Paul Vacca

L’après-covid sera terrifiant

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

On pourra trouver étrange qu’au sortir d’une période aussi anxiogène, le public se déplace en masse au cinéma pour se réinjecter une dose d’angoisse.

Sans surprise, le retour des spectateurs vers la salle de cinéma a bien eu lieu. En revanche, plus surprenant fut le type de films vers lesquels ceux-ci se sont dirigés. Après ce que nous venons de vivre collectivement, on pouvait s’attendre à ce que le public plébiscite des comédies, des films légers ou réparateurs. Or, en France comme aux Etats-Unis, ce sont deux films d’horreur qui ont pris très largement la tête du box-office: The Conjuring 3 de Michael Chave, autour de phénomènes diaboliquement paranormaux et particulièrement sanglants, et Sans un bruit 2 de John Krasinski, un survival où des créatures monstrueuses réagissent au moindre son, au point que les spectateurs hésitent à croquer dans leur pop-corn de crainte de les réveiller.

On pourra trouver étrange qu’au sortir d’une période aussi anxiogène, le public se déplace en masse au cinéma pour se réinjecter une dose d’angoisse.

On pourra trouver étrange qu’au sortir d’une période aussi anxiogène, le public se déplace en masse au cinéma pour se réinjecter une dose d’angoisse. Pourtant, à bien y regarder, il existe quelques explications. D’abord, l’hypothèse psychologique: regarder un film d’horreur nous fait relativiser ce que nous vivons. De la vertu euphorisante des cauchemars qui, au réveil, nous font voir notre vie en rose. En ce sens, il nous a toujours semblé que les films d’horreur – tout comme les romans “déprimistes” de Michel Houellebecq, par exemple – étaient en réalité des feel good bien plus efficaces que ceux labellisés comme tels.

On peut aussi émettre une explication sociologique. Voir un film d’épouvante constitue un rituel tribal. Une activité qui se fait en groupe en miroir avec ce qui se passe à l’écran. Dans les slashers comme Vendredi 13, Scream, Halloween ou autres Destination Finale, on voit généralement une bande de jeunes aux prises avec une menace terrifiante. Et ce sont surtout les activités tribales de ce type (avec les matchs, les concerts , etc.) qui ont fait défaut durant cette période. Plus en tout cas que la famille qui, elle, était omniprésente par Zoom ou à demeure.

On pourra enfin évoquer une raison marketing: ces deux films s’avèrent idéaux pour une reprise puisqu’il s’agit de deux suites de franchises à succès. Elles ont, de ce fait, pu mobiliser immédiatement leurs fans dans une période particulièrement chargée en sorties…

Cela démontre en outre que les spectateurs, en payant leur place et en s’asseyant dans l’obscurité avec d’autres personnes, ne sont pas venus voir des images, mais bien (re)vivre une expérience. Des images, ils en ont été abreuvés via les plateformes de streaming et la télévision. Le film d’horreur incarne précisément la quintessence de cette expérience cinématographique: le frisson collectif. Pas étonnant que ce genre n’ait jamais connu d’éclipses, contrairement au western ou à la comédie musicale, et qu’il soit aussi vieux que le cinéma lui-même. En 1922, même muet, le Nosferatu de F. W. Murnau parvenait déjà à faire se dresser les poils des spectateurs.

De surcroît, par son art de jouer sur la tension psychologique et l’imagination du spectateur plutôt que sur les effets spéciaux coûteux, le film d’horreur se révèle aussi particulièrement rentable. Voyez The Blair Witch Project, tourné en 1999 en caméra numérique sur le principe du found footage (la vidéo retrouvée). Il n’avait coûté que 60.000 dollars pour une recette de 248 millions de dollars, soit un retour sur investissement particulièrement terrifiant de 414.300%, devenant ainsi le deuxième film le plus rentable de l’histoire du cinéma. De quoi aiguiser les appétits des producteurs et faire saliver les spectateurs. Alors, préparez-vous, l’après-covid dans les salles de cinéma risque d’être particulièrement terrifiant.

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