La Suisse à tire-d’aile

Lucerne, avec le KKL dessiné par Jean Nouvel (à g.), et le Pilatus à l'horizon. © PG / Elmar Bossard / Luzern Tourismus

Lausanne, Lucerne, Locarno: détours urbains dans les trois régions linguistiques, à la découverte d’une Suisse qui bouge, loin des clichés. De toute façon, la montagne n’est jamais loin, même en train.

Dans la course vers les stations suisses, l’amateur de glisse en oublie souvent les villes, de véritables bijoux d’histoire, d’art, de farniente, de gastronomie, de boutiques trendy… Petit détour dans trois villes qui ont en commun de représenter chacune une région linguistique de la Confédération… et de commencer par la lettre L. Le tout en trois jours, en privilégiant le train et sans faire exploser le portefeuille à l’heure où le franc suisse atteint des sommets.

Lausanne, arrêt Plateforme 10

Trop longtemps comparée à la “chic” Genève, Lausanne est aujourd’hui bien davantage que cette bourgeoise provinciale alanguie au bord du lac Léman. La pandémie lui a permis de se faire un joli lifting: zones piétonnes et cyclables, terrasses colorées partout, nouveaux quartiers comme celui de Flon… Une ligne de métro (la seule de Suisse) permet de relier le haut et le bas de la ville. Car Lausanne compte quelques solides pentes, comme cette rue du Petit Chêne qu’on descend à ski l’hiver.

A côté de la gare, Plateforme 10, le tout nouveau quartier des arts, s’est installé sur une ancienne aire de réparation des locomotives. Ses bâtiments flambant neuf accueillent trois musées dont le fil conducteur temporaire est, justement, le chemin de fer. Ainsi, l’expo Voyages imaginaires montre comment les artistes se sont emparés du motif, de Paul Delvaux à Chirico en passant par Hitchcock, faisant réveiller les fantasmes noirs et le potentiel érotique associés au train, avec en bruit de fond la stridence de la vapeur qui s’échappe et la cavalcade effrénée du convoi qui s’approche.

A l’image de sa balade des panoramas, Lausanne propose des parcours urbains où l’on ne s’ennuie jamais. Ils passent par son bord de lac, ses ravissants parcs, sa cathédrale (avec ses bancs réversibles pour écouter l’orgue), son splendide Musée olympique et un autre consacré à l’immigration, rappelant à quel point la ville est devenue cosmopolite. Une petite soif? Un réseau de 44 cafés historiques donne vraiment envie d’y pénétrer. Entre-temps, les fontaines d’eau fraîche ne manquent pas. Lausanne est aussi la seule ville suisse à posséder des vignobles et à produire ses propres vins.

Partant pour rencontrer un vigneron? Un RER mène en six minutes à Bossière. Après un quart d’heure de marche au milieu des vignes, on arrive au domaine de Jean-Christophe Piccard, consacré aux vins biodynamiques: “Cette production m’a ouvert des marchés alors que ma surface ne dépasse pas 2,5 hectares”, s’amuse-t-il. Sur sa terrasse ombragée qui surplombe le lac, il est intarissable pour évoquer levures, bactéries, minéralité… Il invite à goûter ses vins: “Une autre expérience, à cent lieues de l’oenologie classique!”

Lucerne, Suisse en miniature

En deux heures de train depuis Lausanne, on parvient à cette perle du lac des Quatre Cantons: Lucerne, à l’origine un village de pêcheurs qui, avec l’ouverture du col du Gothard, deviendra un axe majeur entre le nord et le sud de l’Europe. Elle a connu son âge d’or au 18e siècle, avant de céder à Berne le titre de capitale du pays et à Zurich celui de capitale économique. Il ne lui restait plus que le tourisme… mais qui attirera tous les grands noms de l’Europe, dont la reine Victoria. De prestigieux palaces ont poussé sur les rives du lac que sillonnent, aujourd’hui encore, des bateaux à aubes style Art nouveau.

On est à peine sorti de la gare dessinée en 1991 par Calatrava qu’on découvre l’emblème de la ville: la Kapellbrücke, magnifique pont couvert tout en bois qui traverse la Reuss, rythmé au plafond par des fresques triangulaires. C’était à l’origine un chemin de ronde dominé par une tour qui a servi de prison, de donjon, d’entrepôt…

Dans cette cité carte postale, les touristes asiatiques représentent le tiers des voyageurs. Le tournage de films indiens a dopé la destination. Davantage, sans doute, que la consécration de l’église baroque des Jésuites à saint François Xavier qui fut surnommé l’apôtre des Indes au 17e siècle. Une chapelle latérale est, elle, consacrée à Nicolas de Flüe, le mystique devenu le saint patron de la Suisse et qui prêchait la méditation.

Les façades illustrées sont un marqueur de la cité, comme sur le remarquable hôtel des Balances (rien à voir avec la délation mais avec la justice qui s’y rendait jadis) ou sur une autre demeure égayée par des figures du carnaval, fêté une semaine durant. A Lucerne, on jette aussi des oranges… mais la guide n’a jamais entendu parler de Binche.

