L’expatriation, nécessité pour l’entreprise?
Les entreprises ont recours à l’expatriation pour deux raisons principales : renforcer l’expertise et miser sur un talent. Son coût étant parfois deux fois plus élevé que celui d’un emploi local, l’expatriation doit toutefois être mûrement réfléchie par une entreprise. Elle peut en effet se solder par un échec !
Avec la mondialisation et la multiplication des filiales, l’expatriation peut être considérée comme indispensable pour toute entreprise qui souhaite s’internationaliser. Ce n’est pas forcément le cas. En Belgique, aucune statistique officielle ne recense le nombre de délocalisations professionnelles, impossible donc de savoir si ce nombre augmente ou diminue. L’intérêt pour l’expatriation reste toutefois fonction de la stratégie de développement de l’entreprise. Et, malgré le contexte économique actuel, elle est toujours envisagée par certaines entreprises comme une nécessité.
” Une entreprise aura recours à l’expatriation pour plusieurs missions spécifiques, évoque Jocelyne Robert, professeur en management à l’ULiège. Il peut s’agir de l’ouverture d’une filiale, de la gestion d’une activité de production, du suivi de l’application de la stratégie de l’entreprise, de l’aide à la gestion des activités, de la direction d’un département fonctionnel ou encore de l’acquisition de nouvelles compétences. ”
Selon les responsables des ressources humaines interviewés lors de cette enquête, deux raisons principales poussent une entreprise à expatrier son personnel : renforcer l’expertise, qui n’existe pas forcément dans le marché vers lequel l’entreprise se tourne, ou alors miser sur un talent en lui offrant un développement international. Mais l’expatriation pour une entreprise doit être mûrement réfléchie : un expatrié coûte environ deux voire trois fois plus cher qu’un contrat équivalent belge. Au salaire, il faut en effet éventuellement ajouter une prime de dépaysement, des frais de remboursement de déménagement, la prise en charge des formalités administratives, au moins un retour par an dans la famille ou l’intervention dans les frais de scolarité. ” Ces négociations se font toujours avant le départ de la personne “, ajoute Jocelyne Robert. Tout l’art, pour l’entreprise, est de minimiser les coûts tout en offrant un niveau de vie suffisant pour que l’expatrié réussisse sa mission.
Plus de 50% des expatriés finissent leur mission sans répondre de manière efficace aux tâches demandées.
” Il n’est pas toujours nécessaire pour une entreprise d’expatrier ”
Contrairement aux idées reçues, la mondialisation ne booste pas dans tous les cas l’expatriation. Certaines entreprises, même dans des domaines pointus, optent en effet pour la localisation de contrats. ” Sur les 4.200 personnes qui évoluent chez TPF dans pas moins de 49 filiales à travers le monde, nous n’avons pas d’expatriés belges, avance Thomas Spitaels, directeur de TPF, entreprise d’ingénierie belge. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas recours à l’expatriation. Entre 5 à 10% de notre personnel sont des personnes expatriées. Nous avons par exemple des ingénieurs portugais ou espagnols qui s’envolent vers d’autres pays. Le coût du travail étant moins cher dans les pays de la péninsule ibérique, l’expatriation de ces talents revient quasi à la moitié de ce que coûterait celle d’un expert belge. Nous ne pourrions pas nous vendre à l’international si nous avions recours à des expatriés belges. Les ingénieurs belges étant relativement difficiles à trouver, ils se concentrent sur les projets dans notre pays. ”
Pour Etienne Jacques, responsable des ressources humaines chez Tractebel, ” il y a une certaine tendance à réduire le nombre d’expatriés pour les postes à responsabilités et de management. Nous faisons désormais confiance à des managers locaux. Cela tient dans la maturité de notre business. Durant les années 1990 et 2000, nous avons créé des filiales dans une trentaine de pays et devions alors recourir à l’expertise belge pour notre développement. Aujourd’hui, ce n’est que pour des missions plus courtes, de quelques mois ou deux à trois ans, que nous faisons appel à de nombreux expatriés. Pour 5.000 employés chez Tractebel, nous avons une centaine de Belges et Français dans pas moins de 120 pays. ”
Eviter l’échec
Si l’expatriation doit être mûrement réfléchie au sein de l’entreprise, c’est aussi parce qu’elle peut entraîner des échecs. Selon une étude de 2002, réalisée pour la France, ” plus de 50% des expatriés finissent leur mission sans répondre de manière efficace aux tâches demandées “. Cette statistique n’est certes pas récente mais peut être transposable au marché actuel belge. Par échec, entendons un retour prématuré au pays ou la non-atteinte de la mission au terme de l’expatriation. ” Les difficultés les plus importantes sont liées aux compétences d’adaptation culturelle, avance Jocelyne Robert, spécialiste du travail à l’ULiège. Plusieurs mois sont souvent nécessaires pour s’adapter à un pays. La connaissance de la langue locale est conseillée ainsi qu’une bonne maîtrise de l’anglais. L’adaptation du conjoint joue un rôle important dans la réussite de la mission ainsi qu’une bonne préparation avant le départ. Outre la formation, la connaissance de personnes déjà expatriées, le partage d’expériences mais aussi une bonne information des équipes sur place quant à la mission de l’expatrié représentent des facteurs de succès importants. “
Selon une récente étude française, un expatrié français sur cinq rencontrerait des difficultés pour s’adapter au pays d’accueil. Pour une entreprise, il est donc indispensable de ne pas négliger certains aspects qui dépassent le cadre de la mission. Citons notamment l’adaptation de la famille (une des grandes causes de l’échec d’une mission) ou même des possibilités d’activité pour le conjoint. Comme l’explique Etienne Jacques, responsable des ressources humaines chez Tractebel, ” nous privilégions les personnes qui expriment clairement leur volonté de partir. Si elle le souhaite, toute personne qui travaille chez nous peut voyager pour une mission commerciale durant les trois premières années de sa carrière. Certains viennent d’ailleurs chez nous car ils savent qu’ils ont une porte ouverte sur le monde. Il est clair que nous encourageons les personnes à potentiel à partir également. Il est fondamental que nos managers soient exposés à des réalités internationales. “
Une des clés pour une expatriation réussie serait donc d’abord de privilégier une personne volontaire avant de lancer des propositions auprès des employés.
