Mikael Petitjean
Le virus ne doit pas nous transformer en statue de sel
“Que penser de 2020? La seule certitude est que cette année nous réservera encore des surprises.” C’était le titre d’une conférence que j’avais donnée en février. Reconnaissons que la surprise fut de taille.
Le choc économique provoqué par ce coronavirus est incontestable ; il dépassera sans doute celui de la crise de 2008. Nous venons d’ailleurs de traverser la plus rapide correction boursière de plus de 20% depuis le début du siècle dernier. C’est à se demander si la bourse n’a pas cherché à rivaliser avec le virus lui-même, dont la vitesse de propagation en Italie a été surprenante. Les variations de cours sont extrêmes et ceux qui, comme moi, n’apprécient guère les montagnes russes, préfèrent prendre du recul.
Du vendredi 13 mars au mercredi 25 mars, l’indice CAC40 est remonté de 9,60%, après avoir traversé deux séances au terme desquelles le rendement avait chuté de plus de 5%. Aux Etats-Unis, l’indice du Dow Jones Industrial Average a connu deux séances absolument extraordinaires : le 16 mars, il chutait de plus 12% ; le 24 mars, il remontait de plus de 11%. Depuis le vendredi 13 mars, cet indice a progressé de 2%. Acheter et vendre dans ces conditions est un jeu très risqué.
La stratégie la plus rationnelle est de garder le cap, de ne pas regarder en arrière, de ne pas lâcher le gouvernail et de scruter l’horizon à la recherche du ciel qui se dégage. Nous pouvons profiter aujourd’hui du soleil printanier qui nous rappelle que toutes les tempêtes, mêmes les plus extrêmes, ont une fin et que le bateau ne peut pas chavirer lorsqu’un portefeuille est judicieusement diversifié.
Le choc est violent mais le rebond boursier peut l’être aussi. Après quelques atermoiements, les autorités monétaires ont corrigé le tir très vite. L’arsenal qui vient d’être déployé est à la hauteur des vagues boursières que nous venons de traverser. Pour la première fois dans l’histoire de la zone euro, de “l’argent va être largué de l’hélicoptère” de la BCE pour reprendre une expression célèbre de Milton Friedman, prix Nobel d’économie en 1976, qui avait fustigé, à juste titre, la politique monétaire de la Banque Centrale américaine lors de la crise de 1929, l’accusant même de l’avoir aggravée. Il avait vu juste.
L’expression de Friedman vise une distribution ciblée et irréversible de monnaie par la Banque Centrale sur certaines catégories d’agents économiques, comme les Etats qui vont accroître fortement leurs déficits publics en réponse à cette crise. La BCE a annoncé le 18 mars qu’elle allait acheter les dettes publiques de ces pays pour des montants plus importants que ce qui était auparavant prévu, avec une certaine flexibilité dans la répartition des dettes publiques achetées. C’est une solution très efficace au problème d’écarts de taux entre pays de la zone Euro. Quant aux déficits publics, ils proviendront de dépenses comme la baisse des impôts des entreprises, la hausse de l’indemnisation du chômage, la hausse des dépenses de santé, la recapitalisation d’entreprises en grande difficulté, ou les garanties publiques sur les crédits aux entreprises. Le choc va être absorbé. Reste à savoir dans quelle mesure et à quelle vitesse.
Si l’Europe marche dans les pas de la Chine où le confinement n’a pas été total, la récession est gérable. Le PIB peut chuter de 2 à 3 p% sur l’année et les déficits publics augmenter de 2 p%, sachant que ce sont les Etats qui vont absorber le choc, notamment en payant les salariés en chômage partiel. Dans un contexte où il y a un “pont aérien de cash” et où les déficits seront monétisés par “l’argent larguée de l’hélicoptère de la BCE”, c’est gérable. Les annonces macroéconomiques vont faire très peur et les références aux grandes dépressions de 1929 et de la fin du XIXème siècle commencent déjà à fleurir. Le chiffre annoncé aujourd’hui d’une augmentation hebdomadaire de 3,3 millions de chômeurs supplémentaires aux Etats-Unis est effectivement très impressionnant. C’est environ 5 fois plus élevé que la pire augmentation hebdomadaire qui avait été enregistrée durant la crise de 2008-2009 ou que celle qui avait prévalu en 1982. La première réaction des marchés est pourtant positive ; le “put combiné” offert par Powell et Trump, sous la forme d’une garantie de sauvetage de l’économie américaine, semble bien solide.
Même si comparaison n’est jamais raison, il faudra éviter un confinement total qui perdurerait car la chute du PIB pourrait être 3 à 4 fois plus forte ; un confinement strict sur un mois peut conduire à une chute de 3 p% de PIB. Dans ces cas-là, même la monétisation des dettes montre ses limites car il y perte de confiance dans la monnaie elle-même.
Tout dépendra de notre capacité à maîtriser la propagation du virus et de permettre à la machine économique de tourner au ralenti, sans s’arrêter. Il y a encore un tabou que la BCE n’a pas encore fait sauter : celui qui consiste à intervenir sur le marché des actions, comme le font de manière indirecte la Banque du Japon et de la Suisse. Ce serait désirable pour améliorer l’efficacité de la politique monétaire en période de taux bas.
Il y a un fait indubitable : jamais dans l’histoire économique, les politiques monétaires et budgétaires n’auront été aussi alignées, aux Etats-Unis et en Europe, sans parler du pétrole bon marché. Il y aura évidemment un manque de concertation au niveau européen, comme d’habitude ; il y aura évidemment une défiance entre Trump et ses homologues européens et asiatiques, comme d’habitude. La principale incertitude est la décision qui pourrait être prise de durcir le confinement pendant plus d’un mois, en particulier aux Etats-Unis. Plus le confinement sera court et souple, plus le rebond sera matériel. A l’heure actuelle, il n’y a pas de raison de penser que le virus serait plus méchant à l’égard des Européens que des Chinois. L’Italie est d’ailleurs proche de son point d’inflexion. Cela m’amène à un autre fait indubitable : ce virus nous privera de la compagnie d’êtres chers mais il n’est pas raciste.
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