Les bienfaits du saut de génération

SAUTER UNE GÉNÉRATION n'est pas pénalisant, car les petits-enfants payent les droits de succession en ligne directe, à l'instar des enfants. © Getty Images

Au moment du décès, les enfants sont souvent largement installés. Inscrire les petits-enfants dans son testament devient dès lors une pratique courante. Tout comme réaliser des donations en leur faveur. Encore faut-il maîtriser les procédures et connaître les astuces…

“Les héritiers légaux sont d’abord les enfants et, s’il y en a, la loi ne prévoit rien en faveur des petits-enfants, rappelle d’entrée de jeu Ariane Joris, head of estate planning chez Degroof Petercam. Si on veut les favoriser, il faut donc le prévoir expressément dans son testament.” De toute manière, sauter une génération n’est pas pénalisant, car les petits-enfants payent les droits de succession en ligne directe, à l’instar des enfants. La démarche allégera même le montant total des droits de succession, puisque le patrimoine est réparti en un nombre accru d’héritiers. Or, les droits sont calculés pour chacun d’entre eux séparément. Ainsi, un enfant unique héritant 600.000 euros de sa mère veuve devra s’acquitter de droits de succession allant de 114.000 euros en Flandre à 116.250 euros en Wallonie, en passant par 115.300 euros à Bruxelles. Si la mère lègue la moitié de ce patrimoine à l’enfant et l’autre à la génération suivante, soit 100.000 euros à chacun de ses trois petits-enfants, les droits seront réduits de plus de moitié, allant de 51.000 à 55.125 euros!

L’intérêt du pacte successoral

En matière de donations, la situation a changé le 1er septembre 2018, avec l’entrée en vigueur de la loi réformant les successions. Elle a notamment introduit le “pacte successoral ponctuel”, qui permet de clarifier certaines situations, en associant les enfants à la donation faite aux petits-enfants. S’ils marquent leur accord, ils ne pourront pas la contester ultérieurement. Cas exemplaire: les grands-parents ont deux enfants, dont l’un bénéficie d’une superbe situation financière et l’autre pas. Ce dernier sera très heureux de toucher sa part d’héritage, alors que pour le premier, cela ne fera guère de différence. Les grands-parents vont dès lors vouloir réaliser la donation en faveur d’un enfant d’un côté et des petits-enfants de l’autre, mais pour un montant global équivalent.

En cas de mésentente ultérieure entre ces enfants, le second pourrait toutefois contester la donation en arguant du fait qu’il n’a rien reçu. Ou, au moment de l’héritage, si les donations furent importantes, observer qu’il n’atteint pas le montant de sa réserve (soit 25% du patrimoine total, puisqu’il y a deux enfants) et qu’il faudrait en conséquence réduire la part de l’autre enfant! Absurde et injuste. “D’où l’utilité du pacte successoral ponctuel, qui précisera que les donations faites aux petits-enfants s’imputent sur la part de leur père ou mère, explique la conseillère patrimoniale. C’est ce qu’on appelle le ‘rapport pour autrui’. A défaut, ces donations pourraient être considérées comme imputables sur la quotité disponible (soit 50% du patrimoine), car la loi ne prévoit pas, par défaut, cette imputation sur la part des parents”. Conséquence: la branche “nantie” de la descendance toucherait davantage que l’autre, ce qui n’était clairement pas l’intention des grands-parents!

Quelle égalité?

Il faut souligner que si l’enfant nanti peut renoncer à l’héritage en faveur de ses propres enfants, il ne lui est pas possible de le faire en faveur d’un frère ou d’une soeur en situation précaire. La solution: accepter l’héritage, payer les droits et ensuite faire une donation. Autre observation: il existe un mécanisme spécial en Flandre, qui n’a pas (encore) été adopté dans les autres Régions: un parent qui a hérité peut, dans l’année, donner une partie de cet héritage à ses propres enfants, sans que ces derniers aient à supporter de droits de donation.

Le schéma évoqué ci-dessus, soit l’égalité entre branches, est un choix et non une obligation. “C’est une première question à poser avant d’entrer dans les détails techniques, souligne Ariane Joris: voulez-vous faire une donation identique à chaque petit-enfant, qu’il y en ait deux d’un côté et quatre de l’autre, ou équivalente du côté de chaque enfant?” En pratique, on observe souvent une donation limitée identique à chaque petit-enfant, pour financer leurs études par exemple, tandis que l’égalité entre enfants est retrouvée au niveau du testament. “Les donations réalisées par des grands-parents de 65 ou 70 ans sont plus limitées car ils sont encore en pleine forme et ont de nombreux projets”, observe pour sa part Patrick Wangneur, conseiller en structurations patrimoniales et prévoyance chez CBC Banque.

