Alpine, la faire-valoir à Renault pour tirer le groupe vers le haut
En manque de rentabilité, la marque premium de Renault élargit sa gamme, multiplie les points de vente et passe à l’électrique pour conquérir de nouvelles parts de marché. La voie royale?
Fin mai, plus de 1.000 Alpine de toutes les époques étaient rassemblées le long de la plage de Dieppe pour célébrer les 100 ans du fondateur de la marque, Jean Rédélé. C’est là que tout a commencé en 1955. Jean, pilote et concessionnaire Renault à Dieppe, décide de créer sa propre voiture: une sportive basée sur la Renault 4CV. L’Alpine A106 venait de naître. Mais c’est la fameuse Berlinette A110 (1961-77) qui fera la renommée de la marque, par son look et ses performances en compétition. Puis viendront des années plus sombres, jusqu’au rachat par Renault, en 1973. En 1995, Alpine ferme carrément boutique. Mais Renault conserve les droits de la marque et la fait renaître fin 2017 en lançant la nouvelle A110 qui connaît un joli succès en surfant sur la vague de la nostalgie, avec un look rétro mais des qualités dynamiques bien à jour.
Entre 2020 et 2021, la marque a ouvert 25 nouveaux points de vente, pour un total de 100 concessions dans le monde.
Valoriser le passé
Alpine doit servir de faire-valoir à Renault pour tirer le groupe vers le haut et l’aider à augmenter sa rentabilité. La marge opérationnelle de ce dernier était en effet de 3,6% du chiffres d’affaires en 2021, le but étant d’atteindre au moins les 5% d’ici à 2025. A cette fin, le patron du groupe, Luca de Meo, veut développer la gamme mais compte d’abord tirer le meilleur parti de l’actuel coupé A110. Pour un tel modèle de niche, les ventes avaient bien démarré en 2018 et 2019, avec respectivement environ 3.000 et 4.000 exemplaires par an, avant de s’effondrer en 2020 (à peine plus de 1.000 exemplaires). L’an dernier, les ventes sont remontées à près de 3.000 unités et devraient encore croître cette année.
Pour éviter l’essoufflement, les dirigeants veulent entretenir la flamme en optant notamment pour la technique des séries spéciales et limitées, qui permettent également de gonfler la marge opérationnelle. C’est ainsi qu’ont débarqué respectivement en mai et juin les séries “Jean Rédélé 100 ans” (100 exemplaires) et “Tour de Corse” (150 exemplaires) qui se sont entièrement vendues en quelques heures seulement.
La marque compte aussi sur son département de personnalisation: l’Atelier Alpine. Certes, on est loin de l’individualisation extrême proposée par des marques comme Rolls-Royce ou Ferrari, chez qui les demandes les plus folles du client sont réalisables, mais l’acheteur Alpine a néanmoins le choix entre 22 teintes extérieures spécifiques évoquant le passé de la marque et disponibles uniquement à 110 exemplaires chacune. Là aussi, Alpine crée de la rareté pour mieux gagner. La marque dispose également d’une gamme de produits dérivés griffés Alpine, avec notamment de la maroquinerie et des vêtements.
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La Formule 1 comme vitrine
Pour valoriser l’image de la marque, les dirigeants misent aussi sur sa présence au sommet du sport automobile. L’an dernier, le nom Alpine a débarqué en Formule 1, puisque le “Renault F1 Team” a été rebaptisé “Alpine F1 Team”. En fait, les activités d’Alpine Cars, de Renault Sport Cars (RS) et de Renault Sport Racing sont désormais réunies en une seule entité sous le nom Alpine. La marque est également active en courses d’endurance, avec notamment une présence aux mythiques 24 Heures du Mans. Ces deux disciplines ont été choisies pour leur intérêt médiatique auprès du grand public. Difficile toutefois de jauger les retombées précises sur les ventes. Il est cependant vrai que le sport automobile, et la Formule 1 en particulier, peut contribuer à faire connaître la marque sur les différents marchés mondiaux.
Le but des dirigeants est précisément de dépasser les frontières françaises et européennes pour élargir la présence d’Alpine à l’international. Actuellement, déjà près de la moitié des ventes sont réalisées en dehors de l’Hexagone. Entre 2020 et 2021, la marque a ouvert 25 nouveaux points de vente, pour un total d’environ 100 concessions dans le monde. Et on devrait en compter 50 de plus à la fin de cette année. Si les points de vente actuels sont principalement répartis en France et en Europe, le but est d’implanter la marque davantage hors du continent.
