”. Soit tout de même près de 30% de commandes pour la version électrique!
“Nous constatons en pratique que seulement 30 à 40% de la batterie est utilisée quotidiennement.”
Et l’autonomie? Elle est bien sûr plus limitée que celle d’un utilitaire diesel, mais pour les livraisons en ville et sur courtes distances, c’est souvent suffisant. “L’autonomie n’est pas un problème, nous dit-on chez bpost. Nous constatons en pratique que seulement 30 à 40% de la batterie est utilisée quotidiennement. Cela nous permet de charger seulement un jour sur deux.” Il est vrai que les utilitaires électriques du marché offrent entre 170 et plus de 400 kilomètres d’autonomie théorique selon le modèle.
ID. Buzz: l’éco-“trendy”
Pour savoir si un utilitaire électrique est agréable à rouler, nous avons pris le volant de deux camionnettes à pile, à commencer par le très “tendance” ID. Buzz Cargo. Il se donne des airs de Combi T1 des fifties, avec son gros écusson VW collé sur le nez et une peinture bi-ton sympathique (mais optionnelle, comme la plupart des autres équipements…). Comme son aïeul, le buzz porte son moteur dans le dos. Un moulin puissant (204 ch), qui tourne sans bruit ni fumée. De quoi rendre l’engin extrêmement apaisant et doux au quotidien (boîte automatique à rapport unique).
Outre les belles performances, on apprécie aussi la tenue de route très équilibrée (on n’a jamais l’impression de conduire un engin de 2,35 tonnes!) et l’excellent rayon de braquage. Le volume de chargement est également très honnête (3,9 mètres cubes). Par contre, la grosse batterie (près de 500 kilos) limite la charge utile (650 kilos contre jusqu’à plus de 1.000 pour un VW Transporter diesel de gabarit similaire). Le poids tractable est également limité (1.000 kilos, contre jusqu’à 2.500 pour un Transporter diesel).
Quant à l’autonomie, VW annonce jusqu’à 423 kilomètres en théorie et nous avons pu en boucler 365 en pratique durant cet essai (consommation moyenne de 21 kWh/100 km). Mais ce sera nettement moins en hiver… La batterie de 77 kWh utiles se recharge en 7h30 sur borne AC 11 kW et en un peu plus de 30 minutes sur borne rapide DC à 170 kW.
Reste bien sûr le prix, très salé: à partir de 50.000 euros hors TVA, contre environ 40.000 pour un Transporter diesel 204 ch à boîte automatique (ou 31.000 euros pour le Transporter diesel de base 110 ch à boîte manuelle). Même en leasing, où les coûts d’entretien moins élevés entrent pourtant en ligne de compte, l’ID.Buzz est plus cher: 980 euros/mois (pour cinq ans/100.000 km chez Lease Plan) contre 790 euros pour un Transporter diesel 204 ch automatique (ou 640 euros pour le diesel 110 ch de base).
e-Transit: le costaud muet
Il n’y a pas que les petits colis dans la vi(ll)e. Chez Ford, on voit l’électrique en grand: l’e-Transit est disponible en deux hauteurs et trois longueurs différentes, offrant jusqu’à 15,1 mètres cubes d’espace de chargement. C’est autant que dans les versions diesel. Par contre, la lourde batterie de 67 kWh nets réduit la charge utile du véhicule, qui embarque au maximum 1.758 kilos de marchandises contre jusqu’à 2.250 kilos pour les modèles diesel. Dans la cabine de conduite, rien ne change, sauf qu’il y règne un grand silence: aucun bruit de moteur! C’est franchement apaisant, surtout quand on passe huit heures par jour au volant. D’autant que la boîte automatique est d’une extrême douceur. Ce silence, associé au puissant moteur (184 ou… 269 ch! ) fait que l’on roule souvent plus vite qu’on ne le pense.
Concernant l’autonomie, Ford annonce jusqu’à 317 kilomètres avec une charge. En pratique, nous avons relevé entre 200 et 250 kilomètres. La consommation peut descendre à 25 kWh/100 km en ville, mais dépasse les 30 kWh/100 km à 120 km/h sur autoroute. Cette camionnette à pile reste donc taillée pour de relativement courtes distances entre deux charges (qui durent entre 45 minutes et 8 heures selon la borne). Mais elle soigne le confort de ses utilisateurs: il est possible de préchauffer l’habitacle à distance lorsque le véhicule est en charge. On peut aussi disposer en option de deux prises électriques (de 2.300 watts) dans la soute, pour recharger les outils en pompant sur la batterie centrale, donc sans utiliser de générateur externe. Bien vu!
Côté tarif, l’e-Transit (à partir de 56.825 euros hors TVA) coûte près de… 18.000 euros de plus qu’une version diesel automatique similaire! Un surcoût très difficile à amortir. Même en leasing, le Transit électrique (à partir de 927 euros/mois pour le 184 ch sur cinq ans/100.000 km) est nettement plus cher qu’un diesel (638 euros pour le diesel 170 ch automatique). On avoue d’ailleurs chez Ford avoir quelques difficultés à écouler la version électrique du Transit, même si DHL vient de s’en offrir 100 exemplaires. Un achat sans doute motivé avant tout par une question d’image. Si les grosses entreprises peuvent se permettre un tel investissement, c’est plus compliqué pour les PME, dont les utilitaires continuent encore massivement à rouler au gazole, faute d’incitants spécifiques de la part de l’Etat pour passer à l’électrique.
Les plus et les moins de l’utilitaire électrique
+ Silence de conduite réellement plaisant et apaisant
+ Coûts d’entretien limités
+ Coûts de carburant limité (si infrastructure de recharge en interne)
+ Pas de pollution locale à l’usage
– Toujours nettement plus cher à l’achat qu’un modèle thermique
– Pas d’avantages fiscaux ni d’incitants spécifiques
– Charge utile plus faible
– Autonomie encore parfois problématique (surtout en hiver)
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