Ce n’est pas la crise de 2008. Mais la rechute de l’économie et les nouvelles règles financières vont finir par avoir raison des bonus des traders.
On n’achète pas l’amour avec l’argent, les banquiers ne le savent que trop bien. Mais une certaine somme représente tout de même une forme de compensation, pour des personnes intelligentes qui travaillent un nombre d’heures indécent et sont presque universellement honnies. En 2012, cependant, bon nombre de traders verront leurs conditions de vie se détériorer. Ils seront toujours détestés, continueront de travailler très dur et seront, sauf cataclysme imprévu, toujours aussi intelligents qu’avant. Mais ils vont considérablement s’appauvrir. Pour la première fois depuis que le système bancaire a fait exploser l’économie mondiale, la rémunération de la plupart des banquiers sur les grands marchés mondiaux subira une forte baisse.
Elle avait jusqu’à présent remarquablement bien résisté à la crise : en 2010, après deux ans d’augmentation régulière, les firmes de Wall Street ont versé un montant record de 135 milliards de dollars (à leurs collaborateurs). Le plongeon des rémunérations après la faillite de Lehman Brothers (en 2008) a été de bien courte durée. Alors que l’activité économique dans la plupart des économies occidentales reste inférieure à ce qu’elle était avant la crise, les rémunérations à Wall Street, elles, ont renoué dès 2009 avec leur niveau des années fastes.
En Europe, cette résistance a été d’autant plus remarquable que les organismes de réglementation et certains politiciens ont tout fait pour la contrer. En Grande-Bretagne, les pouvoirs publics ont ainsi imposé une taxe sur les primes bancaires en 2010, avant de faire pression sur les sociétés pour qu’elles réduisent les bonus. Mais les banques ont contourné le problème. Au final, ces mesures ont surtout eu pour effet de modifier l’équilibre entre la part fixe et la part variable des rémunérations. Selon les estimations du cabinet de conseil économique CEBR, les primes de performance ont reculé d’environ 8 % en 2011, alors que le salaire de base a, lui, augmenté de 7 %. Dans d’autres pays, le salaire a augmenté à un rythme encore plus rapide : 25 % par an sur certains marchés asiatiques, précisent les banquiers.
Métamorphose des marchés bancaires
Pourquoi ce processus s’inverserait-il en 2012 ? Deux raisons principales. D’abord, la rechute de l’activité économique dans les pays riches. Puis, la métamorphose que vont subir les marchés bancaires. Celle-ci devrait les rendre nettement moins rentables dans les années à venir. Commençons par la récession. En 2008, beaucoup d’observateurs prévoyaient un recul sensible de la rentabilité des banques, ainsi que d’importantes réductions des effectifs. Or, c’est le contraire qui s’est produit. Les banques centrales ont très nettement abaissé les taux directeurs, entraînant une forte expansion des échanges d’obligations et de devises. Au lieu de réduire leur personnel, beaucoup de banques ont recruté à tour de bras. L’expansion de certaines sociétés sur des marchés déjà bien développés a également fait grimper les rémunérations.
Le secteur est aussi confronté à une transformation structurelle. A compter du 1er janvier 2012, les banques du monde entier devront détenir beaucoup plus de fonds propres pour assurer la solvabilité de leurs portefeuilles de négociation. Avec ces nouvelles règles, connues sous le nom de Bâle 2.5, beaucoup de leurs activités de trading risquent de ne plus être rentables. Aux Etats-Unis, 2012 sera aussi l’année où une bonne part des règles proposées dans le cadre de la loi Dodd-Frank prendront effet. Elles plafonneront notamment les opérations pour compte propre, menées par les banques. Les mesures qui seront prises sont simples : compression des effectifs et réduction des rémunérations de ceux qui restent. C’est d’une logique impitoyable.
Cela dit, les réductions, bien que rapides et brutales, ne seront pas appliquées à tous. Les excellents traders pourront encore exiger une immense part des revenus qu’ils génèrent. Mais la grande majorité des salariés verra sa rémunération globale chuter. Bon nombre de banquiers qui ont dépassé la cinquantaine seront encouragés à prendre une retraite anticipée. Les meilleurs d’entre eux tenteront de travailler pour des hedge funds (des fonds spéculatifs) ou de démarrer le leur. Quant aux nouveaux talents, ils pourraient se tourner vers d’autres horizons.
Jonathan Rosenthal, journaliste spécialiste du secteur bancaire, The Economist