Les déjeuners de la Villa Lorraine: à table avec Typhanie Afschrift et Michel Claise

© SIERAKOWSKI FREDERIC
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

L’avocate-fiscaliste face à l’ancien juge d’instruction récemment entré en politique. A l’invitation de Trends-Tendances, Typhanie Afschrift et Michel Claise ont croisé le couvert pour mieux disserter sur le rôle de l’Etat, la criminalité financière, les partis politiques et le mystère de la foi. Tout un programme !

L’un a fait son coming-out politique, il y a quelques semaines à peine, en rejoignant le parti DéFI après des années dédiées à la lutte contre la criminalité financière. L’autre a fait son coming-out transgenre il y a bien­tôt deux ans, en dévoilant sa nouvelle identité après des années de souffrance psychologique. L’un était juge d’instruction et est désormais candidat aux prochaines élections. L’autre était Thierry devenu Typhanie et est une pointure du droit fiscal. Nous les avons réunis à la table doublement étoilée de La Villa Lorraine, à Bruxelles, pour une interview croisée.

TRENDS-TENDANCES. Pourquoi ce choix politique, Michel Claise ?

MICHEL CLAISE. Ce qui me plaît chez DéFI, c’est son côté centriste. Vous savez, moi je suis d’une famille issue des classes moyennes, mais on m’a souvent taxé de gauchiste parce que je me suis permis d’attaquer certains grands hommes d’entreprise dans l’exercice de mon métier. Il y a même des articles qui sont parus où l’on me prêtait des choses que je n’avais ni dites, ni faites. Je ne pouvais être forcément qu’un gauchiste ! Or, je me suis toujours éloigné de toute position politique dans le cadre de mes fonctions. Mais aujourd’hui, si j’ai choisi cette voie politique, c’est parce que DéFI est l’addition de toutes mes valeurs. D’ailleurs, dans l’appellation DéFI, vous avez la démocratie, le fédéralisme et l’indépendance. J’en ajouterais même deux : la justice et la laïcité. Pas seulement la justice au sens de l’institution, mais la justice sociale, avec un combat que j’ai mené et que je veux mener encore en allant chercher l’argent non pas dans la poche des citoyens et des entreprises, mais dans les caisses des organisations criminelles. Il y a moyen de le faire et on vient encore de le prouver à travers un procès qui se passe maintenant devant le tribunal correctionnel et qui est celui de Sky ECC.

Typhanie, où vous situez-vous sur l’échiquier politique ?

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TYPHANIE AFSCHRIFT. Je suis libertarienne. Libertarienne, c’est être à droite sur le plan économique et très à gauche sur toutes les autres questions. Je pense que je suis plus à gauche que DéFI. Je suis pour l’immigration libre. Je suis pour la libéralisation totale des drogues pour ruiner les trafiquants…

M.C. C’est dans le programme de DéFI !

T.A. Je suis pour la libéralisation de beaucoup, beaucoup de choses. Je pense qu’il faudrait supprimer un très grand nombre d’articles de loi. Et je suis aussi pour une justice beaucoup moins dure que ce qu’elle est actuellement. On pourrait d’ailleurs se permettre d’être plus efficace avec moins de policiers. Il y a trop de policiers en Belgique : 45.000, c’est énorme.

Dans le discours ambiant, c’est plutôt le contraire…

T.A. Oui, je sais, mais à partir du moment où on consacre l’essentiel des forces de police à embêter les gens au niveau de la circulation routière et de la façon dont ils mettent leur sac poubelle dans la rue, ça ne va pas. On pourrait peut-être les affecter à des choses plus importantes, non ? On n’aurait peut-être pas de fusillades actuellement dans les rues de Bruxelles ! Moi, j’ai envie de dire à la police : poursuivez ce qui est important et foutez la paix aux gens ! C’est cette célèbre phrase de Pompidou : “Foutez la paix aux Français” ! On peut aussi foutre la paix aux Belges. Réduire le nombre de policiers, je trouve que c’est évi­dent à partir du moment où, actuellement, on affecte l’essentiel des moyens que l’on a à combattre des choses qui sont de peu d’importance.

En Belgique, il y a un parti qui incarne ce programme libertarien ?