Donner… mais beaucoup plus tard

On peut vouloir faire une donation à ses petits-enfants tout en souhaitant une protection contre leurs erreurs de jeunesse. “C’est même une préoccupation essentielle, observe Patrick Wangleur, de sorte que beaucoup retardent la transmission du patrimoine en inscrivant les petits-enfants dans leur testament plutôt que de leur faire une donation importante.”

Il n’est pas question de pouvoir faire marche arrière, puisqu’une donation est irrévocable, mais de garder un contrôle pendant un certain temps par exemple. “Il existe plusieurs mécanismes possibles, expose Ariane Joris. Par exemple une donation en nue- propriété avec réserve d’usufruit. Elle peut être assortie d’une double charge. Première: interdiction de gérer et de disposer des avoirs avant un certain âge. Seconde: une clause de gestion en faveur d’une autre personne, le parent par exemple.” Et ceci non pas jusqu’aux 18 ans du donataire, ce qui est une obligation légale, mais jusqu’à 30 ou 35 ans si l’on veut! “C’est très joli en théorie, mais il faut quand même savoir que dans la pratique, notamment au niveau bancaire, la mise en oeuvre peut s’avérer très complexe”, avertit Ariane Joris. “Un tel délai dans la jouissance peut tout aussi bien s’inscrire dans un testament, complète le conseiller de CBC, mais quel recours a-t-on en cas de non-respect de cette volonté?”

Le grand-parent peut aussi prévoir une réversion de l’usufruit en faveur de son conjoint survivant. Ou encore qu’à son décès, l’usufruit, alors qualifié de “successif”, ira à son enfant. Les petits-enfants ne retrouveront dès lors la pleine-propriété des biens qu’au décès du dernier survivant. Variante: donner la nue-propriété au petit-enfant et l’usufruit à son père ou sa mère. On citera encore la “société simple”, qui offre plus de sécurité juridique, mais qui suppose un suivi administratif plus lourd.

Reprendre n’est pas voler!

D’autres garanties sont possibles, en tout cas sur papier. Le petit-enfant se marie sous le régime de la communauté universelle et le conjoint semble cupide? Parade: une “clause de bien propre”, qui oblige le donataire (le petit-enfant) à conserver ces biens en propre. “Le non-respect de cette charge peut permettre au donateur de révoquer la donation”, insiste Ariane Joris. Elle rappelle toutefois qu’au décès du donateur, certaines charges s’éteignent, tandis que pour d’autres, il n’y a plus de sanction possible. On a compris que la révocation de la donation est par définition devenue impossible au décès du donateur!

Autre mécanisme: la clause de retour conventionnel. Elle signifie qu’au décès du petit-enfant avant les grands-parents, l’objet de la donation retourne dans le patrimoine de ces derniers via une révocation de la donation. Conséquence: le conjoint de ce petit-enfant est privé de l’usufruit du bien ayant fait l’objet de la donation, puisqu’il ne fait plus partie du patrimoine du petit-enfant décédé, explique la conseillère de Degroof Petercam. Les grands-parents en ont retrouvé la propriété et peuvent en faire l’usage qu’ils souhaitent. C’est très avantageux sur le plan fiscal, car cette récupération se fait sans frais, tandis qu’une donation ultérieure aux enfants se fera au tarif de 3 ou 3,3%, suivant les régions.

C’est d’autant plus vrai que le décès d’un petit-enfant avant ses grands-parents se produit en principe à un âge précoce, alors qu’il n’a généralement pas encore de conjoint et d’enfants. Ses héritiers légaux sont alors ses parents ainsi que ses éventuels frères et soeurs. Et eux seront redevables de droits de succession, non négligeables dans le second cas.

GUY LEGRAND

Le pacte successoral ponctuel permet d’éviter d’éventuelles contestations ultérieures.” ARIANE JORIS (DEGROOF PETERCAM)

En pratique, on observe souvent une donation limitée identique à chaque petit-enfant, pour financer leurs études par exemple.

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