A noter que le réseau belge s’agrandit lui aussi cette année: aux deux centres exclusifs Alpine actuels (à Bruxelles et Anvers) viennent s’ajouter des corners spécifiques dans les concessions Renault de Gand, Turnhout et Marche-en-Famenne. On précisera que le Belux est très important pour Alpine: c’était l’an dernier le quatrième marché mondial de la marque (avec 130 voitures vendues) derrière la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Cette année, cette quatrième place nous est pour l’instant soufflée par le… Japon, preuve que l’ouverture hors Europe est en cours.
Reste que la marque n’est toujours pas rentable. L’objectif est qu’elle le devienne en 2025, en incluant les investissements dans le sport automobile. Pour cela, il faut impérativement élargir la gamme et la faire vivre avec son temps, c’est-à-dire l’électrifier. La firme a donc officiellement annoncé qu’elle passera au tout électrique à l’horizon 2025 (date à laquelle l’A110 actuelle à essence quittera le catalogue). Tant pis pour les puristes… Alpine a déjà confirmé le lancement de trois modèles à pile d’ici à 2026: d’abord une citadine (version sportive de la future R5 électrique) en 2024, puis un SUV-Coupé baptisé X-Over GT en 2025 et ensuite le futur coupé A110. Cette Berlinette électrique sera conçue en partenariat avec Lotus. Et donc en partie avec des fonds chinois puisque Lotus a été rachetée en 2017 par le groupe Geely, qui détient 51% des parts. On ne sait pas encore nous dire où ce futur coupé électrique Alpine sera produit mais probablement chez Lotus, en Grande-Bretagne.
La citadine sportive, elle, pourrait être produite dans l’usine Renault de Douai, dans le nord de la France. Quant au SUV-Coupé, le groupe a confirmé qu’il sera produit à Dieppe. L’usine historique de la marque est donc sauvée… Une bonne nouvelle pour les 398 employés (dont 103 intérimaires) du site et pour les sous-traitants locaux.
Mais les défis restent nombreux pour pérenniser le futur de la marque. Est-ce que la sauce électrique prendra auprès des clients Alpine? Pas sûr. La légèreté et l’agilité ont toujours été les leitmotivs des produits Alpine. Or, un véhicule électrique est par nature plus lourd et moins sportif qu’un thermique. Et un SUV, même “coupé”, n’a rien à voir avec l’esprit Alpine bien que les têtes pensantes de la marque tentent de nous convaincre du contraire. Mais bon, la marque Porsche a bien été sauvée par un SUV (le Cayenne)… Et la petite enseigne française peut se réjouir de faire l’objet de tant d’attentions de la part de la maison mère: chez Renault, on coupe dans la gamme en supprimant les modèles non rentables (la berline et le break Talisman ont quitté le catalogue et l’Espace va suivre). Tout le contraire chez Alpine…
Projet de grande ampleur
L’usine Alpine de Dieppe a été construite en 1969. Suite au succès de la Berlinette A110, l’atelier familial était devenu trop petit et il a fallu construire une véritable chaîne de montage. Depuis, le site a encore grandi mais les bâtiments originels sont toujours là, posés à quelques encâblures du bord de mer. On pénètre d’ailleurs dans l’enceinte sous les cris des mouettes et l’odeur des embruns iodés. L’usine, qui vient d’être rebaptisée “Manufacture Alpine Dieppe Jean Rédélé”, conserve aussi une taille humaine. Bien sûr, il y a plusieurs robots, mais ils vivent en harmonie avec les humains (dont 15% de femmes). On est également loin des cadences infernales des chaînes de montage des grands constructeurs généralistes. Ici, l’usine tourne de 7 à 15 heures avec une seule équipe et seulement 16 voitures sortent chaque jour du site, contre, par exemple, 35 toutes les… heures (soit plus de 100.000 par an) dans l’usine voisine de Sandouville où sont produits des véhicules utilitaires Renault. A Dieppe, les 250 opérateurs qui travaillent sur les chaînes passent jusqu’à 25 minutes penchés sur chaque voiture, contre seulement 1 à 2 minutes dans une usine moderne traditionnelle.
Mais cette usine semi-artisanale adoptera bientôt un autre rythme. Actuellement, le site ne produit que la Berlinette A110, à raison d’environ 3.000 unités par an. Mais dès 2025, cette Berlinette à essence prendra sa retraite et l’usine produira un nouveau SUV coupé électrique. L’objectif serait d’en fabriquer entre 20.000 et 25.000 unités par an. Il faudra totalement réaménager les chaînes de montage et peut-être même faire tomber des murs pour agrandir l’espace de travail. Il faudra aussi bien sûr former le personnel actuel aux techniques spécifiques de la voiture électrique et de ses batteries qui fonctionnent sous haute tension. Les dirigeants s’attendent également à embaucher de nouveaux intérimaires, voire une poignée de salariés supplémentaires, si le succès est un rendez-vous. Un projet de grande ampleur, nécessaire pour assurer la survie du site historique de la marque.
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