T.A. Non. A l’étranger, on pourrait penser au président argentin, Javier Milei…

“Je suis libertarienne. Libertarienne, c’est être à droite sur le plan économique et très à gauche sur toutes les autres questions.” – Typhanie Afschrift

Vous saluez son action ?

T.A. Je suis ce qu’il fait. Je me suis toujours dit qu’un élu libertarien n’arriverait au pouvoir que quand une situation est vraiment tout à fait catastrophique. C’est presque le cas de la Belgique ! En Argentine, c’était le cas avec le péronisme qui est une situation de socialisme rampant et cela a donné ce résultat. Alors, je n’ai pas aimé sa tronçonneuse, parce que c’est un instrument violent. Je sais très bien ce que ça voulait symboliser. On casse le régime tel qu’il est. En revanche, quand Javier Milei montre sur un tableau : “Voilà, il y a 21 ministères, j’en casse 12 !”, je suis assez d’accord avec lui.

Il faut supprimer la moitié des ministres en Belgique, Michel Claise ?

M.C. Pourquoi la moitié ? Regardez, avec neuf ministres de la Santé, les magnifiques résultats qu’on a obtenus en gestion du covid (rires) !

Mais au-delà de la boutade ?

M.C. Personnellement, je suis pour le renforcement du côté fédéral de l’Etat. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation internationale et intra-muros qui est extrêmement grave. J’ignore comment les choses vont tourner avec l’élection d’un président Trump aux Etats-Unis, avec un Poutine qui ne pourra que s’en réjouir et avec les regards qu’il porte déjà sur d’autres pays que l’Ukraine. Et donc, face à cette situation internationale, je ne peux moins que souhaiter le renforcement des pouvoirs régaliens de l’Etat pour que nous trouvions, dans une unité, une cohérence en tant que partenaire de l’Europe.

T.A. Je ne suis pas d’accord avec ce système où l’Etat intervient dans un nombre de domaines de plus en plus importants et qu’il le fait en général très mal. Je suis contre l’Etat providence et donc je ne trouve pas qu’il faut, actuellement, augmenter encore les recettes de l’Etat. Il faut au contraire les réduire très sensiblement en retirant à l’Etat un certain nombre d’attributions qu’il ne devrait pas exercer et qu’il exerce aujourd’hui. Je trouve qu’il faut même changer les lois pour réduire le coût de l’Etat dans son ensemble.

M.C. Je n’aime pas le mot Etat providence, mais je tiens à ce qu’il y ait davantage d’intervention de l’Etat.

Michel, vous êtes pour plus d’Etat, Typhanie pour moins d’Etat ?

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M.C. Oui, pour plus d’Etat parce que je pense que l’Etat a un rôle fondamental à jouer pour l’équilibre social. Et l’équilibre social passe, d’après moi, par un confort social égalitaire où tout le monde devrait pouvoir se retrouver, notamment en termes d’accès à l’enseignement. Or, nous savons que ça n’est pas exact. L’accès à la culture, c’est difficile. On se plaint aussi de la déglingue des soins de santé et je ne vous parlerai pas de la justice, j’en aurais pour des heures (sourire). Mais j’en reviens à la libéralisation des drogues. Moi, je suis pour la libéralisation du cannabis, c’est une évidence, mais il me paraît un peu abrupt de dire que, du jour au lendemain, on va tout libéraliser toutes les drogues. Ce sont des choses qui doivent se faire progressivement, encadrées par l’Etat. Et il faut surtout que les recettes aillent à l’Etat. J’insiste sur ce point. Je suis très attentif à la protection de ce qu’on appelle le Trésor avec un grand T. Parce que je reviens toujours, ce sont mes souhaits, à ce que nous puissions fonctionner. Ce sont mes inqui­études humanistes, en termes de soutien de cette démocratie sociale. Et en ce qui me concerne, j’aime beaucoup ce qualificatif.

T.A. Au mot démocratie, il ne faudrait jamais ajouter d’adjectif. Ni démocratie populaire, ni démocratie sociale. Démocratie tout court !