Le soir en bord de lac, une foule bien apprêtée se presse vers la salle de concert de 1.800 places du KKL Centre Culture et Congrès à la vaste toiture, dessiné par Jean Nouvel. Son acoustique compte parmi les meilleures du monde. Justement, le prestigieux Lucerne Festival, jusqu’au 11 septembre (et du 18 au 20 novembre pour la musique contemporaine), donne l’occasion d’en capter toutes les nuances. Ce soir-là, c’était Gustav Mahler au programme. Le public a fait une ovation debout, durant de longues minutes.

Le musée le plus visité de Suisse? La Verkehrshaus, consacrée aux transports. On accède à ses 20.000 mètres carrés par une belle balade le long du lac. Au-delà de la nostalgie des vieux trains et avions à la retraite – rien n’est épargné de la faillite de la Swissair, mais aucune mention de la Sabena -, c’est d’avenir qu’il est question, en misant sur le côté ludique et interactif. Voilà pourquoi tant de familles avec enfants s’y pressent, fascinés par le talent suisse pour apprivoiser les montagnes grâce à des tunnels et des funiculaires dernière génération, comme celui qui mène au Pilatus (2.128 m).

Locarno, la dolce vita

Cap sur Locarno. Avant de changer à Bellinzone, chef-lieu du cantone Ticino (canton du Tessin), on passe au coeur d’une autre prouesse humaine: le tunnel ferroviaire du Gothard, le plus long du monde, 57 km parcourus à la vitesse de 230 km/h. Stupéfiant! A l’arrivée, les palmiers apparaissent. Dans la ville, on découvre même des léopards: c’est l’emblème du festival de cinéma de début août, dont seul subsiste encore un écran géant sur la Piazza Grande aux belles arcades lombardes.

Les anciens assis sur un banc, les “ciao!” ici et là, le culte de l’expresso ou encore cet étonnant festival du risotto: on a de la peine à se croire en Suisse. “Les Alpes offrent une barrière naturelle, explique Laura, jeune guide locale. Ici, c’est le début du Sud de l’Europe. Tout est plus relax.” Durant la pandémie, les touristes alémaniques furent nombreux à y trouver refuge.

En face de la gare, on peut embarquer dans un vieux funiculaire piloté par un préposé taciturne. Il grimpe à travers la verdure jusqu’au sanctuaire de la Madonna del Sasso, qui domine le lac Majeur. Ce remarquable édifice est aussi le point zéro du chemin de Compostelle depuis la Suisse. Le pèlerin peut méditer sur une Dernière cène composée de personnages sculptés grandeur nature. Ou s’élever encore plus haut dans les cieux, grâce à une télécabine qui mène à des balançoires panoramiques!

La descente par l’escalier nous ramène au centre-ville. Derrière un petit parc émerge un énorme cube rouge: c’est la Ghisla Art Collection, fondée en 2014 par Martine et Pierrino Ghisla qui rassemblent depuis 30 ans des oeuvres du pop art, de l’art conceptuel, de l’abstractionnisme, auxquels s’ajoutent celles d’artistes émergents. “J’ai vécu 47 ans en Belgique où j’ai exercé comme importateur de fruits et légumes”, raconte Pierrino entre deux commentaires passionnés sur des oeuvres de Basquiat, Haring, Warhol, Magritte… On est saisi de se retrouver, seuls, face à ces grands noms.

Le soir, on peut dîner au ValleMaggia, à la carte limitée mais aux assiettes succulentes. Sa particularité? L’équipe intègre des employés atteints de déficiences mentales, et qui remplissent leurs tâches de la meilleure façon. Leur présence adoucit l’atmosphère, comme si un ange de la paix flottait parmi les convives. Serait-ce une illustration de l’esprit de Locarno”? En 1925, la cité a hébergé une conférence de paix entre l’Allemagne, la France, la Belgique, l’Angleterre, l’Italie, la Pologne et la Tchécoslovaquie. “Ce fut une période d’espoir et de coopération en Europe”, indique un écriteau du chemin de la paix, qui ajoute que, pendant toute la durée de la conférence, la façade du sanctuaire de la Madonna del Sasso fut éclairée d’une guirlande de lampes formant le mot PAX. Si Locarno pouvait à nouveau éclairer le monde…

Lausanne, place de la cathédrale.
Lausanne, place de la cathédrale.© PG / Schweiz Tourismus / Colin Frei

Locarno et le lac Majeur.
Locarno et le lac Majeur.© PG / SWITZERLAND TOURISM

Pratique

? En train, prendre le Thalys à Bruxelles-Midi jusqu’à Paris-Nord ensuite TGV à Paris-Lyon jusqu’à Genève ou Lausanne, le tout en un peu plus de six heures.

? Swiss Travel Pass 3 jours: 232 francs suisses, donnant droit à des trajets illimités dans tous les transports publics (train, bus, bateau…) et à l’entrée dans plus de 500 musées.

www.MySwitzerland.com

Jean- Christophe Piccard, vigneron (bio)dynamique.
Jean- Christophe Piccard, vigneron (bio)dynamique.© PG / FJDO
Lucerne, fresque carnavalesque
Lucerne, fresque carnavalesque© PG / FJDO
Lausanne, plateforme 10, le nouveau quartier des Arts.
Lausanne, plateforme 10, le nouveau quartier des Arts.© PG/Matthieu Gafsou
Lucerne, un musée des transports qui passionne petits et grands.
Lucerne, un musée des transports qui passionne petits et grands.© PG / FJDO

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