Paul Vacca

Le like, cette monnaie de singe

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Si certains émettent des doutes sur la fiabilité du bitcoin, que diraient-ils alors de celle du like, ce petit pouce bleu qui s’échange comme une monnaie sur les réseaux sociaux?

Pour le bitcoin, on sait au moins qu’il vaut 46.891,35 euros au moment où j’écris ces lignes. En revanche, on serait bien en peine de dire ce que “vaut” réellement un like. Pour qui pratique les réseaux sociaux, c’est une évidence: contrairement à ce que l’on pense, le like ne veut pas nécessairement dire “j’aime”. Il peut endosser de multiples significations: du simple “j’ai vu” au like “ironique” en passant par l’encouragement ou le retour de politesse… Comme toute invention, le like a été détourné de sa fonction première: dans les faits, il ne signifie qu’exceptionnellement “j’aime”.

Le petit pouce bleu n’est pas une vraie monnaie mais de simples billets de Monopoly échangés entre nous sur les réseaux sociaux.

A ce flou sémantique s’ajoutent les fréquentes ambiguïtés contextuelles. Que déduire de l’attitude de quelqu’un qui appose un pouce sous l’annonce de la mort d’une célébrité? Qu’il est heureux que celle-ci ait trépassé? Ou lorsque je like un article partagé sur les réseaux sociaux, qu’est-ce que je like? La personne en guise de remerciement pour son partage d’information? Son commentaire de l’article (qui peut très bien le tourner en dérision)? Le titre de l’article qui nous a plu? L’expérience nous apprend que c’est rarement le contenu de l’article lui-même puisqu’une infime minorité a vraiment pris le temps de le lire jusqu’au bout… Et, enfin, pour ne rien arranger, c’est un signe qui n’a pas la même valeur pour tout le monde. Il y a ceux qui likent à tout va (les “serial likers”), ceux qui le font avec parcimonie, voire radinerie, et d’autres qui ne les utilisent jamais ne voulant pas se signaler (bien qu’ils vous ayez appris par ailleurs qu’ils avaient beaucoup apprécié votre dernière publication)… Bref, le like est comme le sourire affable d’un courtisan: un concentré d’illisibilité.

On nous rétorquera que le petit pouce bleu n’est pas une vraie monnaie mais de simples billets de Monopoly échangés entre nous sur les réseaux sociaux. C’est oublier que c’est sur la foi de cette “devise” que le ciblage publicitaire s’appuie. Ces traces digitales censées tout renseigner de nous, c’est ce que monétisent les géants d’internet. Or pour la machine, si intelligente soit-elle, qui traite ces données par milliards, un like est une unité de valeur stable qui veut dire “j’aime”.

D’où le doute que l’on peut légitimement nourrir quant à l’efficacité réelle du micro-ciblage publicitaire. Tim Hwang, un ancien collaborateur de Google, va même plus loin. Dans Subprime Attentions Crisis, son essai sorti en 2020, il montre que la source de richesse et les capitalisations annapurnesques des plateformes qui vivent de la publicité reposent sur une fiction: celle de la connaissance parfaite de notre psyché et de nos désirs à travers nos clics. Pour lui, ce qui se révèle effrayant dans le micro-ciblage publicitaire, ce n’est pas son intrusion, mais son inefficacité. Et la menace que Tim Hawang voit poindre ne concerne pas notre vie privée (comme pour Frances Haugen, la lanceuse d’alerte), ni des incidents industriels (comme cette semaine avec Facebook) mais un risque systémique sur l’économie tout entière.

Il pose une analogie entre la bulle immobilière de 2008 et le marché actuel de la publicité numérique. De la même façon que les prêteurs américains ont proposé les tristement célèbres prêts hypothécaires subprimes, des instruments financiers complexes visant à cacher la fragilité des actifs sous-jacents, la publicité numérique dissimule son inefficacité sous une machinerie statistique ultra-sophistiquée. Même cause, mêmes effets? Je ne sais s’il faut liker cette information.

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