M.C. Là, nous ne sommes pas d’accord…

T.A. Les gens ne sont pas égaux. Les gens sont égaux en droit. Nous avons tous les mêmes droits. Ça ne donne pas le droit d’avoir la même vie. Ce sont des choses qui sont différentes. Moi, je reste très fort ancrée dans ces principes-­là qui vont jusqu’à l’égalité des chan­ces, mais qui ne vont pas jusqu’à l’égalité de fait. Et ce que je crains aujourd’hui, c’est qu’on ait tendance à vouloir aller beaucoup plus souvent à une égalité de fait qui, à mon sens, n’est pas compatible avec les libertés. Si nous som­mes différents, que nous avons des vies différentes, c’est parce que nous avons la liberté de faire des bonnes ou des mauvaises choses, d’être productifs ou improductifs, en fonction de ce que l’on veut et de ce qu’on est capable de faire. Et je tiens à ce que ces différences-là existent, des différences qui sont compatibles avec l’égalité telle que moi je la conçois.

M.C. C’est effectivement une différence entre nous, dans la mesure où j’accorde une très grande importance à cette notion d’égalité. J’accorde aussi énormément d’importance à la recette fiscale parce qu’elle est la garantie de faire fonctionner la démocratie sociale. Nous sommes arrivés aujourd’hui dans une société où on a été au-delà de la démocratie institutionnelle. On a créé véritablement, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la démocratie sociale avec un principe qui met en évidence l’égalité. Alors pour que cela fonctionne à travers l’enseignement, la justice, la culture, les soins de santé et la solidarité, il faut qu’il y ait un Etat qui soit évidemment capable d’assumer, en termes de chiffres, le budget nécessaire pour ce type de démocratie. Mais pour qu’il y ait une recette fiscale, il faut qu’il y ait un système cohérent. Et pour ma part, il ne l’est pas. Moi, je souhaiterais véritablement qu’il y ait une réforme fiscale, en profondeur, sur la transparence des règles et leur allègement pour permettre aux gens de payer individuellement moins d’impôts tout en augmentant les recettes.

“On m’a souvent taxé de gauchiste parce que je me suis permis d’attaquer certains grands hommes d’entreprise dans l’exercice de mon métier.” – Michel Claise

C’est possible ?

M.C. C’est possible, bien sûr. Parce que lorsque vous aurez un système cohérent, un système sécuritaire pour les contribuables, vous aurez des gens qui paieront volontiers l’impôt. Et là où je suis Typhanie, c’est sur son splendide essai qui s’appelle La Tyrannie de la redis­tribution. Il faudrait aussi que nous connaissions, au sein même de l’Etat, une restructuration de l’utilisation des recettes. Nous en sommes encore très très loin.

T.A. J’espère bien que Michel sera élu. Car nous aurons enfin quelqu’un au Parlement qui comprendra tout cela. Parce que, aujourd’hui, la plupart des politiciens n’y comprennent rien, dans tous les partis. Ce qu’ils veulent, c’est juste donner l’impression qu’ils défendent une cause.

Mais s’il est élu, il va tout faire pour qu’il y ait un ministre de plus ou, plutôt, un secrétaire d’Etat à la Criminalité financière…

T.A. Ça, je ne comprends pas. Il y a des tas de luttes qu’il faut mener au niveau judiciaire, dans des tas de domaines qui sont au moins aussi importants. Au niveau des violences intra­familiales, par exemple. Faut-il pour autant un secrétaire d’Etat aux Violences intrafamiliales ? Puisqu’on aborde l’importance de la drogue, tant que ce n’est pas libéralisé, pourquoi pas un secrétaire d’Etat à la Lutte contre la drogue ? Ça serait peut-être très efficace avec ce qu’on a comme fusillades à Bruxelles. On peut créer des secrétaires d’Etat à tout ! La question est : pourquoi faut-il vraiment de l’exécutif pour s’occuper d’une politique qui doit être judiciaire ?

M.C. L’obligation d’avoir un secrétariat d’Etat à la Lutte contre la criminalité financière qui dépendrait du Premier ministre me paraît évidente. Il ne faut pas laisser au pouvoir judiciaire des missions qu’il n’est pas amené à remplir. Une des fonctions fondamentales de ce type de secrétariat, c’est l’action internationale. Le monde judiciaire n’est pas là pour mener des actions internationales en correspondance avec les autres membres judiciaires des autres pays. L’interface avec les ministères des Affaires étrangères est fondamentale et il y a là un rôle que pourrait jouer le secrétaire d’Etat à la Lutte contre la criminalité financière.