” Une expatriation réussie offre un retour sur investissement “
Responsable de la mobilité des travailleurs en Europe au sein d’AB InBev, François-Xavier Mouton assure que les expatriés ont de fortes chances d’évoluer dans leur carrière.
TRENDS-TENDANCES. Y a-t-il beaucoup de Belges expatriés au sein d’AB InBev ?
FRANÇOIS-XAVIER MOUTON. La gestion des expatriés s’organise de deux manières chez AB InBev. Je suis en charge de la gestion de l’expatriation intra-européenne, ici au siège social à Louvain. Nous avons une équipe équivalente aux Etats-Unis, qui s’occupe de la mobilité internationale. Nous comptons environ 150 expatriés intra-Europe, dont une quarantaine de Belges. A l’international, l’ensemble du groupe AB InBev totalise 400 à 500 expatriés. Ce chiffre est relativement stable d’année en année. La majorité des expatriés étrangers viennent en Belgique car le siège social se trouve à Louvain.
Quels sont les profils privilégiés pour l’expatriation ?
Il y a deux profils différents. Le premier est celui de talent. Il s’agit de personnes dans lesquelles nous croyons énormément. Le deuxième profil est celui d’expert. Un exemple chez AB InBev est le brewery manager. Etant donné que ce profil n’est pas facile à trouver sur le marché, nous pourrions par exemple demander à un brasseur allemand de développer une brasserie aux îles Canaries si l’opportunité se présente. Les profils peuvent être junior ou senior et partent en général pour une durée d’un ou deux ans. Ces dernières années, nous avons plutôt tendance à raccourcir la durée de l’expatriation.
En quoi est-ce avantageux pour AB InBev d’avoir recours à des expatriés ?
Quand un Belge va à l’étranger, il se retrouve en dehors de sa zone de confort en étant confronté à un nouveau marché. Il doit être capable de relever des challenges. S’il remplit ces challenges, il est mieux armé pour le futur. L’expatriation coûte forcément plus cher qu’un emploi local mais, si une personne réussit son assignement, il y a de fortes chances pour qu’on lui propose un poste intéressant quand il revient au pays. Vu qu’une entreprise n’expatrie plus autant qu’avant, nous sommes plus regardants sur les personnes que nous envoyons. Une expatriation réussie offre un retour sur investissement. A noter que l’expatriation n’est pas une condition sine qua non pour qu’un employé évolue, bien que cela aide énormément.
” Pour Besix, l’expatriation de l’expertise est indispensable “
Vincent Gondouin est responsable des ressources humaines pour Besix, société belge dont les projets de construction sont situés partout dans le monde.
TRENDS-TENDANCES. Combien d’expatriés y a-t-il chez Besix ?
VINCENT GONDOUIN. Sur 15.000 employés dans le groupe Besix, nous comptons 285 personnes européennes expatriées. Il s’agit en grande partie de Belges, et également d’une quinzaine d’autres nationalités européennes. Certains ont déjà travaillé en Belgique ou ailleurs au siège de Besix et d’autres partent en expatriation dès la signature du contrat. Il y a de tous les âges mais signalons deux profils principaux : les jeunes diplômés et les employés en milieu de carrière. Certains sont expatriés depuis 10 ou même plus que 20 ans. Certains partent seuls, d’autres en famille.
En quoi est-il avantageux pour Besix d’avoir recours à l’expatriation plutôt qu’à un emploi local ?
Vu les pays dans lesquels nous opérons, nous ne pouvons pas avoir recours à un personnel hautement qualifié sur place. Nous développons par exemple une usine de traitement des eaux en Côte d’Ivoire et le plus haut gratte-ciel du Maroc. Nous ne devrions pas faire appel à des expatriés si nous allions sur un marché aux Etats-Unis. Par définition, Besix s’étend à l’international pour mettre en place de grands chantiers. Parfois, il y a un besoin d’une personne avec un profil très particulier. Pour d’autres pays, c’est toute une équipe belge qui réside sur place, comme à Dubaï par exemple.
Est-ce facile de trouver du personnel volontaire pour des missions d’expatriation ?
Les personnes volontaires pour démarrer une mission d’expatriation ne représentent pas une majorité. Ceci dit, environ 80% des personnes qui partent en expatriation chez Besix en ont fait la demande. La première motivation pour un employé est l’expérience. L’expatriation est en effet vue comme une manière de faire un saut dans sa carrière. Lorsqu’une personne signe un contrat d’expatriation chez Besix, elle signe pour tous les pays dans lesquels nous sommes actifs. Ainsi, une personne peut passer d’un pays à l’autre, pas forcément sur le même continent. Chez Besix, on part au minimum trois ans et on propose dans tous les cas de partir en famille, à moins qu’il s’agisse d’un endroit dangereux.
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