T.A. Cela m’effraie très fort quand je vois que 62% des emplois créés au cours de cette législature l’ont été par le pouvoir public. Ça ne va pas ! Désolée, mais ce sont les 38% restants qui doivent payer pour ça. Parce que ceux qui créent de la richesse, ce n’est pas la fonction publique ! La fonction publi­que, c’est l’intendance. Comment voulez-vous continuer un système où la fonction publique prend un poids aussi important, qui doit être payée par des gens de moins en moins nombreux, mais qui doivent payer de plus en plus de fonctionnaires ou de personnes plus ou moins apparentées ? Ça ne va pas. Il faut dégraisser l’Etat. Sérieusement.

Donc vous êtes pour la priva­tisation d’un certain nombre d’entreprises, comme la SNCB par exemple, et la revente des parts de l’Etat dans Proximus, Belfius…

T.A. Oui, tout à fait ! Et beaucoup plus que ça ! On privatise aussi toute la sécurité sociale, à l’exception de ce qui est vraiment nécessaire, c’est-à-dire du minimum. Le problème, avec la SNCB, c’est que personne n’en voudra. Avec les syndicats qui font des grèves pour la moindre chose et des gens qui sont nommés indéfiniment, personne n’en voudra.

Pour terminer, Michel Claise, vous avez épinglé la laïcité parmi les valeurs qui vous tiennent à cœur chez DéFI. Vous êtes agnostique…

M.C. Plutôt athée. Mais je ne m’abstiens pas d’une démarche d’ordre spirituel. Quand je dis athée, ce n’est pas quelqu’un qui rejette l’idée de Dieu. C’est quelqu’un qui a décidé à un certain moment de dire : je ne crois pas. Mais je suis d’une sensibilité à la musique mystique, à l’architecture spirituelle. Vous savez, je suis aussi sensible à la rationalité qu’au chamanisme…

Vous avez même vécu une expérience chamanique !

M.C. Disons que c’était la rencon­tre avec une personne qui me connaissait, alors que moi, je ne la connaissais pas. C’est un Indien, un Atacameños, au Chili. Ça m’a complètement troublé. Et donc, si vous voulez, je ne suis pas du tout un rationaliste à tout crin, bien au contraire. Je pense qu’il existe par moment, dans notre vie, une pointe d’immortalité qu’on appelle le moment sacré. Dans notre existence, il y a deux choses dont on est sûr. C’est notre naissance et notre mort. C’est une ligne du temps et, parfois, vous avez un chemin de traverse, par exemple quand vous écoutez les Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach interprétées par Glenn Gould. Ou quand vous faites l’amour à la personne que vous aimez. Ou quand vous lisez un livre. Ou quand vous en écrivez un. A ces moments-là, vous vivez une spiritualité où l’immortalité de l’âme n’est pas incompatible avec le fait de ne pas croire en Dieu.

Vous croyez en Dieu, Typhanie ?

T.A. Oui, je suis croyante et j’arrive exactement au même résultat que Michel, mais par des chemins tout à fait différents. Je peux accepter qu’il y ait un être supérieur, mais je le vois à ma manière. C’est-à-dire certainement pas celui des religions constituées. Je considère simplement que c’est une espèce de source d’un certain nombre de principes. Je vois les droits de l’homme en particulier. Je pars comme principe que Dieu existe, mais qu’on ne me demande pas, en revanche, de suivre certaines cérémonies qui sont organisées.

Typhanie Afschrift

Née Thierry le 13 septembre 1953, devenue officiellement Typhanie le 7 juillet 2022.
Avocate au barreau de Bruxelles.
Considérée comme l’une des fiscalistes les plus réputées du pays.
Associée fondatrice et managing partner d’Afschrift Tax & Legal, un cabinet situé à Bruxelles, avec des antennes en Suisse, en Espagne et en Israël.
Auteure de nombreux livres et traités sur la fiscalité.

Michel Claise

Né le 6 janvier 1956.
Diplômé de droit à l’ULB.
Avocat durant 20 ans, il devient juge d’instruction en 2001, spécialisé dans la lutte contre la crimi­nalité financière.
Fraîchement retraité, il s’est engagé en politique cette année et figurera à la troisième place de la liste fédérale de DéFI aux prochaines élections.
Auteur de 14 romans dont le dernier, Code Kanun, est paru chez Genèse Edition.

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